Parce que les médias sont des acteurs essentiels des transformations sociales, ils ont un rôle majeur à jouer dans la transition écologique. Il est temps de prendre nos responsabilités.
Les médias sont l’un des piliers d’une société démocratique fonctionnelle. Leurs rôles sont multiples : lanceurs d’alerte, contre-pouvoir, outil d’information et de formation pour les citoyens, relais de la parole scientifique ou de celle des mouvements sociaux ou politiques qui agitent la société… Les médias sont au coeur du débat public, qu’ils contribuent à construire et à orienter autant qu’ils le diffusent.
À ce titre, le monde médiatique a un rôle particulièrement crucial à jouer dans la transition écologique et social. La transition écologique et sociale est certainement l’enjeu le plus complexe que vont devoir affronter nos sociétés dans les décennies à venir, et elle implique des transformations économiques, sociales et culturelles massives. Les médias doivent jouer un rôle dans ces transformations : informer, analyser, décrypter, ouvrir le débat, faciliter le dialogue. Peut-être plus encore que d’autres, les médias ont aujourd’hui la responsabilité d’être à la hauteur de cet enjeu.
C’est parce que nous sommes convaincus de cette responsabilité que nous travaillons depuis des années, chez Youmatter, à mieux mettre en avant les enjeux sociaux et écologiques. C’est aussi pour cela que nous nous sommes associés au collectif de médias qui lancent aujourd’hui la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. À l’heure où l’on demande à chacun de « faire sa part », les médias doivent faire la leur.
Les médias acteurs de la transition écologique
Trop longtemps, et encore aujourd’hui, la question écologique et sociale a été très mal traitée dans un grand nombre de médias. D’abord, beaucoup ont tout simplement ignoré cet enjeu, pensant qu’il était un problème de militants et d’activistes, bien loin des préoccupations d’objectivité journalistique. Ensuite, parce que la transition écologique est complexe, et qu’il est réellement difficile d’en comprendre tous les tenants et les aboutissants, de nombreux journalistes ont abordé la question écologique de façon parcellaire, simpliste.
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Aujourd’hui, de plus en plus de journalistes font un travail formidable de sensibilisation, d’analyse, de mise en perspective des enjeux écologiques. Nous espérons pouvoir prétendre en faire partie, chez Youmatter, et nous continuons chaque jour à nous remettre en cause pour y parvenir. Mais de nombreux progrès restent à faire pour que le traitement médiatique de la transition écologique soit à la hauteur de l’urgence. Nous, journalistes, devons nous former à la complexité de l’enjeu écologique, à son caractère transverse. Sans cesse, nous devons apprendre ou réapprendre à lire les données scientifiques qui s’accumulent, et à les interpréter pour les rendre accessibles à tous.
Plus que jamais, la responsabilité d’informer et de former
Plus que jamais, nous avons la responsabilité de rendre accessibles les informations liées à ces crises majeures que nous traversons. Rendre accessible, cela signifie prendre du recul, s’adresser à tous, mettre en perspective. Cela signifie aussi être capable de faire le tri dans les multiples discours qui tentent de s’approprier la question écologique, que ces discours soient politiques ou économiques et commerciaux. Rappeler, sans cesse, les ordres de grandeur, l’urgence. Se référer, toujours, à la parole de ceux qui sont le plus légitimes pour expliquer ces crises : les scientifiques.
Notre rôle est de contribuer à former l’ensemble de la population à ces problématiques nouvelles, changeantes, parfois polémiques. Pour cela, la nuance et la pédagogie doivent être au coeur de notre travail.
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Ouvrir le dialogue sur les transformations à mener
Nous, médias, avons aussi le devoir d’ouvrir le dialogue. Être un média, ce n’est pas que transmettre des informations et des idées, mais aussi être à l’écoute. Entendre les voix qui montent dans la société, leurs aspirations. Nous devons garder à l’esprit que la question écologique, par essence, est liée à la question sociale. La transition ne se fera donc qu’à condition que nous nous écoutions les uns les autres pour construire des transformations acceptables par tous.
Ouvrir ce dialogue, cela signifie aussi, parfois, déconstruire les discours de ceux qui tentent de le neutraliser. Parfois, il faudra savoir combattre, comme contre-pouvoir, les arguments de ceux qui bloquent la transition écologique et sociale, les intérêts économiques, les intérêts politiques. Ceux qui continuent de défendre, coûte que coûte, un modèle économique et social dépassé, fondé sur un productivisme et une croissance aveugle, dont tout nous dit qu’il est la cause de la crise.
Participer à construire l’imaginaire de la société de demain
Enfin, nous avons la responsabilité, en tant que média, d’être acteur des nouveaux imaginaires que la société doit se construire pour avancer vers la soutenabilité écologique et sociale. Nous participons à diffuser des symboles, à mettre en lumière des rêves, à créer les tendances. Les personnalités à qui nous donnons la parole, les publicités que nous hébergeons parfois, les images que nous utilisons doivent donc être en cohérence avec l’urgence de la transition écologique.
