Le 8 octobre 2018 paraissait le rapport intermédiaire du GIEC sur le réchauffement climatique à 1.5 degrés. Que dit réellement ce rapport ? Quelles sont ses principales conclusions ? Décryptage.

[box]Pour tout comprendre : Définition du réchauffement climatique[/box]

Le constat du réchauffement climatique

Le rapport revient en premier lieu sur le constat du réchauffement climatique actuel. Comme on s’y attendait, le GIEC confirme beaucoup de ce que l’on savait déjà sur le réchauffement climatique :

  • Le réchauffement climatique actuel est bien imputable aux activités humaines et à leurs émission de gaz à effet de serre
  • Le réchauffement climatique est d’ores et déjà visible au niveau des températures mondiales (estimées dès aujourd’hui à environ +1 °C depuis l’ère pré-industrielle)
  • Le réchauffement climatique a déjà des conséquences visibles sur certains écosystèmes ou phénomènes naturels mondiaux (fonte des glaces, élévation du niveau de la mer, mais surtout augmentation des évènements climatiques extrêmes comme les cyclones ou les inondations, dégradation des rendements de l’agriculture)

Le rapport confirme donc, des milliers d’études à l’appuis que le réchauffement climatique est une réalité, et qu’il a des conséquences réelles et mesurables dès aujourd’hui sur nos vies. Ainsi, on peut dès aujourd’hui faire le lien entre certains phénomènes météo ou naturels et le réchauffement climatique : c’est le cas de l’augmentation de la fréquence des tempêtes et cyclones, de la modification du régime des pluies ou encore de la baisse des rendements agricoles notamment liées à la sécheresse.

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Voir aussi : Le résumé complet des rapports 2022 – 2023 du GIEC

Les dangers du phénomène de réchauffement climatique à 1.5 degrés

Le rapport va ensuite plus loin. Dans un chapitre (le troisième) entièrement consacré au sujet, le GIEC étudie les impacts et les dangers du réchauffement climatique si l’on atteint 1.5°C de réchauffement par rapport aux normes préindustrielles. Là encore, le rapport confirme ce que de nombreux scientifiques ont mis en évidence depuis des années : le réchauffement climatique aura des conséquences de plus en plus grave s’il continue sur les tendances actuelles et s’il atteint 1.5°C.

À 1.5°C de réchauffement, le GIEC envisage les dangers et conséquences suivantes :

  • Fonte des glaces et hausse du niveau de la mer
  • Élévation des températures terrestres et augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules (en particulier en Amérique du Nord, en Europe du Sud, en Asie centrale et occidentale ainsi que dans les régions tropicales)
  • Multiplication des évènements météorologiques extrêmes (tempêtes, cyclones, sécheresse, mais aussi incendies, glissements de terrain)
  • Diminution de la quantité et de la qualité des ressources en eau
  • Désoxygénation et acidification des océans, résultant en une diminution de la biodiversité marine (donc des ressources de la pêche)
  • Changements importants dans la répartition des précipitations (sécheresses à certains endroits, inondations à d’autres)
  • Destruction de certains écosystèmes (régions humides, écosystèmes côtiers, écosystèmes méditerranéens, forêts boréales…)
  • Disparition de la biodiversité (jusqu’à 6% des insectes, 8% des plantes et 4% des vertébrés verraient leur habitat devenir majoritairement invivable à cause du réchauffement climatique)
  • Diminution de la productivité agricole (en particulier pour les productions céréalières, mais aussi végétales)

Le GIEC note aussi que l’ensemble de ces phénomènes sont en interaction réciproque. Il est donc possible que ces phénomènes s’auto-entretiennent et s’alimentent entre eux, aggravant encore les situations envisagées par les prédictions climatiques.

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Que se passera-t-il si l’on ne fait rien ?

À 2°C de réchauffement, l’ensemble de ces conséquences seraient multipliées. Jusqu’à 13% des terres mondiales pourraient se transformer radicalement (désertification notamment), la disparition de la biodiversité serait multipliée par deux. En outre, tous les phénomènes décrits pour un réchauffement de 1.5°C seraient exacerbés en cas de réchauffement de 2°C.

