La rénovation énergétique des logements semble une évidence, mais sa mise en place dans la réalité est complexe. Décryptage d’un enjeu fondamental de la transition écologique.

Avec les objectifs fixés par l’État en termes d’économies d’énergie et de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, l’enjeu est de taille pour accroitre l’efficacité énergétique et climatique du parc de bâtiments existants, tout en garantissant le confort et la qualité de vie des occupants.

Montre-moi ton logement, et je te dirai qui tu es

Alors que rénover son logement est une évidence sur le papier, intéressons-nous à ce qu’il se passe dans la réalité. Là où l’État s’est engagé sur un volume de rénovations de 500 000 logements par an à un niveau BBC rénovation[1], on observe dans les faits que l’objectif est très loin d’être atteint (certains experts parlent de 1 000 rénovations BBC au total sur l’ensemble du parc[2] !). La récente enquête TREMI[3] (Travaux de Rénovation Énergétique en Maison Individuelle) de l’Ademe rappelle que 5,1 millions de logements ont fait l’objet de travaux sur la période 2014 – 2016, dont 75% n’ont pas vu leur niveau de performance énergétique s’améliorer ! Parmi les 25% restants, 20% ont gagné une classe énergétique et 5% ont gagné au minimum deux classes.

Une première explication, sur laquelle tout bon technicien s’accordera, est le prix de l’énergie actuel, qui ne semble pas être un levier de motivation suffisant pour favoriser l’amélioration énergétique des logements (ce qui peut sembler paradoxal quand on sait que 5,6 millions de foyers sont en situation de précarité énergétique ; ce n’est pas tant le prix du kWh mais le volume total d’énergie consommé qui pourrait avoir l’effet d’une « bombe à retardement » comme le rappelle l’institut négaWatt[4] et l’initiative Rénovons ![5] en cas d’augmentation du prix de l’énergie). Par ailleurs, bien que le niveau et le nombre d’aides financières à la rénovation énergétique soient aujourd’hui importants, il semble difficile d’y accéder puisque 40% des ménages n’a pas touché d’aide pour leur travaux, 46% une seule aide et 14% deux aides ou plus selon l’enquête TREMI. Force est de constater que l’ambition politique et la conjoncture actuelle ne suffiront pas à impulser une dynamique massive de rénovation des logements à la hauteur des enjeux.

Une autre explication avancée cette fois-ci par Gaëtan Brisepierre (sociologue de l’énergie), est que la « rénovation énergétique » n’existe pas[6], en ce sens qu’elle n’est pas une action en soi mais qu’elle fait partie d’un projet plus global de travaux. Travaux motivés en premier lieu par l’amélioration du confort, ou encore l’entretien du logement (ce que confirme l’enquête TREMI). Dans cette perspective, l’objectif n’est plus d’augmenter le nombre de rénovations énergétiques, mais bien de profiter de chaque occasion de travaux pour embarquer la performance énergétique comme lors des transactions immobilières, le remplacement d’une installation en panne – vétuste – sinistrée, ou encore la réalisation d’autres travaux d’aménagement. Et puis le logement est d’une certaine façon un prolongement de soi-même, un statut social, comme peuvent l’être les vêtements, le téléphone ou encore la voiture. On touche donc à l’intime, ce qui rend parfois irrationnelles les décisions prises par les propriétaires. Sinon, comment expliquer que l’immense majorité des personnes engagées dans la rénovation énergétique ne vit pas dans un logement rénové aux standards du BBC rénovation ?

Il faut parfois sortir du cadre pour innover

De nombreuses tentatives ont été menées pour tenter soit de rendre obligatoire la rénovation des logements, soit d’inciter les propriétaires à rénover.

Faisant écho aux dispositions prises en début d’année 2018 par l’État dans le cadre du PREB (Plan Rénovation Énergétique du Bâtiment), en particulier le déploiement du SPPEH (Service Public de la Performance Énergétique de l’Habitat) par les régions, ou encore en lien avec la directive européenne EPBD sur l’efficacité énergétique des bâtiments, une expérimentation est actuellement menée par l’association Expérience P2E[7] visant à déployer une démarche de Passeport Efficacité Énergétique en concertation avec les acteurs de la filière et les territoires. Le principe est simple : en mettant en relation un expert en rénovation avec un propriétaire, un état des lieux du logement est réalisé sur site. A l’issue de la visite, l’expert remet au propriétaire une feuille de route de rénovation qui lui indique les travaux à entreprendre pour chaque poste, en plusieurs étapes si le propriétaire n’est pas en capacité de mettre en œuvre une rénovation globale en une seule fois (qui est le parcours à privilégier). En une demi-journée, cette démarche permet de conseiller le propriétaire et de cadrer les travaux à entreprendre dans le temps à un niveau BBC rénovation sans calculs thermiques. Associé au SPPEH et en renfort de l’actuel DPE, le Passeport Efficacité Énergétique pourrait inciter les propriétaires à embarquer la performance énergétique dans leur projet de travaux.

D’autres expérimentations, publiques et privées, sont actuellement en cours. Elles seront bonnes à prendre pour amorcer la pompe du chantier titanesque que représente la rénovation du parc de bâtiments existants. Notamment pour atteindre les objectifs de la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) qui dans les faits exige un niveau d’émissions de GES à l’horizon 2050 qui exclue d’office les énergies d’origine fossile du champ des possibles. Selon l’observatoire climat-énergie, le niveau d’émissions de GES est de +22,7% en 2017[8] par rapport l’objectif fixé pour le secteur du bâtiment. Retard qu’il va falloir rattraper sans plus attendre.

Ce positionnement fort de l’État redistribue les cartes en matière de modèle économique de certains fournisseurs d’énergie, offrant par là même une excellente opportunité pour changer de paradigme dans l’approche de la rénovation des bâtiments : dans le fond, ce n’est pas tant des kWh qu’un niveau de confort et de qualité de vie que recherchent les occupants. Dans ce cas, pourquoi ne pas envisager un forfait « Confort As A Service » basé sur le principe de l’économie de la fonctionnalité ? Contre un forfait mensuel, l’abonné jouit d’un service qui garantit une température ambiante et un niveau de qualité d’air. Ainsi, ce n’est plus le propriétaire mais l’opérateur du forfait qui prend en charge la réalisation des travaux lui permettant de maitriser le coût de l’abonnement. La start’up Kocliko travaille notamment sur ce sujet, ce qui devrait donner des idées à certains fournisseurs d’énergie qui auraient intérêt à muter en fournisseurs de confort… Suivez mon regard !

[box][1] Bâtiment Basse Consommation en rénovation = 80 kWhep/m2.an pour les 5 usages

[2] https://www.incub.net/interview-olivier-sidler-2/

[3] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/enquete-tremi-2017-010422.pdf

[4] https://seafile.institut-negawatt.com/f/a522c684bec84ffea779/?dl=1

[5] http://renovons.org/L-initiative-Renovons

[6] https://gbrisepierre.fr/wp-content/uploads/2016/05/Brisepierre-Les-dynamiques-sociales-de-la-r%c3%a9novation-%c3%a9nerg%c3%a9tique-dans-lhabitat-priv%c3%a9-2016.pdf

[7] http://www.experience-p2e.org/

[8] https://www.observatoire-climat-energie.fr/climat/batiments/ [/box]