L’entreprise contributive : la confiance comme principal levier de la transition

Fabrice Bonnifet - Directeur Développement Durable & QSE du Groupe Bouygues et Président du C3D

Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D)

Fabrice Bonnifet a pour mission d’animer et de coordonner la démarche développement durable du Groupe Bouygues. Il œuvre à l’évolution des modèles économiques des entités et pilote des projets transverses associés à la stratégie : énergie & carbone, ville durable, économie circulaire et de la fonctionnalité… Il assure le reporting extra-financier et le dialogue avec les parties prenantes du Groupe. Fabrice préside également le Collège des Directeurs du développement durable (C3D).

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Cet article est issu de la revue Presidency d’octobre 2017.

Nombre d’ouvrages tel celui de Jared Diammond, « Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie », ou plus récemment « Sapiens » de Yuval Noah Harari, présentent l’homme comme le principal responsable de son propre malheur. Et les constats depuis la nuit des temps sont implacables : c’est effectivement le cas. Pourtant, les hommes sont aussi capables du meilleur lorsque les conditions sont réunies, particulièrement celles en lien avec leur capacité à combiner des compétences et des idées pour produire de la valeur. Cette capacité à collaborer est le propre du savoir-faire des entreprises. Alors pourquoi ne pas mieux l’utiliser pour transformer en réalité l’utopie d’un développement durable du monde ? Tout vaut mieux désormais en tout cas que la passivité. « N’est-il pas déjà trop tard pour être pessimiste ? » s’interrogeait en effet Yann Arthus Bertrand dans son film « Home » ! Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable, Qualité, Sécurité du Groupe Bouygues et président du Collège des Directeurs du Développement Durable, nous présente sa vision de l’entreprise contributive.

3 ans pour agir

Les études climatiques récentes indiquent que nous sommes proches du tipping point qui conduira à ce que les scientifiques appellent l’emballement climatique. C’est-à-dire la mise en œuvre d’un phénomène irréversible et incontrôlable de la modification du climat et des éco/socio-systèmes associés qui rendront la planète inhospitalière pour tous à la fin de ce siècle. L’homme aura ainsi réussi « l’exploit », en à peine plus de 200 ans, à surexploiter 4,5 milliards d’années de constitution de ressources de toute nature. Et ainsi détruit sa seule « résidence » dans un périmètre de plusieurs années lumières. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la certitude de cette échéance catastrophique ne modifie en (presque) rien le comportement des hommes au quotidien, y compris de ceux qui ont la chance d’être éduqués.

En effet, la peur est un pitoyable levier de changement face à des enjeux de long terme, du fait de la puissance de nos paradigmes et surtout de notre configuration mentale fruit de milliers d’années d’évolution pendant lesquelles l’anticipation au-delà du jour à venir était inutile. La coercition ou la régulation a également peu de chance d’infléchir notre trajectoire suicidaire dans un monde de près de 200 nations aux intérêts divergents. Alors que faire pour tendre vers la nécessaire transition de notre modèle de développement, si la peur et l’absence d’une gouvernance mondiale efficace n’engendrent pas les changements requis ?

La prise de conscience

Il ne reste donc qu’un levier : le management des organisations et en particulier celui des entreprises. Ces dernières sont devenues plus puissantes que jamais, certaines disposent de plus de moyens que nombre d’Etats souverains. Les meilleures d’entre elles sont des modèles d’efficience par leur capacité à se réinventer en permanence pour conserver leurs clients et par voie de conséquence assurer leur survie. Ces entreprises ont aujourd’hui bien conscience que sans réaction de leur part, les dérèglements climatiques en cours et la déplétion des ressources, viendront impacter leur existence.

Pour autant, pendant des décennies, le mirage de la croissance (matérielle) infinie, l’hétérogénéité du droit social des nations et la résilience de la planète ont fait que les entreprises n’ont pas été obligées de prendre en compte certains droits humains élémentaires et la préservation de l’environnement pour se développer. A quoi bon en effet intégrer dans un bilan les externalités sociales et environnementales négatives générées sur l’ensemble du cycle de vie des produits ou services, dès lors qu’il n’y a pas ou peu de sanctions financières immédiates pour les pollutions générées, et que mère généreuse nature ne facture pas la déplétion de ses stocks ? A l’échelle des nations, le sacrosaint PIB n’est-il pas l’art de compter ce que l’on gagne sans jamais compter ce que l’on doit… à la nature ?

