La maison individuelle est-elle écologique ? Quels sont ses impacts environnementaux ? Faut-il « interdire » la maison individuelle pour protéger la planète ? Décryptage.

Le sujet de l’habitat est particulièrement important en matière écologique. En effet, à l’échelle mondiale, l’habitat est parmi les premières causes de dégradations écologiques : la consommation énergétique des bâtiments est le premier secteur d’émission de CO2 au niveau mondial, la construction de bâtiments est l’une de industries qui génère à la fois le plus de gaz à effet de serre et le plus de déchets. Mais surtout, la façon dont sont structurés nos habitats influence tout le reste de nos vies : comment nous nous déplaçons au quotidien, comment nous occupons le territoire, ainsi que notre rapport à la nature.

Il est donc important de se poser sérieusement la question de l’habitat lorsqu’on parle d’écologie. Et un enjeu en particulier suscite souvent les interrogations : quel est l’impact écologique de l’habitat individuel ? La maison individuelle, souvent avec jardin, est-elle plus ou moins écologique que les habitats collectifs, c’est-à-dire les immeubles et bâtiments rassemblant plusieurs logements ? Faut-il sortir du modèle de la maison individuelle, comme il faut sortir du modèle de la voiture individuelle ? Tentons de comprendre ce sujet polémique.

La maison individuelle est-elle moins écologique ?

D’abord, il faut rappeler que lorsqu’on cherche à savoir si telle ou telle chose est écologique, de nombreux paramètres sont à prendre en compte. Les émissions de CO2 et de gaz à effet de serre, la pression sur les ressources naturelles, les pollutions diverses (particules fines, pollutions chimiques…) ou encore les consommations d’eau, et la pression sur les espaces naturels sont quelques exemples de ces paramètres. Le résultat dépend aussi de ce que l’on regarde. La construction du bâtiment ? Son usage ? De façon isolée ou de façon globale ?

Dire si la maison individuelle est plus écologique ou moins écologique que l’habitat collectif est donc par définition assez difficile, car il faut observer de nombreux facteurs différents. Pourtant, il existe un certain nombre de données dans la littérature scientifique qui permettent de mieux comprendre le problème. Voici quelques éléments que l’on peut tirer de cette littérature.

Construire une maison individuelle est moins écologique que construire un logement collectif

Lorsque l’on construit une maison individuelle, on a besoin toutes choses égales par ailleurs de plus de matériaux, plus de ressources, plus d’énergie, plus de carburants et plus de machinerie que pour construire un habitat collectif. C’est assez logique : si l’on construit un bâtiment de 4 étages pour 8 familles, on fait un seul chantier pour 8 logements. Une seule dalle de fondation, un seul toit, des murs partagés. Si l’on voulait loger 8 familles dans des maisons individuelles, qui plus non-mitoyennes avec jardin, il faudrait 8 chantiers, 8 travaux de fondation, 8 toits, etc. Autant de consommations de ressources et d’énergie démultipliées, là où la construction d’un immeuble permet de faire ce que l’on appelle des économies d’échelle.

Bref : construire une maison individuelle est plus polluant que construire un habitat collectif. Plusieurs études comparatives l’ont démontré, notamment cette analyse de cycle de vie menée en Espagne.

Une maison individuelle est moins efficace en matière énergétique qu’un habitat collectif

De la même manière, une maison collective est toutes choses égales par ailleurs, moins performante sur le plan énergétique qu’un habitat collectif. Et là encore, c’est assez logique. Lorsque l’on chauffe une maison individuelle, toute chaleur qui se dissiperait hors du logement se perd dans l’atmosphère, alors que dans un habitat collectif, la chaleur des uns contribue, au moins en partie, à chauffer les logements voisins. Pour atteindre une température donnée, on utilisera donc moins d’énergie pour chauffer un logement collectif abritant 4 familles que pour chauffer 4 maisons individuelles.

Là encore, plusieurs études ont fait des constats qui vont dans ce sens. En France, par exemple, d’après les données de l’ADEME et du Ministère de la Transition écologique, 45% environ des maisons individuelles ont une performance énergétique notée E, F ou G (les pires scores en la matière) alors que cela ne concerne « que » 35% des appartements en habitat collectif. Aux Etats-Unis, une étude de l’Agence de l’Énergie a montré que les logements collectifs de 5 lots ou plus étaient ceux qui consommaient en moyenne le moins d’énergie par unité de surface. Des résultats confirmés par une étude menée par les industriels du secteur de l’habitat collectif.

Les maisons individuelles occupent plus d’espace que les habitats collectifs

Enfin, toutes choses égales par ailleurs, les maisons individuelles sont aussi plus « encombrantes » dans l’espace collectif que les bâtiments collectifs : elles occupent plus de surface au sol. Un immeuble logeant 8 foyers occupe ainsi nettement moins de surface au sol que 8 maisons individuelles. Et c’est encore plus vrai si chacun de ces foyers doit avoir un jardin individuel.

