Au-delà des énergies renouvelables ou des nouvelles technologies, pour faire la transition écologique, nous allons devoir faire preuve de sobriété. Tentons de comprendre pourquoi, dans ce premier article de notre dossier spécial « Transition écologique et sobriété » réalisé en partenariat avec l’ADEME, l’Agence de la Transition Écologique.

L’enjeu majeur de notre monde pour les décennies à venir, est de parvenir à faire émerger un modèle de société nous permettant de répondre à nos besoins sans dégrader les écosystèmes qui sont la garantie de notre pérennité à long terme. 

Aujourd’hui, notre modèle de société est loin de correspondre à cet idéal de soutenabilité. Nous dégradons le climat, détruisons la biodiversité et les écosystèmes. Nous polluons les milieux avec de multiples substances (azote, phosphore, plastiques, produits chimiques). Nous épuisons les ressources minérales et fossiles de la planète… La communauté scientifique est unanime sur le fait qu’il y a urgence à inverser la tendance.

Il faut réduire massivement et rapidement notre impact sur l’environnement, et ce, dans tous les domaines : émissions de CO2, destruction des espaces naturels, impact sur la biodiversité… Si tout le monde semble aujourd’hui d’accord sur ce constat, il y a toutefois débat sur la manière de le faire.

Faut-il transformer notre mode de vie ? Si oui, à quel point ? Les technologies vertes peuvent-elles nous permettre de faire la transition écologique sans remettre en cause notre façon de consommer ? Les uns et les autres s’affrontent sur ces sujets, s’accusant tantôt de défendre une « écologie punitive », tantôt de promouvoir les illusions des solutions technologiques. Et si la réponse était un peu entre les deux ? Et si la clef de la transition écologique, c’était la sobriété ? Tentons de comprendre.

La transition écologique et les technologies « vertes » ?

Avant toute chose, il faut être très clair sur le constat. La crise écologique est une crise grave, une urgence. Pour éviter des conséquences dramatiques pour les écosystèmes et les sociétés humaines, il faut une réduction massive des dégradations environnementales.

Certains, à l’image de Bill Gates, semblent penser que l’on pourra résoudre cette crise grâce à de nouvelles formes d’énergie, à des alternatives techniques innovantes ou à des technologies plus durables, sans remettre en cause nos modes de consommation. Les énergies renouvelables, l’hydrogène vert, la fusion nucléaire, les technologies de recyclage ou encore les biocarburants sont régulièrement évoquées comme des solutions nous permettant de préserver notre mode de vie en réduisant notre impact environnemental. Pourtant, les données, qu’elles proviennent du GIEC ou d’autres organismes scientifiques, montrent que cela sera vraisemblablement insuffisant.

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En matière de lutte contre le réchauffement climatique par exemple, nous allons devoir, dans les prochaines décennies, diviser par 4 les émissions de CO2 de la planète. Cela veut dire faire baisser nos émissions actuelles, notamment dans les pays développés qui polluent le plus actuellement. Mais en même temps, il faut éviter que les émissions de gaz à effet de serre n’augmentent dans le reste du monde. Or la population de la planète continue d’augmenter, et des milliards d’individus aspirent à de meilleures conditions de vie et vont donc chercher à obtenir plus de conforts, à se déplacer, à consommer plus. Un défi considérable est donc à relever : réduire nos émissions tout en donnant accès à un nombre croissant d’individus à de meilleures conditions de vie.

Pour relever ce défi, les solutions « techniques », comme les sources d’énergies bas carbone (nucléaire, énergies renouvelables, biogaz…), les alternatives comme la voiture électrique ou l’hydrogène ou les innovations vertes sont très certainement une partie de la solution. Pour autant, toutes ces technologies et alternatives ne sont pas sans impact non plus. Les énergies renouvelables ont des impacts écologiques : elles demandent des matériaux, qu’il faut extraire pour construire de nouvelles éoliennes, ou des panneaux solaires. Produire les batteries des voitures électriques est polluant. L’hydrogène est loin d’être toujours écologique. Bref, rien n’est « zéro impact » : il y a toujours un impact carbone plus ou moins fort, et des conséquences environnementales variées.