Cependant, ce comportement amoral, cynique et irresponsable est voué à régresser car dans nombre de régions du monde le frein principal au développement est précisément la misère sociale et l’état déplorable de l’environnement. L’humanité s’aperçoit enfin que le business n’est ni plus ni moins qu’une somme de ressources naturelles transformées avec de l’intelligence humaine et beaucoup d’énergie.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la finance responsable progresse chaque jour. Les investisseurs lucides prennent conscience qu’ils n’ont plus intérêt à investir dans des affaires et des entreprises prédatrices de ressources qui conduisent à court terme à une impasse économique. A l’heure des réseaux sociaux et des enjeux liés à l’image (de marque), les entreprises savent que leur premier actif est leur réputation issue de leur responsabilité sociétale (RSE) qui seule nourrit la confiance – or lorsque celle-ci est rompue, les clients s’envolent !

De la défiance à la confiance

A l’heure où les Etats sont embourbés dans la dictature du court terme et où les ONG manquent de moyen pour agir efficacement, la transition passera par les entreprises (et par les villes) car ce sont elles qui ont le plus conscience de leur vulnérabilité. C’est à leur échelle que des décisions – suivies d’effets – peuvent être prises. Dès lors le défi est de passer de l’entreprise prédatrice à l’entreprise contributive et la solution est sous nos yeux : le changement de méthode de management.

On croyait avoir tout lu et tout entendu sur le management, art plutôt que science, incapable de mettre en équation la réussite ou l’échec. Et pourtant certaines entreprises sont en train de démontrer que l’on peut créer de la valeur et être profitable sans détruire l’environnement tout en contribuant au bonheur des parties prenantes ! Y aurait-il une recette ? Oui, cette recette existe, mais requiert encore des leaders « étoilés » pour la mettre en œuvre, avant que le mimétisme consubstantiel à la nature humaine ne généralise ses principes. Car, généralement, tous ce qui fonctionne bien fini par être copié.

Etre une entreprise contributive c’est :

  • intégrer la contribution au bien commun dans ses statuts ;
  • faire de la frugalité dans la consommation des ressources une règle absolue, tout en intégrant les coûts directs et indirects de la production de la reconstitution des ressources nécessaires au business dans l’équation économique ;
  • privilégier les modèles économiques de la fonctionnalité et de la circularité des matières premières ;
  • considérer tous les individus de l’organisation comme des apporteurs permanents de solutions.

Or une entreprise ne peut devenir contributive que très progressivement car l’apprentissage de ces principes fondateurs sont tellement éloignés des standards actuels qu’il est impossible de brûler les étapes. Le premier ingrédient de la recette s’appelle la confiance. Or le management de la majorité des organisations humaines est historiquement basé sur la défiance et c’est encore une pratique (dépassée) utilisée par nombre d’entreprises à ce jour. La défiance c’est toujours plus de contrôles, de procédures, d’empilage hiérarchique, de reporting, d’égo surdimensionnés de certains managers… qui finissent par tuer l’enthousiasme et surtout la créativité des individus qui peu à peu s’étiolent jusqu’à se faner complétement.

La confiance n’est pas l’anarchie ou l’absence de règles : les entreprises contributives fixent simplement leurs valeurs limites à l’intérieur desquelles tout est permis – dès lors que les actions déployées contribuent à l’atteinte de la vision et que la planète (le pourquoi) et les clients (le pour qui) y trouvent leur compte.

Oui, le salut de l’humanité réside très probablement dans les solutions qui restent confinées dans les têtes des hommes et des femmes qui tous les jours sont au contact des réalités du terrain et des défis qui nous font face. Les solutions existent pour produire d’une manière responsable. Laissons véritablement aux collaborateurs la liberté du comment agir, laissons-les s’organiser comme ils le veulent, laissons-les entreprendre et innover en collaborant entre eux et avec l’extérieur. Et pour cela, éloignons la bureaucratie et les génies solitaires qui n’ont pas compris que la performance au sein des organisations complexes provient forcément d’équipes composées de personnes singulières et uniques ! Il paraît que « L’homme est un animal qui a trahi ; l’histoire est sa sanction », souhaitons qu’un jour on puisse ne plus tenir pour vérité cette citation d’Emil Cioran.

Crédit photo : Entreprise contributive sur Shutterstock.

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