Cela veut dire que les maisons individuelles contribuent nettement plus que les immeubles collectifs à ce que l’on appelle l’artificialisation des sols, c’est-à-dire à la destruction des espaces naturels pour les convertir en espaces « humains ». Là où l’on met des logements, la biodiversité disparaît, totalement ou en grande partie, les services écosystémiques sont dégradés, voire détruits, et la nature ne fonctionne plus « normalement ». Aussi contre-intuitif que cela puisse sonner, des études montrent que du point de vue de la protection de la nature et de la biodiversité, les villes denses, constituées d’habitat collectifs, semblent plus pertinentes que les zones semi-urbaines, où l’habitat individuel domine. Et cela vaut même si les zones d’habitat individuel comportent plus d’espaces semblant « naturels », comme les jardins, ou les parcs. En effet, ces zones semi-naturelles ne sont pas vraiment sauvages non plus, et la biodiversité y survit plus qu’elle ne s’y développe : le jardin est même rarement un espace « écologique ».

En première approximation, on constate donc que la maison individuelle est plutôt moins écologique que l’habitat collectif. L’habitat collectif permet de faire des économies en termes de matériaux, de ressources, d’énergie et de surface occupée par rapport à la maison individuelle. Dans un contexte où la crise écologique et climatique nous impose de faire à la fois des économies d’énergie, de ressources et de protéger les espaces naturels, ce constat est important.

Le modèle de la maison individuelle : un système anti-écologique ?

Mais la question de l’impact écologique de notre habitat ne s’arrête pas aux ressources économisées ou perdues par tel ou tel type de construction. La façon dont nous nous logeons, donc nous occupons l’espace est au coeur d’un système socio-économique plus large, et détermine en grande partie d’autres enjeux en lien avec la transition écologique : la façon dont nous nous déplaçons par exemple, mais aussi celle dont nous occupons nos espaces urbains et ruraux et même certains pans de nos modes de consommation. Et sur ces différents enjeux, le modèle de la maison individuelle pose un certain nombre de défis.

La maison individuelle face au défi de l’étalement humain

Le premier de ces défis est sans doute celui de l’étalement humain. L’un des aspects essentiels de notre impact sur l’environnement tient à notre étalement. Nous construisons des habitations, des routes, des zones industrielles et commerciales et tout cela se fait au détriment des espaces naturels, qui sont détruits ou transformés au profit de nos activités.

Si la maison individuelle contribue à cette transformation des milieux dans la mesure où elle occupe en elle-même plus de surface, elle y contribue aussi en faisant la promotion d’un modèle de développement global spécifique qui exerce une pression intensive sur les milieux. Lorsque la maison individuelle se développe, il faut plus de surface par habitant, mais surtout, il faut plus de routes, pour faire circuler les voitures de ces habitants. Il faut également plus de parkings. Et plus de zones commerciales, en périphérie des zones d’habitation. Lorsque les logements s’étalent dans l’espace, il faut multiplier les infrastructures humaines pour les relier entre elles : que ce soit pour le raccordement électrique, la fibre optique ou les réseaux d’eau et autres canalisations. À chaque fois, ce sont des zones naturels, des sols, qui sont détruits.

La transformation des espaces naturels a des conséquences significatives sur l’environnement. Il faut ainsi rappeler que dans le monde aujourd’hui, c’est la transformation des milieux naturels qui est la première cause de la disparition de la biodiversité. La transformation des espaces signifie aussi bien souvent déforestation, dégradation et artificialisation des sols, et donc une réduction des puits de carbone naturels, qui absorbent le CO2.

La maison individuelle : catalyseur de nos impacts environnementaux

Mais plus encore, le modèle de la maison individuelle ouvre des fenêtres d’opportunité pour créer de nouvelles dégradations environnementales. La maison individuelle étant moins chère (car souvent en périphérie), elle permet souvent de construire plus grand. Des surfaces qu’il faut ensuite chauffer, éclairer, ce qui augmente encore la facture énergétique (et donc climatique) de l’habitat.

La maison individuelle c’est aussi souvent le jardin, avec son gazon bien tondu, qui représente une perte nette de biodiversité, surtout quand au milieu se trouve une piscine, véritable piège à insecte et à animaux sauvages, source de consommation d’eau et d’énergie supplémentaire. La maison individuelle avec jardin va souvent de pair avec l’achats de nombreux équipements électriques et électroniques supplémentaires, qui représentant autant de pollutions additionnelles, de ressources consommées : tondeuse, robot de nettoyage pour la piscine, broyeur électrique pour les déchets de jardin, karcher…

Sans compter les animaux de compagnies, chats et chiens, qui, notamment lorsqu’ils sont en zone rurale ou semi-rurale, constituent une pression de plus sur les animaux sauvages.

Bref, la maison individuelle, en créant de nouveaux besoins (souvent non essentiels) amplifie les consommations d’énergie, de ressources, et décuple nos impacts environnementaux. Inversement, l’habitat collectif, s’il permet de collectiviser les surfaces, collectivise aussi les impacts. En habitat collectif, pas de piscine individuelle, mais pourquoi pas, des piscines collectives, municipales ou entretenues au sein d’un lotissement, qui profitent à plusieurs foyers ?