L’écologie : incompatible avec le « toujours plus »

Cela signifie que si nous déployons ces solutions techniques à grande échelle, l’impact environnemental sera malgré tout conséquent. En fait, si nous généralisons ces technologies à l’échelle mondiale dans le but de soutenir des modes de vie et de consommation tels que ceux des pays développés, nous n’atteindrons vraisemblablement pas nos objectifs climatiques et environnementaux.

Imaginons une planète à 9 milliards d’individus, où chacun (ou presque) souhaiterait parcourir 13 000 km par an en voiture, comme en France. Il faudrait alors des milliards de voitures électriques et autant de batteries, alimentées par des millions d’infrastructure de production d’électricité bas carbone. L’impact environnemental serait gigantesque, en dépit de technologies qui sont pourtant plus écologiques que celles dont nous disposons actuellement. C’est la même chose dans tous les domaines de nos vies : si tout le monde veut demain une grande maison avec jardin, équipée avec tous les équipements numériques dernier cri, si tout le monde veut voyager régulièrement à l’autre bout du monde, même avec des technologies vertes, nous n’atteindrons pas nos objectifs environnementaux. 

De plus, ces alternatives plus durables ne sont pas forcément toujours facilement compatibles avec nos modes de vie actuels, fondés sur toujours plus de consommations. Par exemple, les énergies renouvelables sont certes « bas carbone », mais elles sont aussi intermittentes, ce qui signifie qu’elles ne produisent pas en continu et en permanence. La production d’électricité renouvelable n’est donc pas toujours en adéquation avec nos besoins : si l’on a besoin de beaucoup d’électricité à 19 heures, il n’est pas certain que les éoliennes et les panneaux solaires produisent à ce moment-là. Il faut donc des techniques pour gérer cette intermittence : des capacités de stockage de l’électricité, une interconnexion avec les réseaux électriques des pays voisins par exemple.

Le problème, c’est que plus l’on consomme d’électricité, plus l’intermittence est difficile à gérer, surtout si cette électricité est consommée en même temps par tout le monde. Si nous voulons tous consommer de grandes quantités d’électricité, pour recharger notre voiture électrique, regarder la télévision en 8K sur grand écran et chauffer de grands appartements, il faudra d’énormes capacités de production électrique, de stockage et autres. Concrètement, il sera difficile de généraliser les énergies renouvelables si l’on consomme toujours plus d’électricité. Et même si l’on y parvient, ce sera au prix de problèmes environnementaux nouveaux : plus de matériaux à extraire, de batteries à fabriquer, d’infrastructures à construire…

La transition écologique face à l’effet rebond

Si l’on cherche à faire la transition écologique simplement grâce à l’amélioration de notre « efficacité écologique », on risque aussi de subir le phénomène de l’effet rebond. En gros, l’effet rebond désigne l’effet indésirable qui peut accompagner la réduction d’une pollution, et amener à ce que le résultat d’une action soit à l’inverse de son objectif initial.

L’effet rebond est commun en économie. C’est le cas classique des soldes : on dépense parfois plus pour profiter des « bonnes affaires ». En matière écologique, le phénomène existe aussi : si notre électricité pollue moins, on risquera d’avoir tendance à en consommer plus, ou à ne plus faire aussi attention. Ce qui peut empêcher notre impact environnemental de baisser, et ce malgré une énergie moins polluante.

Pour éviter cela, il faut se contraindre à une démarche volontaire pour limiter les consommations excessives. En un sens, cela illustre que la transition écologique est difficilement conciliable avec l’idée du « toujours plus » : produire toujours plus, consommer toujours plus, posséder toujours plus… Idée qui est pourtant au cœur des modes de consommation contemporains, et surtout de l’imaginaire d’une vie réussie.

Pour vraiment réduire notre impact environnemental, il semble donc inévitable de devoir à la fois améliorer notre efficacité écologique, notamment grâce à des alternatives techniques plus durables, et à la fois adopter des stratégies pour modérer notre consommation en énergie, en ressources ou en espaces naturels. 

