La consommation responsable progresse-t-elle en France ? Quels sont les chiffres ? Les freins qui empêchent la sobriété ? Faisons l’état des lieux.

Pour faire face aux enjeux de la transition écologique et sociale, il est nécessaire de transformer nos façons de produire et de consommer. Pour cela, le rôle des citoyens est important : en adoptant de nouvelles façons de consommer, les citoyens peuvent contribuer à transformer certains secteurs, à privilégier certains modes de production.

Mais alors, où en est la consommation responsable en France ? Les consommateurs sont-ils sensibilisés et agissent-ils en faveur de la consommation responsable ? Une étude GreenFlex – Ademe a fait la synthèse des chiffres fin 2022. En les combinant à d’autres analyses et à des chiffres sectoriels, on peut dresser un bilan de la consommation responsable dans le pays.

Des citoyens sensibilisés, concernés, qui s’informent

Les impacts environnementaux et sociaux de notre consommation quotidienne étant de plus en plus médiatisés, un nombre croissant d’individus semblent se poser des questions sur leurs propres modes de consommation. Ainsi, près de 84% des Français disent s’interroger autant ou plus qu’avant sur leurs façons d’acheter, sur les produits qu’ils consomment, et sur les externalités de cette consommation.

Au-delà du questionnement, ils sont aussi de plus en plus nombreux à savoir en quoi leur mode de vie et leurs achats contribuent par exemple à la crise écologique. 71% des citoyens voient ainsi bien le lien entre leurs choix de consommation et l’avenir de la planète. Viande, équipements électroniques, habillement, transport en voiture ou en avion : les impacts de ces consommations ont régulièrement été mis en lumière ces dernières années, et aujourd’hui les citoyens semblent plus que jamais sensibilisés.

Résultat : 76% des Français disent se mobiliser pour changer leurs modes de consommation et adopter des pratiques de consommation responsable. 13% seulement se disent pleinement engagés, faisant tous les efforts possibles, mais 63% avouent tout de même avoir déjà changé certaines de leurs habitudes pour contribuer par exemple à la transition écologique et sociale.

La sobriété : un levier essentiel de la consommation responsable

Une tendance semble aussi s’installer auprès des citoyens – consommateurs : celle de la sobriété. Avec la crise énergétique, l’inflation, les pénuries de matières premières, de plus en plus d’individus ont compris qu’on ne fera pas la transition écologique et sociale sans faire preuve de sobriété : consommer moins, mais mieux. C’est d’ailleurs ce que l’on pouvait conclure du dernier rapport du GIEC, qui, lui aussi, mettait en avant la sobriété.

Aujourd’hui 60% des Français semblent adopter cette sobriété, et considèrent que la consommation responsable, c’est avant tout de ne plus consommer de produits ou services superflus, de réduire sa consommation en général. 34% estiment qu’il s’agit plutôt de consommer autrement (produits éco-labellisés, certifiés éthiques, locaux, moins polluants,…). Un bon reflet de ce que devrait être la consommation responsable donc : d’abord réduire, et puis améliorer.

Dans l’ensemble, les citoyens semblent donc avoir compris que consommer mieux, c’est avant tout une consommation raisonnée, réfléchie, qui ne repose pas sur les excès de la surproduction et de la surconsommation constante. 49% disent ainsi limiter leurs achats neufs.

De nouvelles pratiques de consommation émergentes

À la faveur de cette prise de conscience, on voit les Français se poser de plus en plus de questions lors de leurs achats, et adopter de nouvelles pratiques. Ainsi, entre la moitié et les trois quart des individus disent faire régulièrement ou systématiquement leurs choix de consommation en fonction de l’origine des produits, de leur composition, ou de la façon dont sont rémunérés les producteurs.

La seconde main, la réparation des produits ou encore la location apparaissent aussi comme des tendances émergentes : 42% des Français disent privilégier régulièrement ou systématiquement les achats en seconde main, et 24% disent choisir en priorité la location ou l’emprunt plutôt que l’achat.

C’est le signe que l’on commence, tout doucement, à sortir du paradigme de l’économie linéaire : produire, acheter, jeter.

Les modes de consommation responsables encore marginaux

Toutefois, les pratiques de consommation réellement responsables sont encore relativement marginales. Des gestes très simples, comme le tri des déchets, sont encore loin d’être unanimement acquis : moins de 50% des citoyens disent faire systématiquement le tri. La consommation de produits bio reste souvent la caractéristique des plus aisés : 3% seulement des Français déclarent consacrer l’essentiel de leur budget alimentaire quotidien à l’agriculture bio.

La consommation de viande, qui est la source majoritaire des émissions de gaz à effet de serre liée à notre alimentation, reste très élevée : si elle a effectivement baissé légèrement jusqu’au début des années 2010, cela fait au moins 10 ans qu’elle stagne, voire qu’elle repart à la hausse d’après les données de l’Institute for Climate Economics. En fait, les consommateurs mangent toujours autour de 85 à 90 kg de viande par an et par habitant, mais la façon dont ils consomment a changée : moins à domicile, mais plus au restaurant, un peu moins de boeuf, mais plus de volaille, et de produits transformés (nuggets, plats préparés, etc.). Dans l’ensemble, on ne peut pas dire que cette consommation là soit réellement plus « responsable ».

En fait, sur l’essentiel des modes de consommation les plus essentiels en matière de transition écologique et sociale (viande, voiture, avion, produits électroniques…) les modes de consommation responsables ont plutôt du mal à s’enraciner. Par exemple, la distance parcourue chaque année par les Français en voiture ne baisse pas.

