Les litiges climatiques continuent de croître partout dans le monde, notamment ceux ciblant les entreprises, selon une étude du Grantham Institute on Climate change and the environment. Les arguments sont de plus en plus diversifiés et se basent sur une réglementation croissante. Au-delà des tribunaux, ces affaires ont une portée plus politique qui pourrait à terme, changer notre façon d’envisager la responsabilité climatique des différents acteurs. Explications. 

justice climatique : en 2023, 25% des plaintes climatiques concernent les entreprises

Sur 2 666 affaires climatiques recensées par le Sabin Center for Climate Change Law’s climate litigation databases, 70% ont été menées depuis 2015, c’est-à-dire depuis l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat. En 2023, si de plus en plus de pays sont concernés, le nombre d’affaires a cependant ralenti. Une tendance qui pourrait n’être que temporaire et s’expliquer par un resserrement autour de cas emblématiques et stratégiques. 

Si les gouvernements ont été les cibles habituelles de ce type de litiges, 230 actions en justice ont ciblées des entreprises et des associations commerciales depuis 2015, avec une forte accélération depuis 2020 (plus des deux tiers des cas). Si les sociétés sont visées dans seulement 15 % des plaintes aux Etats-Unis, dans le reste du monde, elles concentrent 40 % des plaintes souligne le « Global trends in climate change litigation : 2024 snapshot » du Grantham Institute. 

Et si les entreprises d’énergies fossiles restent les plus ciblées, le spectre des secteurs économiques visés s’étend. De plus en plus d’affaires concernent des compagnies aériennes, d’industries agro-alimentaires, de e-commerce ou encore de services financiers. La majorité sont intentées par des ONG et des particuliers. Aux Etats-Unis cependant, de plus en plus d’acteurs gouvernementaux, comme des États fédérés, poursuivent des entreprises fortement émettrices, notamment pour leur demander de payer les dommages subis. Les plaignants peuvent s’appuyer sur une réglementation qui s’étoffe sur le sujet. 

Greenwashing, droits humains, pollueurs-payeur ou déforestation: les angles d’attaques juridiques se multiplient

Si l’ensemble des affaires recensées dans l’étude concernent le climat, les auteurs montrent que les plaignants sont de plus en plus créatifs en multipliant les angles d’attaque juridiques. 

Ainsi, de plus en plus d’affaires ingèrent les enjeux de droits humains. C’est notamment le cas de la procédure engagée contre BNPParibas par la Comissão Pastoral da Terra et Notre Affaire à Tous. L’entreprise est accusée de ne pas avoir mis en place les processus de diligence raisonnable suffisants pour empêcher les violations de droits humains (ex :accaparement de terres), notamment dans le cadre de ses transactions financières avec le producteur de boeuf brésilien Mafrig. 

Cette affaire est particulièrement symbolique car elle vise aussi la déforestation et le greenwashing, deux autres angles d’attaques climatiques de plus en plus utilisés par les ONG et les autorités publiques contre les entreprises. Ainsi, 81 litiges mêlant les enjeux de changement climatique et de gestion des forêts ont été recensés par l’étude entre 2009 et 2023. Et 47 affaires de greenwashing ont été déposées en 2023. Dans le cadre des allégations trompeuses, près de 70% affaires se sont soldées par des jugements favorables pour le climat. 

Par ailleurs, de plus en plus de collectivités se retournent contre les entreprises, particulièrement les Majors pétrolières, au nom du principe de pollueur-payeur et de la question des pertes et dommages. Le rapport recense plus de 30 affaires dans le monde, dont beaucoup aux Etats-Unis. Par exemple, le comté de Multnomah, dans l’Oregon, demande à ce que plusieurs entreprises fortement émettrices payent 50 millions de dollars US pour les dommages réels subis après le dôme de chaleur de 2021, et 1,5 Md $ supplémentaires pour les dommages futurs. En Europe, TotalEnergies, Holcim ou RWE font partie des entreprises visées par de tels arguments. Jusqu’à présent, ces affaires se soldaient essentiellement au profit des entreprises mais cela pourrait changer, notamment au regard de nouvelles législations comme dans le Vermont (USA).

Enfin, on voit apparaître de nouvelles affaires visant le manque d’adaptation des entreprises aux risques physiques climatiques (chaleur, inondations, ruptures d’approvisionnement, destructions de sites…) mais aussi de mauvaise gestion face aux risques de transition vers une économie décarbonée. 