La maison individuelle face au défi de la mobilité durable

En permettant aux citoyens de s’étaler beaucoup plus dans l’espace, la maison individuelle constitue aussi un frein immense au développement de la mobilité durable, car le corollaire de la maison individuelle est bien souvent la voiture individuelle.

En moyenne, les habitats des maisons individuelles se déplacent plus, et notamment plus en voiture, que ceux qui habitent en habitat collectif. En densifiant l’habitat, le logement collectif permet de réduire les distances. En zone urbaine dense, par exemple, un seul commerce peut accueillir de nombreux clients de proximité, qui s’y rendent à pied, en vélo ou en transports en commun. Au contraire, dans les zones où l’habitat individuel prédomine, les commerces sont souvent plus éloignés des zones d’habitation, et le recours à la voiture bien plus systématique (même lorsque les distances sont courtes).

Les espaces constitués par des maisons individuelles sont également moins propices au développement des transports en commun. En effet, dans des zones d’habitat collectif, les lignes de transport en commun touchent rapidement de nombreux foyers, alors qu’en zone d’habitat individuel, il faut sans cesse allonger les lignes pour compenser la faible densité de population. De fait, le coût pour la collectivité en termes d’infrastructure de transport (routes, transports en commun…) de l’habitat individuel est nettement plus élevé que pour l’habitat collectif.

Globalement, lorsque les citoyens quittent les villes et l’habitat collectif pour s’installer en périphérie en maison individuelle, ils sont bien souvent contraints de recourir plus souvent et plus intensément à la voiture individuelle, et ce, pour tous leurs déplacements : achats, travail, loisirs, école…

La maison individuelle : vraiment un non sens écologique ?

D’une manière générale, la maison individuelle est donc plutôt à contre-courant du modèle d’habitat qu’il faudrait développer si l’on veut faire face à la crise climatique et à la crise écologique en général. Pour réduire notre impact sur l’environnement, les défis les plus urgents à relever sont de diminuer la pression sur les espaces naturels, de réduire nos besoins en énergie et en ressources, et de réduire notre dépendance aux transports. Or avec la généralisation des maisons individuelles, on produit un système qui va exactement dans le sens opposé.

Ainsi, en France, depuis 50 ans, la surface moyenne des logements a augmenté passant de 25 m2 par personne en moyenne dans les années 1970 à 40 m2 par personne aujourd’hui. Dans le même temps, la consommation énergétique liée à l’habitat ne cesse d’augmenter : par rapport aux années 1970, la consommation énergétique des bâtiments a augmenté, en valeur absolue (+45%) comme en valeur relative (+10%). Celle des transports également, et notamment parce qu’une part croissante de la population habite désormais loin de son travail et de ses lieux de vie quotidienne.

Mais surtout, durant les dernières décennies, la surface occupée par l’habitat a augmenté de 45% dans le pays. Cela veut dire que l’on empiète de plus en plus sur les espaces naturels, et encore, sans compter tout l’espace perdu pour raccorder ces habitats aux réseaux de transport, ou pour développer des infrastructures commerciales. Une part de cette tendance s’explique par la progression plus rapide des logements individuels par rapport aux logements collectifs.

Et malheureusement, cette tendance ne répond même pas toujours à un besoin réel de logements : ainsi, la population n’a augmenté que de 18% sur la même période , ce qui veut dire que la surface occupée a augmenté presque trois fois plus vite que la population. Et encore, une bonne partie des logements construits sur la période sont des résidences secondaires ou des logements vacants : sur les 8 millions de nouveaux logements comptabilisés en France entre 1990 et la fin des années 2010, plus de 2 millions sont des logements vacants ou des résidences secondaires.

Il est difficile d’estimer précisément quels gains écologiques nous pourrions faire en structurant mieux nos habitats, en généralisant dès que c’est possible les habitats collectifs, en renonçant au maximum aux maisons individuels. Mais une chose est sûre, cela représenterait un potentiel considérable d’économies d’énergie, des millions de kilomètres en voiture évités, des milliers de kilomètres carrés d’espaces naturels préservés.

Repenser notre façon d’habiter pour préserver la planète

On peut donc légitimement s’interroger sur la pertinence du modèle de la maison individuelle, qui découle à la fois de choix individuels et de choix collectifs. Faut-il aujourd’hui chercher à inverser la tendance ? À proposer un modèle d’habitat différent, plus axé sur les logements collectifs ? Du point de vue écologique, sans aucun doute. On ne tiendra pas nos objectifs environnementaux en continuant à structurer nos sociétés autour de maisons individuelles occupant toujours plus d’espace et consommant toujours plus d’énergie. Ni en France, ni, encore moins, dans le reste du monde.

Mais la question a des ramifications aussi dans les domaines sociaux, culturels et économiques. Il ne faut donc pas simplement opposer l’habitat collectif et l’habitat individuel. L’enjeu est aujourd’hui de proposer des typologies d’habitat plus adaptées à nos défis écologiques et sociaux collectifs. Améliorer l’habitat collectif, réduire et repenser l’habitat individuel, créer des politiques d’aménagement adaptées et bien-sûr penser la question sociale et celle des inégalités… Voilà le défi pour habiter mieux cette planète, qui reste notre seul habitat, forcément collectif.