Le coût de mieux consommer

Il faut dire que le système socio-économique global ne favorise pas forcément la consommation responsable, bien au contraire. D’abord, parce que « consommer responsable », c’est souvent plus cher : c’est ce que pensent en tout cas 65% des Français. Et bien souvent, ils ont raison : consommer bio, acheter une voiture électrique, choisir le commerce équitable ou des filières de qualité, qui rémunèrent bien les producteurs et respectent les normes environnementales, ça a un coût, substantiellement plus élevé que de consommer les produits de la consommation de masse, qui sont conçus autour de l’idée de la course au prix bas. On reproche donc souvent, à raison, à la consommation éco-responsable d’être une idée de riches, même si certains gestes (seconde main, réparation) peuvent au contraire permettre de faire des économies.

Dans un contexte de hausse générale des prix, cette question du coût est de plus en plus essentielle. Inflation et consommation responsable ne font pas bon ménage. Et d’ailleurs, ce sont bien souvent des motivations économiques qui incitent les citoyens à adopter des gestes dits de « consommation responsable » : près de 70% de ceux qui limitent leurs achats neufs ou achètent de seconde main le font non pas pour des raisons principalement écologiques ou sociales, mais pour des raisons financières.

Il s’agit alors non pas d’une consommation responsable choisie, mais d’une précarité subie, qui oblige à recourir à des modes de consommation alternatifs face à la baisse du pouvoir d’achat.

Le manque d’offres durables : l’enjeu de la production responsable

D’autre part, la consommation responsable est aussi freinée par le manque d’offres. Près d’un Français sur deux considère qu’il n’y a pas assez de produits responsables chez les commerçants ou dans les supermarchés. Malgré la multiplication des communications d’entreprises sur les impacts prétendument positifs de leurs produits, on trouve dans les faits peu d’offres réellement responsables dans les rayons.

Toutes les entreprises, même les multinationales les moins éthiques, se disent désormais vertes, prétendent être neutres en carbone, se félicitent de leurs emballages éco-conçus ou de leurs méthodes de production contributives. Mais dans les faits, il s’agit plus souvent de greenwashing que d’autre chose. Et les consommateurs le savent bien. Au total, plus de 80% des Français doutent de ces communications trompeuses, certains pensant que c’est une simple stratégie pour vendre plus, les autres demandent des preuves (chiffres, labels). 30% à peine des consommateurs font confiance aux grandes entreprises globalement.

La réalité, c’est qu’il n’existe pas une très grande offres de produits responsables, respectant les normes éthiques, environnementales, les droits humains et la rémunération des acteurs de leur filière. Et quand cette offre existe, elle est le plus souvent isolée dans des magasins spécialisés, à des prix qui la rendent difficilement accessible à l’ensemble de la population.

Effort individuel contre transformation collective

En fait, globalement, il subsiste un certain nombre de freins pour que la consommation responsable s’ancre vraiment dans nos pratiques quotidiennes, et ces freins sont évidemment systémiques.

Dans une société qui continue de valoriser la surconsommation, les individus peuvent se sentir perdus entre les injonctions contradictoires. On leur demande de consommer responsable, tout en continuant à valoriser la croissance, les sucess stories économiques, tout en laissant la publicité s’imposer un peu partout dans l’espace public et faire la promotion de produits toujours plus polluants. Les réglementations pour encourager la production responsable n’avancent pas vraiment, et on parle même de faire une pause dans les normes environnementales. Bref, on a l’impression que le système économique et social est incompatible avec une vraie consommation responsable.

C’est d’ailleurs ce que disent les citoyens lorsqu’on les interroge : 40% d’entre eux disent avoir le sentiment que leurs efforts sont vains, quand la majorité continue comme avant. 20% disent avoir du mal à résister face à l’envahissement de la publicité, ce qui devrait d’ailleurs nous interroger sur le rôle de la publicité dans la transition écologique. 84% des Français estiment d’ailleurs qu’elle est trop présente et qu’il faudrait la réduire. Pour favoriser vraiment la consommation responsable, c’est une transformation collective, globale qui doit s’opérer, avec des règles nouvelles, des discours nouveaux qui ouvrent des imaginaires neufs.

Des freins systémiques à la consommation responsable

Les inégalités ou encore la hausse de la pauvreté empêchent évidemment eux-aussi les plus précaires, et même les classes moyennes, d’adopter des modes de consommation plus responsables, et ce, d’autant plus que l’inflation frappe plus durement ces catégories de population défavorisées.

Le manque d’offres de produits réellement durables, probablement lié au manque de volonté politique et économique de faire émerger des modèles d’affaires différents, est aussi un frein structurel. Tant qu’on ne fixera pas des règles du jeu économiques différentes, contraignant les acteurs à proposer des produits plus durables, on ne pourra pas attendre des citoyens qu’ils consomment mieux.

Et puis c’est l’ensemble du système économique et social qui doit probablement être transformé, pour proposer des modes de consommation différents, mais désirables. Cela commence à émerger, puisque 81% disent que le fait de consommer mieux leur procure du plaisir. Mais il faut que cela s’étende, et que l’on rende désirable une consommation qui est encore aujourd’hui perçue comme une contrainte et une privation. Vélo, réduction de la consommation de viande, sobriété, réparation : voilà ce qu’il faut désormais développer, et qui doit donner envie. Il y a du travail !

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