Nous devons assumer d’être militants, au sens ou nous devons défendre une certaine vision de la société, plus juste et plus écologique. Nous ne pouvons plus nous cacher derrière l’excuse de l’objectivité ou de la neutralité, derrière l’excuse du système, pour éviter de voir notre responsabilité.
C’est pour toutes ces raisons que nous soutenons la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. C’est pour toutes ces raisons que nous invitons chaque journaliste à la lire et à s’interroger sur ce sujet. C’est pour toutes ces raisons que nous continuerons à défendre un journalisme engagé, qui promeut la transition écologique et sociale de façon factuelle et nuancée.
Retrouvez l’intégralité de la charte ci-dessous.
La Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique
Le consensus scientifique est clair : la crise climatique et le déclin rapide de la biodiversité sont en cours, et les activités humaines en sont à l’origine. Les impacts sur les écosystèmes et les sociétés humaines sont généralisés et, pour certains, irréversibles. Les limites planétaires sont dépassées l’une après l’autre, et près de la moitié de l’humanité vit déjà en situation de forte vulnérabilité.
Dans son sixième rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) insiste sur le rôle crucial des médias pour « cadrer et transmettre les informations sur le changement climatique ». Il appartient à l’ensemble des journalistes d’être à la hauteur du défi que représente l’emballement du climat pour les générations actuelles et à venir. Face à l’urgence absolue de la situation, nous, journalistes, devons modifier notre façon de travailler pour intégrer pleinement cet enjeu dans le traitement de l’information.
Tel est l’objet de la présente charte. Nous invitons donc la profession à :
- Traiter le climat, le vivant et la justice sociale de manière transversale. Ces sujets sont indissociables. L’écologie ne doit plus être cantonnée à une simple rubrique ; elle doit devenir un prisme au travers duquel considérer l’ensemble des sujets.
- Faire œuvre de pédagogie. Les données scientifiques relatives aux questions écologiques sont souvent complexes. Il est nécessaire d’expliquer les ordres de grandeur et les échelles de temps, d’identifier les liens de cause à effet, et de donner des éléments de comparaison.
- S’interroger sur le lexique et les images utilisées. Il est crucial de bien choisir les mots afin de décrire les faits avec précision et rendre compte de l’urgence. Éviter les images éculées et les expressions faciles qui déforment et minimisent la gravité de la situation
- Élargir le traitement des enjeux. Ne pas renvoyer uniquement les personnes à leur responsabilité individuelle, car l’essentiel des bouleversements est produit à un niveau systémique et appelle des réponses politiques.
- Enquêter sur les origines des bouleversements en cours. Questionner le modèle de croissance et ses acteurs économiques, financiers et politiques, et leur rôle décisif dans la crise écologique. Rappeler que les considérations de court terme peuvent être contraires aux intérêts de l’humanité et de la nature.
- Assurer la transparence. La défiance à l’égard des médias et la propagation de fausses informations qui relativisent les faits, nous obligent à identifier avec précaution les informations et les experts cités, à faire apparaître clairement les sources et à révéler les potentiels conflits d’intérêts.
- Révéler les stratégies produites pour semer le doute dans l’esprit du public. Certains intérêts économiques et politiques œuvrent activement à la construction de propos qui trompent la compréhension des sujets et retardent l’action nécessaire pour affronter les bouleversements en cours.
- Informer sur les réponses à la crise. Enquêter avec rigueur sur les manières d’agir face aux enjeux du climat et du vivant, quelle que soit leur échelle d’application. Questionner les solutions qui nous sont présentées.
- Se former en continu. Pour avoir une vision globale des bouleversements en cours et de ce qu’ils impliquent pour nos sociétés, les journalistes doivent pouvoir se former tout au long de leur carrière. Ce droit est essentiel pour la qualité du traitement de l’information : chacun•e peut exiger de son employeur d’être formé•e aux enjeux écologiques.
- S’opposer aux financements issus des activités les plus polluantes. Afin d’assurer la cohérence du traitement éditorial des enjeux du climat et du vivant, les journalistes ont le droit d’exprimer sans crainte leur désaccord vis-à-vis des financements, publicités et partenariats média liés à des activités qu’ils jugent nocives.
- Consolider l’indépendance des rédactions. Pour garantir une information libre de toute pression, il est important d’assurer leur autonomie éditoriale par rapport aux propriétaires de leur média.
- Pratiquer un journalisme bas carbone. Agir pour réduire l’empreinte écologique des activités journalistiques, en utilisant notamment des outils moins polluants, sans pour autant se couper du nécessaire travail de terrain. Inciter les rédactions à favoriser le recours aux journalistes locaux.
- Cultiver la coopération. Participer à un écosystème médiatique solidaire et défendre ensemble une pratique journalistique soucieuse de préserver de bonnes conditions de vie sur Terre.