Bien qu’il soit difficile d’évaluer précisément les interactions qui pourraient se déclencher à +2 degrés, les climatologues prévoient :

  • une aggravation des précipitations extrêmes, notamment sur l’hémisphère Nord,
  • une dégradation encore plus prononcée de l’écosystème océanique (avec une perte de 3 millions de tonnes de rendements pour la pêche, soit le double de la situation à 1.5 degrés)
  • une fonte totale des écosystèmes glaciaires 10 fois plus fréquente à 2 degrés qu’à 1.5
  • une diminution des rendements de l’agriculture exacerbée notamment en Amérique Latine et en Afrique

En résumé, les experts du GIEC mettent l’accent sur une donnée fondamentale : les impacts du réchauffement climatique fonctionnent selon une courbe exponentielle. Autrement dit, la gravité des impacts augmentent plus rapidement que les températures : au-delà de certains seuils, une augmentation même minime des températures peut donc avoir des effets extrêmement forts.

Si le rapport ne traite pas spécifiquement des conséquences du réchauffement climatique au dessus de 2 degrés, les précédents rapports avaient déjà mis en garde contre d’éventuels scénarios d’emballement.

Ce que l’on peut faire aujourd’hui contre le réchauffement climatique

Une grande partie du rapport est consacrée à l’étude des possibilités de lutte contre le réchauffement climatique. Sur ce sujet, une donnée est particulièrement importante : selon le GIEC, si l’on arrêtait rapidement toutes nos émissions de CO2, le réchauffement climatique atteindrait probablement déjà +1.5 degrés.

Cela montre deux choses. La première, c’est l’inertie climatique : en gros, chaque fois que du CO2 est émis dans l’atmosphère, il met un peu de temps à faire effet, ce qui signifie que le CO2 que l’on a émis aujourd’hui va entraîner un réchauffement dans les prochaines décennies. Le second enseignement, logiquement, c’est qu’il semble y avoir relativement peu de possibilité de limiter le réchauffement climatique à seulement 1.5 degrés. En fait, les marges de manoeuvre sont extrêmement limitées. Dans tous les scénarios envisagés par le GIEC pour limiter le réchauffement climatique à 1.5, il y a une inversion de la courbe des émissions de CO2 autour de 2020-2025 et une diminution extrêmement rapide de ces émissions pour parvenir à la neutralité carbone aux alentours de 2060. En gros, nous aurions tout au plus quelques années pour réduire durablement nos émissions de CO2. Or ce n’est pas vraiment la tendance : depuis 1945 les émissions mondiales n’ont jamais diminué, sauf pendant les crises économiques. Elles ont stagné 3 ans à partir de 2014 avant de repartir à la hausse en 2017. On est donc assez mal parti pour inverser réellement la tendance. Dans la réalité, si les tendances actuelles se poursuivent, on se dirige plus probablement vers un réchauffement de 3 à 5 degrés. Dans ce scénario, les conséquences pourraient être encore plus dramatiques que ce que ne laisse penser le GIEC dans ce rapport.

Pourtant, le GIEC donne des pistes pour limiter nos émissions, notamment dans le quatrième chapitre du rapport. Voici les principaux en termes d’impact :

  • La transition énergétique : le remplacement des énergies fossiles par l’électricité adossé au déploiement d’énergies à faible intensité carbone serait une des manières les plus efficaces de réduire nos émissions de CO2.

Ici, le GIEC fait notamment référence aux énergies faibles en carbone comme l’éolien, l’hydraulique ou le photovoltaïque, mais aussi à la biomasse et à l’énergie nucléaire. Le GIEC note toutefois que ces transitions énergétiques posent certains problèmes : pour le renouvelable, il s’agit d’un problème de faisabilité technique (comment stocker une énergie intermittente, comment dimensionner le réseau) par exemple. Concernant le nucléaire, le GIEC montre dans certains de ses scénarios qu’il peut être un outil efficace pour limiter l’intensité carbone de la production électrique, mais que son développement est ralenti par des problèmes d’acceptabilité sociale.

Mais cette transition énergétique ne suffit pas : il faudrait aussi réduire drastiquement nos besoins en énergie, limiter les consommations les moins utiles.

  • La transition urbaine et la révolution des mobilités : il s’agirait de penser des villes différentes, mieux construites avec des bâtiments et une mobilité pensée pour réduire nos besoins en énergie.

