Le sursaut ou le chaos… sous 3665 jours

Fabrice Bonnifet - Directeur Développement Durable & QSE du Groupe Bouygues et Président du C3D

Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D)

Fabrice Bonnifet a pour mission d’animer et de coordonner la démarche développement durable du Groupe Bouygues. Il œuvre à l’évolution des modèles économiques des entités et pilote des projets transverses associés à la stratégie : énergie & carbone, ville durable, économie circulaire et de la fonctionnalité… Il assure le reporting extra-financier et le dialogue avec les parties prenantes du Groupe. Fabrice préside également le Collège des Directeurs du développement durable (C3D).

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Discours prononcé par Fabrice Bonnifet, Directeur Développement durable et QSE du Groupe Bouygues et Président du C3D, lors de la cérémonie des vœux du C3D au Grand Palais le 30 janvier 2020.

2020 nous fait entrer dans une décennie décisive pour l’humanité ! Nous le savons tous ici, nous allons devoir d’ici 2030 réduire de plus de 40 % les émissions de gaz à effet de serre, si nous voulons SEULEMENT ne pas dépasser 2° de réchauffement moyen d’ici 2100. Nous voyons déjà l’effet de +1,1° car nous y sommes. Ne nous n’y trompons pas, dépasser les 2° sera une tragédie sans issue car la machine climatique dès lors que le seuil de l’emballement sera atteint ne reviendra pas à un état stable avant des milliers d’années. Chaque dixième de degré supplémentaire augmentera l’occurrence et la gravité des dérèglements climatiques déjà perceptibles partout sur la planète.

Le constat est sans appel, nous avons collectivement échoué à faire évoluer notre modèle de développement qui n’est en rien durable. Il est toujours basé sur la prédation du vivant et des ressources naturelles pour améliorer le confort matériel d’une minorité de terriens, sans contribuer significativement, hélas, ni à leur bonheur ni, encore moins, à leur élévation spirituelle.

Arrêtons de nous mentir une fois pour toutes, la croissance infinie telle que nous la calculons aujourd’hui dans un monde fini en ressources est mathématiquement impossible.

Pourquoi faisons-nous encore semblant d’y croire ?

Il est urgent de définir un nouveau projet de société basé :

  • d’une part sur la préservation des communs, avec pour vision partagée le mieux vivre ensemble au-delà de nos différences culturelles.
  • et d’autre part autour de la lutte contre le changement climatique comme élément fédérateur de toutes les communautés humaines !

Ne nous faisons pas d’illusion, ce constat n’est pas encore partagé par la majorité des décideurs en France et c’est encore bien pire dans la plupart des pays à l’étranger. Et pourtant. Chaque citoyen, état, organisation de toute nature dont bien sûr les entreprises ont la responsabilité d’agir vite. Il parait qu’il reste 10 ans. On aime bien penser qu’il reste encore du temps. Mais il va falloir faire autrement ! Car « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». La citation est attribuée à Albert Einstein. Elle pourrait être celle de chaque acteur du changement. La RSE traditionnelle, la responsabilité Sociétale des entreprises est évidemment insuffisante. Elle doit rapidement être remplacée par la RME, la responsabilité Morale. Car ne pas agir ou faire semblant peut aujourd’hui être assimilé à un crime contre l’Humanité. Si l’inaction perdure comment ne pas envisager des procès, des jugements pour écocides et des citoyens qui attaqueront des entreprises, des villes et des états. C’est bien sûr ce qui va se passer quand lorsque les effets des catastrophes liées aux climat seront tellement dramatiques qu’il ne restera plus qu’à rechercher les vrais responsables du fiasco climatique, mais aussi malheureusement les boucs émissaires. Nous sommes proches de ce moment. 

Alors qu’une part croissante de la jeunesse du monde entier est à juste titre complétement déboussolée au nord par le changement climatique ou désespéré au sud par leur précarité, c’est quoi être davantage responsable ?

Et bien c’est déjà reconnaître notre part de responsabilité. La lâcheté tend à projeter sur les autres la responsabilité qu’on refuse. Ne nous dérobons pas. Il ne nous faut pas seulement accélérer nos démarches de développement durable, il faut radicalement les faire évoluer. Car faire mieux et même plus vite ce que nous faisons déjà, ne suffira pas. Les responsables DD/RSE des entreprises ne doivent plus être simplement les gentils lanceurs d’alerte ou les « bouffons » bienveillants des directions générales ou encore l’alibi de l’inaction chronique du greenwashing ou des démarches anecdotiques et superficielles.

Nous savons bien que nous ne pouvons pas, seuls, changer les choses dans nos entreprises. Nous savons également que les modes de gouvernances actuels ne sont guère compatibles avec le respect des ODD, car ils conduisent à toujours privilégier l’urgence du court terme, sans jamais s’occuper de l’essentiel du long terme. Enfin nous savons tous qu’il est compréhensible de ne pas comprendre une chose lorsque son salaire dépend que l’on ne la comprenne pas.

Notre seul pouvoir est celui des idées, de la compétence, de l’influence, de la sincérité et de l’engagement. Notre fonction a évolué aussi : plus que jamais, nous sommes la vigie et le défricheur. Nous devons regarder vers l’avant et nous devons monter au créneau. Et ne rien lâcher.