Pour approfondir : CSRD, devoir de vigilance : une chambre spécifique pour juger les affaires RSE

Quand les plaignants demandent justice contre le climat

Ces dernières années, on voit aussi un retournement de situation s’opérer dans les affaires climatiques. De plus en plus de plaintes visent non pas à contraindre les pollueurs à réparer les dommages ou à adopter des stratégies climatiques alignées avec les besoins planétaires mais au contraire, à lutter contre des réglementations ou décisions trop vertes. Ou du moins à retarder ou à amoindrir leur application.

C’est particulièrement le cas aux Etats-Unis où les réglementations ESG sont sous le feu des critiques. En 2023, plusieurs cas ont ainsi  visé à dénoncer la violation du devoir fiduciaire par l’intégration de critères ESG et climatiques dans les décisions d’investissement de société de gestion ou de fonds de pension engagés dans la transition écologique. Même le géant BlackRock pourtant peu suspect de privilégier l’environnement à la rentabilité en a fait les frais. Le plus important de fonds de gestion du monde est ainsi poursuivi par le procureur général du Tennessee pour avoir provoqué la confusion chez le consommateur en affichant rechercher à la fois un rendement maximal des investissements et un impact minimal sur l’environnement. Quant à l’État du Mississippi, il cherche à imposer à BlackRock une pénalité administrative de plusieurs millions de dollars pour ses politiques d’investissement ESG. 

Ce sont aussi les entreprises qui se retournent parfois contre les Etats qui mettent en place des réglementations climatiques allant contre leur intérêts business, via des procédures spécifiques comme celles des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) ou des différends commerciaux devant l’OMC. Ces procédures non judiciaires se soldent souvent par des transactions amiables qui peuvent coûter très cher aux Etats. 

Pour contrer les attaques, les entreprises intentent également ce que l’on appelle des procès baillons ou SLAPP en anglais. Ces actions juridiques visent des opposants (ONG, acteurs avec des moyens très limités) pour les contraindre au silence via des procédures longues et coûteuses. C’est notamment ce qu’a récemment fait Exxon en portant plainte contre des actionnaires activistes qui lui demandaient de revoir sa politique climatique. Une plainte rejetée par le tribunal mais qui a envoyé un signal très clair aux actionnaires qui s’imaginaient pouvoir donner leur avis sur la stratégie climatique du groupe…

A noter aussi que l’on voit aussi apparaître des litiges « verts contre verts » où les arguments de protection de la biodiversité peuvent s’opposer au développement d’activités plutôt positives pour le climat. C’est notamment le cas concernant des projets liés aux énergies renouvelables comme des parcs éoliens par exemple. 

Justice climatique : quels impacts au-delà des tribunaux ?

Pour les auteurs de l’étude, « la question de savoir si les litiges relatifs au climat font progresser ou entravent l’action climatique reste difficile à trancher ». Si les affaires de greenwashing se soldent souvent par des verdicts en faveur du climat par exemple, ces pratiques continuent d’avoir cours… et le fait que les acteurs économiques s’emparent de plus en plus du droit pour contourner leurs obligations montre que l’histoire est encore loin d’être écrite. Mais certains types d’affaires comme celle d’Urgenda vs l’Etat néerlandais, ont déjà eu des répercussions durables sur la gouvernance nationale en matière de climat et la façon d’appréhender la responsabilité des Etats et des entreprises en matière climatique.

En attendant, de nouvelles thématiques de plaintes émergent, soulignent les auteurs du rapport. Le concept d’écocide a notamment gagné du terrain, avec une nouvelle législation en Europe sur la criminalité environnementale ou en Belgique. De même, les affaires impliquant plusieurs arguments environnementaux (climat & pollution plastique par exemple), permettent une nouvelle synergie d’actions en faveur de la protection de la planète. Et face aux catastrophes climatiques qui se multiplient en raison du réchauffement climatique, de nouveaux litiges apparaissent sur les efforts de reconstruction comme le montre une affaire à Porto Rico qui remet en cause la reconstruction d’infrastructures basées sur les combustibles fossiles.

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Pour approfondir : Ecocide : quel apport de la législation européenne ? 

Illustration : Canva