Le GIEC note que les bâtiments sont responsables de 32% des consommations énergétiques mondiales. Ils sont donc un enjeu clef de la lutte contre le réchauffement climatique et il est possible de réduire ces consommations énergétiques grâce à l’efficacité énergétique (isolation des bâtiments), la construction durable mais aussi grâce à des dispositifs techniques comme les objets connectés et autres capteurs intelligents. Le GIEC préconise aussi de construire des villes plus denses pour réduire les besoins énergétiques et de transport. Cela signifie construire des bâtiments plus concentrés, moins spacieux, limiter l’étalement urbain. Il faudrait également atteindre une réduction de plus de 40% des consommations d’énergie finales dans le transport, avant tout en réduisant notre usage de la voiture mais aussi en passant à des transports plus doux (transports en commun et multimodalité notamment, marche, cyclisme) mais aussi en s’aidant de dispositifs comme la voiture électrique.

Là encore, il ne s’agit pas de simples ajustements comme prendre un peu moins souvent la voiture. Il s’agit de changer radicalement nos modes de vie en ville : changer notre façon de construire pour penser des logements plus petits, plus efficients, des habitats plus denses, ne plus voir la voiture comme un mode de transport prépondérant.

  • La transition agricole : l’agriculture étant l’un des gros contributeurs aux émissions de CO2, le GIEC propose des façons de réduire son impact.

Parmi ces solutions : la réduction du gaspillage alimentaire, l’agroforesterie et la limitation de la déforestation, mais aussi la transformation du système agricole et alimentaire. Le GIEC estime qu’il serait utile de réduire notre consommation de produits animaux tout en montrant que « les stratégies agricoles qui intègrent un système mixte d' »élevage-culture » peuvent améliorer la productivité agricole tout en ayant des impacts positifs en termes de durabilité ». L’objectif de ces systèmes serait de produire mieux (et moins) en combinant les systèmes de culture et d’élevage, c’est-à-dire en passant à des formes d’agroécologie productives.

Encore une fois, on parle d’un changement radical dans nos modes de production alimentaire : sortir de la monoculture, réduire la part de l’élevage et mieux l’intégrer aux cultures, réduire le gaspillage et la surconsommation.

Le rapport propose aussi des mesures comme l’efficacité énergétique dans l’industrie, l’économie circulaire, le développement des moteurs à hydrogène ou encore la capture du CO2. Il note en revanche que les dispositifs comme la capture du CO2 sont « soumis  à de multiples contraintes de faisabilité et de durabilité ».

La leçon du rapport du GIEC : un vrai changement de paradigme est nécessaire

Au final, la grande leçon de ce rapport intermédiaire c’est que pour éviter de dépasser les 1.5 degrés, il faudrait des transitions extrêmement rapides et ambitieuses dans les domaines de l’énergie, des transports, du bâtiment et de l’agriculture. On parle ici de vrai révolution, qui nécessiterait de repenser nos modèles énergétiques, urbains, ou agricoles entièrement.

Depuis le Protocole de Kyoto, les 30 dernières années de lutte contre le réchauffement climatique n’ont même pas permis d’inverser la courbe des émissions. Pratiquement aucun pays dans le monde n’a réellement réussi à faire baisser ses émissions de CO2. Même en France, qui est pourtant dotée d’un réseau énergétique relativement décarboné grâce au nucléaire, les émissions sont reparties à la hausse ces dernières années. Par ce rapport, le GIEC montre que les politiques écologiques actuelles sont clairement insuffisantes pour limiter le réchauffement à 1.5 degrés. Elles sont aussi probablement insuffisantes pour le limiter à 2 degrés. Ce dont nous avons besoin, c’est de sortir de notre modèle économique actuel fondé sur la croissance. Bien évidemment, le rapport du GIEC ne remet pas directement en cause le modèle économique actuel et la notion de croissance économique : le rapport sous-entend même qu’il serait possible de réaliser ces changements de paradigme énergétiques, urbains et agricoles sans changer de modèle économique, notamment grâce à l’innovation et à des politiques publiques adaptées. Toutefois, le rapport rappelle sans cesse que toutes les mesures à mettre en place sont « soumises à des questions de faisabilité, d’acceptabilité sociale ou économique ». En creux, on peut lire dans ces précautions toute la difficulté qu’il y a à concilier notre modèle économique actuel avec les exigences de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le rapport du GIEC montre ainsi la réalité du travail à entreprendre, avec un message clef : on ne peut plus attendre pour mettre en oeuvre de vrais changements de paradigme.