Enseignement au développement durable : un mot d’ordre transversalité !

Denis Guibard - Membre du conseil d’administration du C3D

Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D)

Denis Guibard est membre du conseil d’administration du C3D, directeur développement durable de l’Institut Mines-Telecom et président de la commission développement durable et responsabilité sociétale de la Conférence des Grandes Écoles.

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Une récente étude du Shift Project pointait du doigt le faible pourcentage de formations supérieures qui dispensent des cours obligatoires sur les questions de transition climatique et énergétique. Et pourtant depuis quelques années, on assiste à une transformation des programmes pédagogiques des grandes écoles. Plus seulement enseignés dans des programmes dédiés à partir du master, des cours liés au développement durable ou à la responsabilité sociétale sont dispensés dans tous les parcours, souvent dès la première année. Que ce soit pour former de futur.e.s managers, dirigeant.e.s, ingénieur.e.s ou communicant.e.s, l’enseignement aux enjeux sociaux sociétaux et environnementaux est devenu essentiel, et ce de manière transversale. Car ce sont ces jeunes qui transformeront les entreprises et la société. Et c’est bien aussi poussé par cette nouvelle génération et les nouveaux défis auxquels notre monde fait face, que le corps enseignant devient un acteur de ce changement.

Denis Guibard, membre du conseil d’administration du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), directeur développement durable de l’Institut Mines-Telecom et président de la commission développement durable et responsabilité sociétale de la Conférence des Grandes Écoles, dresse un état des lieux des écoles qui font bouger les lignes.

Intégrer les enjeux liés au développement durable au plus haut niveau des établissements…

Tout comme en entreprise, dans les grandes écoles et facultés, instiller les sujets liés au développement durable ne peut fonctionner que si la prise de conscience se fait « à tous les étages » : les enjeux doivent être intégrés dès les travaux de recherche qui irriguent ensuite l’enseignement, ce qui se traduit notamment par la création de chaires en partenariat avec des entreprises. A Institut Mines-Telecom Business School, par exemple, se met en place une chaire « Good in Tech », qui explore la question de l’innovation numérique responsable et des technologies responsables by design. A l’ESCP, une chaire économie circulaire a été créée en octobre 2018, pour prolonger ces questions et les institutionnaliser au sein de l’école mais aussi à travers l’écosystème des entreprises. Des matinales sont régulièrement organisées pour questionner les grands enjeux de l’économie circulaire. Quant à Audencia labellisée LUCIE, c’est une chaire RSE, qui travaille notamment avec le WWF.

…Et à la vie des étudiants

Sensibiliser les étudiants peut être fait à travers les cours, bien sûr, mais aussi grâce à des semaines thématiques en mode projet et des programmes dédiés : les écoles peuvent et doivent impliquer les étudiants à tous les niveaux. A Institut Mines-Telecom Business School, différentes initiatives sont intégrées aux cursus. Tous les ans, par exemple, les étudiants produisent des simulations des négociations climat, et rejouent notamment la COP21. Cet exercice de négociations, qui s’appuie sur un outil de simulation des paramètres du climat et de la variation des températures, en fonction de l’impact des décisions qu’ils prennent, est hautement formateur. Une autre initiative est l’innovation game, animé par Makesense, et qui demande à des équipes de proposer des solutions à des problématiques liées aux territoires durables soumises par des acteurs locaux. Les étudiants travaillent pendant 2 jours en collaboration avec ces partenaires externes et co-construisent des solutions locales. L’objectif étant de dépasser les questions théoriques avec des exemples concrets, sur le territoire. Cette méthode de « Learning by doing », permet aux étudiants de se confronter à de vrais sujets et d’y répondre de manière professionnelle.

Le Pôle Universitaire Léonard de Vinci forme quant à lui depuis quelques années les étudiants des 3 écoles du pôle – ingénieur, management et multimédia – aux enjeux du développement durable via des cours transversaux en utilisant en particulier les softs skills : parmi ces compétences, il y a la capacité à prendre en compte les problèmes de la société, avoir une vision globale des enjeux sociétaux et se positionner comme un acteur pour proposer des choses et agir, au même titre que la créativité ou l’esprit d’équipe. « Les jeunes issus des établissements supérieurs, destinés a priori à des postes au sein desquels leurs actions et décisions auront des répercussions importantes, doivent intégrer ces soft skills, quelles que soient les formations. » explique Laure Bertrand, enseignante – chercheuse et directrice Soft Skills et Services Pédagogiques Transversaux du Pôle Universitaire Léonard de Vinci. D’autres initiatives y ont été développées, comme des semaines en mode hackaton, avec des thématiques liées aux enjeux de société comme le climat, l’entrepreneur responsable, la gamification aux services des enjeux de société, la ville durable, l’innovation frugale, la préservation des ressources naturelles…. Les étudiants d’une même promotion des 3 écoles, sont alors réunis pour apporter leurs compétences respectives. Il est important d’inscrire ces initiatives dans le marbre : cette semaine, obligatoire, est bloquée dès le départ pour tous les étudiants. L’objectif étant de sensibiliser les étudiants de 1ère année aux 17 ODD et en particulier sur le climat avec une journée systématique sur le sujet. « L’important est que ces projets soient orientés vers les solutions, pour positionner les étudiants en acteurs, » ajoute Laure Bertrand.