Que pouvons-nous faire de plus et de mieux dans notre sphère d’influence, nous les Responsables DD/RSE, pour continuer de faire notre part dans la transition ?

Voici les pistes que le Conseil d’Administration du C3D propose à ses membres pour les mois à venir :

1/ Nous devons nous attaquer à un premier « Everest », et par la face Nord, en plus de ça ! Celui de la comptabilité de nos entreprises. Soyons lucide dans ce domaine également. Le reporting extra-financier des entreprises a permis de mieux comprendre les impacts de nos entreprises, mais il n’a pas permis de les réduire significativement. Nous devons ouvrir urgemment le chantier de la refondation de la comptabilité pour y intégrer le capital naturel et humain au passif du bilan des entreprises. Comment conserver, préserver, protéger ce qui n’apparaît jamais dans les comptes ! Le capital naturel comme le capital humain doivent être évalués à leur coût de maintien sans avoir à les actualiser, ce qui reviendrait à négocier avec la nature, ce qui n’a aucun sens.

2/ Le second sujet est celui de la formation de nos collaborateurs et des futurs salariés au sujet du rôle des flux physiques dans l’économie. On ne peut plus décemment tout attendre d’une décorrélation significative, espérer un PIB ou un chiffre d’affaire qui grandirait sans relation avec le CO2. Pire qu’une utopie, c’est un mensonge, une excuse pour ne pas faire grand-chose en attendant que la technologie nous sauve ! Vous le savez bien : il ne peut y avoir de création de valeur sans transformation de la matière et donc sans énergie. La chimère de la croissance verte ou de l’économie de l’immatériel reposent sur les mêmes paradigmes que l’économie traditionnelle. Et dans l’hypothèse – et il n’y a pas plus hypothétique que cette hypothèse là… –  dans laquelle nous passerions d’un mix énergétique mondial à 80% d’origine fossile aujourd’hui à 100% d’ENR avant 2050, maintenir comme modèle de développement le dogme de la croissance infinie reviendrait à continuer d’exploiter les ressources avec une pression insoutenable sur les écosystèmes.

Rappelons que le jour du dépassement avance chaque année de quelques jours. A ce rythme de croissance dans l’utilisation des matières premières et ce, quel que soit notre mix énergétique, nous aurons besoin de 2 planètes pour subvenir à nos “besoins de gaspillages” d’ici 2050 ! Nous devons donc enseigner à tous le modèle d’une prospérité sans croissance des flux physiques et en forte croissance dans l’économie de la connaissance pour nous aider à moins gaspiller. Sans croissance ne signifie pas sans confort, sans innovation, sans progrès, sans haute technologie…. mais a minima sans croissance dans l’artificialisation des sols et dans l’exploitation des ressources non renouvelables. C’est pour cette raison que nous allons collaborer avec les étudiants à l’origine du Manifeste pour un réveil écologique afin de définir avec eux le socle de connaissances universelles à acquérir pour développer le modèle de l’entreprise contributive. Le modèle qui choisit de placer les connaissances scientifiques comme préalable au processus de création de valeur afin de traiter d’entrée de jeu la question des impacts.

3/ Le troisième sujet réside dans l’accélération des mécanismes de la prise de conscience. Nous avons échoué à sensibiliser le plus grand nombre à la nécessité d’agir vite. Entre ceux qui sont effrayés de la fin du monde et les autres qui souffrent de la fin du mois, il y a tous ceux qui sont seulement spectateurs de leur propre inaction, anesthésiés qu’ils sont par la pression sociale, familiale et l’impérieuse nécessité du conformisme. Nous devons changer notre stratégie de sensibilisation et de communication, sortir de l’entre soi, de notre techno cocon des réseaux sociaux amis, et du microcosme bien-pensant de la RSE de conformité. Notre cible, ce sont les décideurs économiques. Le pragmatisme ne les a pas convaincus, nous allons essayer l’émotion !

4/ Enfin, le dernier sujet concerne les modèles économiques au service de nos clients qui produisent les solutions compatibles avec un monde qui doit se réconcilier urgemment avec le vivant. Ces modèles sont connus mais ils sont encore très fragiles car le réflexe de les comparer avec les modèles linéaires les rend vulnérables. Jamais les modèles économiques alternatifs de l’ESS, de l’économie circulaire et de la fonctionnalité ne pourront rivaliser en termes de rentabilité avec les modèles classiques de l’économie dans laquelle l’énergie et les ressources ne comptent pour rien dans les bilans. Nous allons travailler en partenariat avec d’autres organismes de manière à faire en sorte que ces modèles qui créent de la valeur globale et pas seulement pour quelques uns, deviennent la norme.

Vous le savez, le C3D est une association de professionnels engagés et sincères. Notre raison d’être, c’est la mode, c’est d’être l’association de référence des acteurs qui œuvrent pour des entreprises plus responsables, les seules entreprises qui existeront demain ! Nous sommes une association d’acteurs solidaires et conscients des périls de notre époque et les entreprises qui en sont membres peuvent en être fières.

Crédit image : Agir sur Shutterstock.

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