L’Inserm a analysé de nouvelles données sur le sujet et a identifié de nouveaux risques, notamment pour les professionnels. Décryptage.

Les effets des pesticides sur la santé humaine et celle de l’environnement inquiètent de plus en plus. Pour mesurer ces risques, l’Inserm (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) avait publié un rapport d’expertise collective en 2013. A la demande de cinq directions de l’Etat, l’Inserm a entrepris d’actualiser son analyse. Le 30 juin, l’institut de recherche a publié son nouveau rapport intitulé “Pesticides et effets sur la santé – Nouvelles données”. Ce travail de trois ans s’appuie sur l’analyse de 5300 études et sur des recherches complémentaires menées par l’Inserm. Contrairement à ce que certains médias ont pu avancer, l’Inserm s’est concentré surtout sur l’exposition professionnelle, c’est-à-dire celle des personnes travaillant au contact des pesticides, et sur celle de leurs enfants.  Le rapport actualisé confirme l’existence de risques accrus pour cette population et en identifie également de nouveaux. 

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Dans cet article, vous retrouverez des termes comme “présomption forte” ou “présomption faible” qui sont ceux employés par l’Inserm. Une présomption forte signifie que l’Inserm a trouvé beaucoup d’études de bonne qualité qui montrent toutes un lien entre deux paramètres. Une présomption moyenne signifie que l’Inserm a trouvé au moins une étude de bonne qualité qui établit ce lien. Une présomption faible ne signifie pas que ce lien n’existe pas mais que l’Inserm n’a pas trouvé assez d’études fiables pour établir avec certitude ce lien. 

Des risques avérés pour les professionnels en contact direct avec des pesticides

Les travailleurs agricoles et ceux de l’industrie de production de produits phytosanitaires sont la population la plus exposée aux pesticides. On parle d’exposition professionnelle. Les études ont commencé à s’intéresser aux différents effets de l’exposition aux pesticides dans un cadre professionnel après plusieurs cas d’intoxication aiguë aux insecticides. Les données analysées par l’Inserm lui ont permis de faire passer de moyenne à forte la présomption de lien entre l’exposition aux pesticides chez les agriculteurs et les troubles cognitifs (attention, mémoire, abstraction). 

Les nouvelles données collectées par l’Inserm ont également permis d’établir avec une présomption forte un lien entre exposition professionnelle et cinq autres pathologies : maladie de Parkinson, lymphomes non hodgkiniens (LNH), myélome multiple, cancer de la prostate, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique. Pour les LNH, il a été possible d’identifier les substances responsables : malathion, diazinon, lindane, DDT.

Des liens avec d’autres pathologies ont été identifiés mais avec une présomption moyenne, cette fois. Cela concerne la maladie d’Alzheimer, les troubles anxio-dépressifs, certains cancers (leucémies, système nerveux central, vessie, rein, sarcomes des tissus mous), l’asthme et les sifflements respiratoires, et les pathologies thyroïdiennes. 

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Exposition aux pesticides pendant la grossesse : les risques pour l’enfant

Certaines périodes de la vie comme la grossesse, la petite enfance ou le passage à l’adolescence sont reconnues pour être des moments de plus grande vulnérabilité face à un évènement ou un agent toxique. C’est pourquoi l’Inserm dans son analyse s’est intéressé particulièrement à l’exposition aux pesticides pendant la grossesse. Ils ont trouvé qu’il existait un lien entre l’exposition aux pesticides durant la grossesse (exposition professionnelle ou au quotidien) et les troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant. Les insecticides organophosphorés et pyréthrinoïdes sont notamment pointés du doigt pour leurs effets neurotoxiques sur les enfants. Les études analysées par l’Inserm montrent aussi, avec une présomption forte, un lien entre exposition maternelle pendant la grossesse (par une utilisation professionnelle ou domestique) ou chez l’enfant et le risque de certains cancers, en particulier les leucémies et les tumeurs du système nerveux central. 

Et les risques pour la population générale, alors  ? 

L’analyse de l’Inserm s’est moins concentrée sur les risques pour la population générale qui n’est pas exposée aux pesticides dans un cadre professionnel mais par l’alimentation ou l’utilisation domestique. Les études sur le sujet se basaient sur des effectifs trop faibles ou n’avaient pas une méthodologie assez rigoureuse. L’Inserm a, cependant, pu établir avec une présomption moyenne, qu’il existait un lien entre exposition de la population générale et certaines pathologies comme les troubles cognitifs, la maladie de Parkinson, l’asthme, les sifflements, le cancer du sein et les pathologies thyroïdiennes.  

Focus sur le chlordécone

Le chlordécone est un insecticide utilisé aux Antilles françaises de 1973 à 1993 pour lutter contre un parasite du bananier. On estime que 300 tonnes de substance active ont été épandues aux Antilles, entraînant une pollution persistante des sols et une contamination élevée des animaux. Le chlordécone s’accumule tout au long de la chaîne alimentaire. Les habitants des Antilles sont contaminés en consommant des légumes, viandes ou poissons locaux. Après avoir constaté une fréquence élevée de cancers de la prostate aux Antilles et connaissant les propriétés neurotoxiques, toxiques pour la reproduction, cancérogènes et de perturbation endocrinienne du chlordécone, des études épidémiologiques ont été menées pour mesurer les risques sanitaires. L’analyse actualisée de l’Inserm a permis de confirmer avec une présomption forte le lien existant entre exposition au chlordécone et cancer de la prostate.   

Pour conclure…

L’Inserm, dans son rapport actualisé, confirme l’existence de risques accrus pour les personnes travaillant au contact de pesticides et pour leurs enfants. Elle identifie également le lien avec deux nouvelles pathologies : les troubles cognitifs et les bronchites chroniques. Pour la population générale, la présomption de lien entre exposition aux pesticides et ces pathologies est plus faible. 

Des recherches supplémentaires pour relier une substance précise à une pathologies sont encore nécessaires, de même que des recherches concernant les effets cocktails (l’exposition à différents pesticides). Cependant, les conclusions du rapport de l’Inserm semblent déjà suffisantes pour exiger une réglementation de l’utilisation de ces pesticides afin de protéger la santé des professionnels, de la population générale et celle des générations futures. 

Pour en savoir plus :

Photo de Ibadah Mimpi sur Unsplash