Il existe de nombreuses autres actions pédagogiques en fonction des campus, comme celle à HEC autour de la célèbre fresque de la Renaissance, « l’Allégorie des effets du bon et du mauvais gouvernement », d’Ambrogio Lorenzetti (1338). Julien Dossier, professeur à HEC et spécialiste de la transition écologique et de la ville durable, propose une lecture écologique de cette fresque avec ses étudiants en utilisant les symboles, couleurs et proportions du tableau pour élaborer 24 chantiers autour de l’agriculture urbaine, la construction, la consommation, l’eau, les forêts, la biodiversité, l’énergie, l’air… avant de solliciter un artiste pour actualiser la fresque en intégrant ces thèmes. Enfin, des outils comme le Sulitest (Sustainibility Literacy Test), permettent de valider des niveaux de compétences sur les enjeux sociétaux et environnementaux.

Des formations dédiées au développement durable, oui, mais en fin de cursus ou en formation continue

Mais s’il y a bien un engouement des jeunes pour le sujet et une recherche de sens en général, les emplois liés au développement durable sont largement réservés à des personnes maitrisant d’abord leur métier et ayant, en plus, acquis des connaissances environnementales ou sociétales utiles à leur entreprise, dans leur secteur d’activité. Attention donc aux formations spécialisées en développement durable, qui sont à considérer plutôt pour des étudiants en fin de cursus général dans leur branche – science, économie, commerce, droit ou sociologie, notamment. Ces formations sont également très prisées des salariés, en poste, désirant ajouter une corde à leur arc pour « agir de l’intérieur » : les responsables développement durable sont en effet à la fois de puissants acteurs du changement, mais également des « empêcheurs de faire du business « as usual ».

Si, en tant que responsable développement durable, on veut dépasser l’étape du reporting et de la conformité pour agir réellement sur la stratégie d’une organisation, il faut au préalable être crédible et légitime dans l’entreprise, une excellente compréhension du secteur et de ses enjeux et avoir de solides compétences métiers. Ensuite seulement, il est crucial de se former aux sujets du développement durable – en effet, les convictions et la bonne volonté ne seront d’aucune aide pour faire avancer les sujets en interne sans solide bagage sur ce front. C’est également l’avis de Baptiste Venet, co-responsable du Master 239 Développement Durable & Responsabilités des organisations de l’Université Paris Dauphine. « Je suis sceptique quant à l’efficacité d’aborder le sujet du développement durable avec des étudiants qui se spécialisent très jeunes. L’objectif est de construire des étages au fur et mesure avec un socle commun avant des spécialisations. » Il y a bien sûr à Dauphine, dès la 1ère et la 2ème année, des cours portant sur les grands enjeux contemporains, dispensés aux 1 400 étudiants, pour leur donner une vue d’ensemble. Parmi ces grands enjeux, une grande part est dédiée à l’environnement et à l’éthique. Les programmes spécialisés ne se font pas avant la 5ème année, soit en formation initiale, soit en formation continue pour des personnes en reconversion ou des salariés. Un parcours en formation continue qui a d’ailleurs connu une recrudescence importante depuis ces dernières années, illustrant bien les besoins des entreprises pour des collaborateurs en poste, familiers de l’entreprise, mais formés à ces nouveaux enjeux. Même constat à Audencia, où, il y a quelques années, un programme spécialisé avait été mis en place, finalement supprimé au profit de cours intégrés à tous les parcours, de manière transversale.

