Le soja : pour l’alimentation animale ou pour l’alimentation humaine ? Voilà un faux débat qu’il convient de clarifier pour (enfin) discuter des vrais problèmes écologiques de la culture du soja.

On le sait, en matière d’écologie, le soja n’est pas exactement un bon élève. Sa culture est relativement intensive (surtout en monoculture, et d’autant plus lorsqu’elle est OGM), et elle implique parfois la déforestation de zones importantes de forêts, notamment en Amérique du Sud. On ne compte plus les associations ou organisations dénonçant les impacts négatifs de la culture intensive du soja sur l’environnement, la biodiversité et l’écosystème en général.

De ce fait, le soja est devenu l’objet de questionnements intenses en matière de protection de l’environnement, et il est de plus en plus montré du doigt. Pourtant, au milieu de ces polémiques, certaines données fausses continuent de circuler et empêchent la tenue d’un vrai débat sur le problème écologique du soja. La première d’entre elles est la façon dont est utilisé le soja cultivé dans le monde. Certains prétendent que l’écrasante majorité de la production de soja dans le monde est utilisée pour nourrir le bétail (ce qui contribuerait à délégitimer l’élevage), alors que d’autres prétendent qu’au contraire l’essentiel du soja est utilisé pour l’alimentation humaine (ce qui contribuerait à délégitimer la consommation de produits à base de soja).

Alors qu’en est-il vraiment ? Faisons le point.

Soja, tourteau de soja, huile de soja, alimentation humaine ou alimentation animale ?

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Avant de commencer, il semble nécessaire de faire un point pour comprendre ce qu’est exactement l’industrie du soja et ce qu’elle produit. Car dans la réalité, ni les humains ni les animaux d’élevage ne consomment de soja. En tout cas, pas du soja brut (des graines), ou très peu. Dans le cas des humains, on consomme surtout des produits transformés à base de soja : de l’huile de soja (en majorité), mais aussi (dans une moindre mesure) du tofu, des protéines de soja, du lait de soja. Parfois des pousses de soja ou des haricots de soja (edamame) mais rarement des graines de soja. Dans le cas des animaux d’élevage, ce n’est pas non plus le soja qui est consommé, c’est un sous produit issu du soja qu’on appelle le tourteau. Le tourteau, c’est un résidu d’une graine oléagineuse (cela peut être le soja, mais aussi le colza ou d’autres graines oléagineuses) que l’on obtient après en avoir extrait une partie de l’huile et de l’eau. Il s’agit d’un genre de pâte (pour les moins transformée) ou de poudre (pour les plus courantes) qui contient des taux élevés de protéines.

En d’autres termes, l’industrie du soja sert à produire de nombreux produits, qui sont parfois consommés par les humains, parfois utilisés dans l’alimentation animale. Mais alors qui en consomme le plus ? Nous ? Ou nos animaux d’élevage ? Quand on regarde les chiffres avancés par certaines organisations comme le WWF, on apprend que 70% du soja produit dans le monde est utilisé pour l’alimentation des animaux. Ce chiffre est-il correct ? Pour le savoir, regardons un peu les chiffres de la production mondiale de soja (qui peuvent varier légèrement selon les organisations). Selon l’USDA, on produit dans le monde environ 290 millions de tonnes de soja par an. Dans le même temps, toujours selon l’USDA, il est estimé que l’on produit en moyenne 190 à 200 millions de tonnes de tourteaux de soja (qui sont utilisés à 98% pour l’alimentation animale). En comparant ces chiffes, bingo, on arrive au résultat de 70 % ! 70% de 290 millions de tonne, ça fait bien environ 190 – 200 millions de tonnes. Sauf que ce résultat est un raccourci qui fausse complètement la réalité de l’industrie du soja.

Comment sont fabriqués les produits de soja pour l’alimentation humaine et animale

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Et oui. Car ce que ces chiffres oublient de mentionner, c’est que l’utilisation du soja pour l’alimentation animale ne s’oppose pas à l’utilisation du soja pour l’alimentation humaine. Au contraire, ces deux utilisations sont complémentaires et vont de pair. En effet, la production de tourteaux de soja à destination de l’élevage est le résultat de la production d’un autre sous-produit du soja : l’huile de soja, qui, elle, est à destination de l’alimentation humaine. Selon les données du commerce du soja mondial publiées par Nature Conservacy, 85% du soja mondial est utilisé pour fabriquer de l’huile de soja (à destination humaine) puis des tourteaux (à destination animale).