Réduire notre impact écologique grâce à la sobriété

Modérer nos consommations, cela revient à interroger nos besoins et les modes de consommation qui les accompagnent. Il ne s’agit évidemment pas de rentrer dans une logique de la privation systématique, et de refuser sans distinction toute forme de consommation ou toute innovation. Il s’agit plutôt de se demander au fond, de quoi avons-nous vraiment besoin ? Et comment peut-on répondre à ces besoins en adoptant une logique de limitation des consommations de ressources et d’énergie ?

Par exemple, plutôt que de chercher à tout prix à remplacer toutes nos voitures actuelles par des « voitures propres » (voiture électrique, voiture à hydrogène) ne pourrions-nous pas nous interroger sur nos besoins en mobilité ? A-t-on vraiment besoin d’utiliser une voiture pour chacun de nos déplacements ? Peut-on adopter des modes de déplacement plus sobres, comme les mobilités actives ou les transports en commun ?  Ou plus simplement, ne peut-on pas limiter certains déplacements lorsque c’est possible ? 

Se poser ces questions, c’est entrer dans une démarche de sobriété. L’objectif n’est alors pas de chercher à maintenir par principe notre mode de vie actuel, mais de voir comment le transformer pour répondre à nos besoins de façon différente, en évitant les excès, en limitant notre impact environnemental. Cela peut aussi être l’occasion d’améliorer notre confort de vie. Ainsi, on pourrait imaginer construire nos espaces urbains différemment, en favorisant la proximité, de manière à limiter le recours au transport : si nos commerces et les différents lieux de notre vie sociale sont proches de nos logements, alors la voiture n’est plus aussi indispensable, et on y gagne en temps, en confort et en impact écologique. Le télétravail est aussi une manière de limiter les déplacements, qui peut (s’il est bien géré) faire gagner du temps et du confort.

La sobriété invite aussi à penser la question des inégalités, qui sont un enjeu fondamental de la transition écologique. Dans une démarche de sobriété, il devient plus difficile de justifier des modes de vie fondés sur une consommation somptuaire et donc les écarts de revenus qui leur sont associés. La lutte contre les inégalités devient alors un point central des décisions collectives.

Sobriété et transition écologique : l’alliance indispensable

Une telle démarche a un gros avantage du point de vue écologique, car elle permet de jouer sur les deux tableaux en même temps, et donc de réduire notre impact de deux façons simultanées. D’un côté on développe des procédés de production plus durables, et de l’autre, on limite l’utilisation de ces procédés pour des usages réellement utiles.

La plupart des études d’experts sur les sujets de transition écologique s’accordent d’ailleurs à dire que la transition écologique passera forcément par une démarche de sobriété. En matière agricole par exemple, il faut certes développer des méthodes agricoles plus durables, mais aussi réduire le gaspillage alimentaire, limiter la consommation de produits d’origine animale (ceux qui génèrent généralement les plus gros impacts environnementaux), choisir des produits à faible impact, comme les légumineuses. Cette sobriété a l’avantage de vraiment réduire de façon significative les conséquences écologiques de notre alimentation, mais aussi d’être meilleure pour la santé et généralement meilleur marché.

En matière énergétique, la transition vers des énergies bas carbone doit s’accompagner d’une démarche de réduction de nos besoins énergétiques, grâce notamment à une meilleure isolation des bâtiments, l’usage des techniques d’efficacité énergétique mais aussi d’une sobriété des usages.

Sobriété numérique, sobriété foncière, sobriété énergétique : cette approche se décline dans tous les domaines. Elle implique de se questionner collectivement sur la hiérarchie de nos besoins, sur les notions d’utilité et de nécessité, pour élaborer ensemble un mode de vie qui permette à chacun de vivre dignement, confortablement, et sans empiéter sur les limites de l’écosystème. La sobriété est un compromis cherchant à concilier l’efficacité des innovations durables et le pragmatisme d’une démarche de modération par la redéfinition de nos besoins. Et compte tenu de l’urgence de la crise écologique, il semble aujourd’hui évident qu’elle doit être au cœur de nos réflexions individuelles et collectives pour mettre en œuvre une transition écologique juste, solidaire et globale.

Voir aussi : Publicité et écologie : incompatibles ?

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