Des acquis d’hier remis au goût du jour pour répondre aux enjeux de demain

L’un des modules spécialisés d’Audencia réinterroge par exemple le marketing tel qu’il a été enseigné, les dérives de son application et démontre que ces pratiques peuvent aujourd’hui s’appliquer à des projets soutenables. Pour Florence Touzé, responsable de la Chaire RSE de Audencia-SciencesCom, « les réactions des étudiants ont changé en 5 ans, au début ils étaient sceptiques et maintenant, ils trouvent cela normal, je n’ai plus à les convaincre. » L’objectif est de les amener à penser autrement et plutôt que d’opposer les pratiques, de chercher à les aider à comprendre pour changer les modes de consommation, mais aussi de production et les modèles d’affaire. Dans le programme pédagogique, un projet a par exemple été mis en place avec Bocage sur son offre de location de chaussures pour pallier au problème de recyclage des chaussures et travailler sur la question du passage de la propriété à l’usage.

D’autres établissements bien sûr sont dans cette démarche : à l’ESCP, il y a d’un côté des enseignements sur l’économie circulaire via des cours dédiés et de l’autre un « master of science in international sustainability », dédié aux sujets DD. L’objectif est de tisser une passerelle entre deux mondes : le management et l’économie circulaire. L’ESCP travaille ainsi avec des entreprises comme Phénix et des acteurs institutionnels comme l’ADEME, ou l’éco-organisme Eco TLC, dans une démarche interdisciplinaire. « Nous organisons des séminaires de rentrée pour tous les étudiants sur les défis climatiques et environnementaux et comment y répondre, mais aussi des ateliers et workshop, des séances à la Maison des Canaux pour les étudiants… » précise Valentina Carbone – responsable de la Chaire Économie Circulaire de l’ESCP.

Des initiatives pour accompagner les écoles

Les formations sont indispensables, mais évidemment le sujet doit « infuser » l’école elle-même, dans sa stratégie et dans son fonctionnement même, à l’image d’une entreprise. Il existe un ensemble d’outils pour accompagner cette transition, à la fois pour intégrer le sujet dans les cursus de l’enseignement supérieur, et dans les établissements. L’un d’entre eux, conçus notamment par la Conférence des Grandes Écoles et la Conférence des Présidents d’Universités, est le référentiel DD&RS, un dispositif d’auto évaluation des établissements d’enseignement supérieur sur le front du développement durable. Ainsi chaque année, plus de 100 grandes écoles ou universités font remonter leur auto-évaluation dans une logique d’amélioration continue. Ce référentiel peut également donner à une labellisation des établissements les plus avancés dans leur démarche « développement durable ». Aujourd’hui, plus de de 20 établissements ont ainsi reçu ce label.

Les engagements formels pris par les établissements sont également importants pour la prise de conscience et l’action : Institut Mines-Télécom Business School est par exemple signataire des « Principles for Responsible Management Education (PRME) », une émanation du Global Compact, sous l’égide de l’ONU. La commission Développement Durable et Responsabilité Sociétale de la Conférence des Grandes Écoles anime un réseau de référents et aide de plus en plus d’établissements à rentrer dans ce type de démarches proactives. De nombreux dispositifs entre pairs existent également, dans une logique d’amélioration continue. D’autres initiatives existent pour noter et récompenser les démarches des établissements, comme celle de Campus Responsables, projet de Graines de Changement, un laboratoire d’idées et de solutions innovantes en faveur du développement durable, créé en 2004 par Elisabeth Laville, fondatrice d’UTOPIES, cabinet de conseil en développement durable et think-tank. Campus Responsables, créé en 2006, a pour objectif d’inciter les établissements d’enseignement supérieur à intégrer le développement durable à la fois au cœur leurs programmes et dans la gestion de leurs infrastructures, et récompenser, via les Trophées des campus responsables, ceux qui auront mis en œuvre les projets les plus inspirants.

L’énergie des étudiants, levier du changement

Le Manifeste des 30 000 jeunes pour un réveil écologique, l’engagement de Greta Thunberg et autres mouvements étudiants, témoignent d’un fort engouement de la part des générations futures, formidable levier du changement. Un petit déjeuner va notamment avoir lieu avec des jeunes du Manifeste pour un réveil écologique avec les membres du C3D le 6 juin. Les entreprises ont besoin de ces jeunes talents, sources d’inspiration pour répondre aux enjeux du XXIème siècle, et elles se doivent d’être à la hauteur de leurs attentes. Je crois profondément que le rôle de l’enseignement supérieur est très fondamental. Il doit à la fois poser des bases théoriques et scientifiques solides et apporter des solutions concrètes. A nous, académiques, de nous mettre en situation d’informer, de sensibiliser et de former, mais aussi de savoir mettre en situation de responsabilités ces jeunes qui ne demandent qu’à agir, et leur proposer des solutions concrètes. Transmettre à la génération charnière entre le monde d’hier et celui de demain l’envie de bouger et la mettre en capacité de contribuer positivement à la société est notre mission.

Crédit photo : Amphithéâtre sur Shutterstock.

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