L’huile de soja est l’une des plus vieilles huiles fabriquées par l’Homme (jusqu’à 2000 ans avant J.C en Chine). Pour la fabriquer, on triture et on broie des graines de soja pour en extraire l’huile. Une fois l’huile extraite, on obtient un résidu plus ou moins gras et plus ou moins riche en protéines, qu’on appelle le tourteau. Une tonne de graines de soja contient environ 170 à 200 kg d’huile, le reste (700 à 800 kg) étant des protéines de soja qui peuvent être utilisées sous forme de tourteau.

Or dans le monde, l’huile de soja est la seconde huile la plus utilisée dans l’alimentation humaine, juste derrière l’huile de palme. Elle est largement utilisée dans la fabrication d’aliments industriels, la préparation de sauces pour les salades, la production de margarines. En fait, souvent, lorsqu’il est indiqué « huile végétale » sur la liste des ingrédients d’un produit, il s’agit soit d’huile de palme, soit d’huile de soja. On produit chaque année 50 millions de tonnes d’huile de soja dans le monde selon l’USDA. Sachant que le soja contient environ 17-20% d’huile, cela correspond donc bien, à peu près, à 250 millions de tonnes de soja brut. Soit presque la totalité (85%, comme l’indiquaient les données de Nature Conservacy) de la production de soja mondiale.

En d’autres termes la production de soja est utilisée à la fois pour l’alimentation humaine, et à la fois pour l’alimentation animale. On commence par extraire l’huile du soja que l’on cultive, puis on donne le reste aux animaux. Ce débat est donc grosso modo sans fondement.

Soja pour l’alimentation humaine ou animale : pourquoi ce débat est problématique

Pourtant, cette polémique est extrêmement problématique car elle nous empêche d’avoir une vraie réflexion intelligente sur l’impact écologique du soja. En effet, on a d’un côté des consommateurs qui blâment les consommateurs végétariens et vegan car leur consommation de soja serait responsable des problèmes écologiques du soja, alors que c’est faux. Et d’un autre côté, on a certains discours qui reprochent aux consommateurs de viande d’être responsables des problèmes écologiques du soja, alors que là aussi c’est faux.

En réalité, il n’y a pas un responsable : l’élevage est tout autant responsable que l’agro-alimentaire, qui produit les huiles végétales. La responsabilité des impacts écologiques du soja est en fait partagée par l’ensemble de la société. Car si la culture du soja est devenue si prédominante, c’est avant tout car elle permet de produire à bas coût toutes sortes d’aliments : des huiles végétales, de la nourriture pour l’élevage, et même d’autres produits comme des peintures, des encres… C’est donc l’alimentation industrielle et intensive qui devrait être remise en cause : l’élevage intensif, la production intensive de produits agro-alimentaires transformés et d’huiles végétales, l’agro-alimentaire de masse. L’impact écologique de la culture du soja devrait nous inciter à imaginer une agriculture à plus petite échelle, plus extensive, qui se repose moins sur l’utilisation de graisses d’origine agro-industrielle, un élevage plus durable, beaucoup moins intensif, où les animaux seraient nourris de façon naturelle.

Or aujourd’hui, la question de la culture du soja est devenue le simple objet d’une polémique stérile et de culpabilisation réciproque qui ne sert plus aucun intérêt écologique. Le problème, c’est l’ensemble de notre modèle agricole intensif, industriel et à bas coût, déjà maintes fois dénoncé dans des rapports de la FAO ou d’autres experts. Plutôt que de nous pointer du doigt mutuellement, nous aurions intérêt à imaginer ensemble un modèle de transition pour le monde agricole : un modèle d’élevage plus durable, en pâturages, un modèle d’agro-alimentaire moins industrialisé, dépendant des huiles végétales. Bref, un modèle agricole globalement extensif et soutenable.