La justice climatique est probablement le plus gros enjeux en discussion cette année à la COP27. On fait le point sur cette question, et tous les problèmes qui lui sont liés : responsabilité commune mais différenciée, pertes et dommages, Fond Vert…
[box]À retenir :
- Depuis 1992, les accords internationaux sur le climat prévoient que les pays les plus riches, plus polluants, contribuent plus à la lutte contre le réchauffement climatique
- « Pertes et dommages », « Fond Vert », « Responsabilité commune mais différenciée » sont autant de concepts et d’outils juridiques précisant les responsabilités des pays les plus riches
- Jusqu’à aujourd’hui, les engagements pris en matière de justice climatique restent très insuffisants, et la COP27 devrait à nouveau être l’occasion de discussions houleuses entre les différents pays du monde sur ce sujet.
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Au début des années 1990, la Guerre Froide prend fin. L’idée d’un monde séparé en deux blocs dominateurs (occident contre monde soviétique) s’effrite. Les empires coloniaux ont (presque) disparu et les différents pays du monde commencent à se structurer. Des puissances économiques et politiques nouvelles émergent (la Chine, l’Inde, le Brésil…) et aspirent à participer à la mondialisation et à profiter de ses fruits. C’est dans ce contexte particulier que sont posées les premières pierres des négociations internationales sur l’environnement, au Sommet de Rio en 1992.
À cette époque, les pays dits du « Tiers-Monde » veulent faire entendre leur voix. Pour la première fois dans une grande négociation internationale, les pays en développement, les pays insulaires, les pays les moins avancés participent aux débats. Logiquement, ils imposent que la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ne se fasse pas aux dépends de leur développement économique. Ils demandent aussi que les pays les plus avancés, les plus industriels, qui ont le plus lourdement contribué aux pollutions globales, fassent plus d’efforts.
Depuis, cette idée d’une justice climatique, pourtant centrale dans la transition, est très souvent un point de blocage dans les négociations internationales. Et cette année encore, à la COP27, le sujet sera au coeur des débats. L’occasion de clarifier un peu cette problématique majeure.
Une responsabilité commune mais différenciée
Pour bien comprendre, rappelons quelques chiffres. Au niveau global, les pays dits avancés ou développes représentent la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre. À elles deux, l’Amérique du Nord et l’Europe ont ainsi contribué à plus de 60% des émissions de CO2 depuis le début de l’ère industrielle, et ce, alors qu’elles ne rassemblent que 15% de la population mondiale. Un pays comme la France, bien que relativement petit, fait partie des 10 plus gros émetteurs historiques de CO2 mondiaux. Encore aujourd’hui, une bonne partie de la pollution et des émissions générées au niveau mondial sont liées à la consommation et aux importations des pays les plus avancés. Indéniablement, les pays les plus riches sont donc ceux qui portent la plus grande responsabilité dans la crise climatique.
Pourtant, ce ne sont pas toujours eux qui en subissent le plus fortement les conséquences. La plupart des pays les plus vulnérables face aux modifications climatiques sont des pays pauvres, ou en transition : Etats d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud-Est, petits Etats insulaires… Demander à ces pays de renoncer aux énergies fossiles, ou à certaines industries pour lutter contre le réchauffement climatique reviendrait à leur demander de renoncer à une partie de leur développement économique et social. Impossible alors que ces pays sont aussi ceux qui affichent les plus hauts taux de pauvreté.
Pour permettre une forme de coopération internationale en matière de lutte contre le réchauffement climatique, il a donc fallu trouver une forme de consensus. Comment faire pour que les plus gros pollueurs, qui sont également les pays les plus riches, « paient leur part » en matière d’efforts de transition ? Comment faire pour que la transition ne soit pas un fardeau de plus à supporter pour les pays en développement ? La solution diplomatique a été trouvée grâce à l’article 4 de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) signée à Rio en 1992, qui précise que, « étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent ».
Traduction : pays riches, vous qui avez pollué plus que les autres et qui disposaient des moyens les plus importants, vous devrez faire plus d’efforts.
La justice climatique, les pertes et dommages, le Fond Vert…
Alors, quels efforts exactement ? D’abord, être exemplaires, bien-sûr. Cela veut dire mettre en oeuvre chez soi des politiques ambitieuses de lutte contre le réchauffement climatique. Réduire ses émissions, adapter ses modes de consommation, ses modes de vie, ses modes de transport. Le tout, bien-sûr, sans délocaliser ses industries polluantes. Sur ce sujet, évidemment, il y a encore beaucoup à faire. Même si certains sujets progressent (déploiement des énergies renouvelables, mobilité électrique) les pays riches, Europe et Amérique du Nord en tête, sont encore loin d’avoir mis en place de vraies politiques de planification écologiques basées sur la sobriété.
Mais là où tout est à faire, c’est sur le reste. La CCNUCC précise, notamment dans les alinéas de son article 4, que les pays les plus riches doivent aussi aider, y compris financièrement, les pays les plus pauvres à faire leur transition. « Ils fournissent les ressources financières
nécessaires aux pays en développement parties, notamment aux fins de transferts de technologie,
pour couvrir la totalité des coûts supplémentaires convenus entraînés par l’application des
mesures » [de lutte contre le réchauffement climatique, NDLR]. C’est ce que prévoyait notamment l’accord de la COP15, signé à Copenhague en 2009, avec la création d’un « Fond Vert pour le Climat », qui devait être financé à hauteur de 100 milliards par an avant 2020 par les pays riches. Résultat : jamais les objectifs n’ont été atteints.
La CCNUCC précisait également que les pays riches devaient en quelque sorte « compenser » les dégâts climatiques qu’ils ont causés et aider les pays vulnérables à s’adapter. La logique est la suivante : pendant deux siècles, les pays riches ont généré en masse des émissions de gaz à effet de serre, qui ont d’ores et déjà perturbé la machine climatique. Les conséquences de ces changements climatiques sont déjà visibles dans de nombreux pays, notamment dans les pays pauvres, où elles provoquent des dégâts matériels et économiques, mais surtout humains, sociaux et écologiques majeurs. Il y a donc un double enjeu : réparer ces dégâts (c’est ce que l’on appelle les pertes et dommages) et s’y adapter. Le texte de la convention indique ainsi que les pays riches doivent aider « les pays en développement parties particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques à faire face au coût de leur adaptation aux dits effets. »
Là encore, on est loin du compte : alors qu’on estime que les dégâts causés par les crises climatiques pourraient atteindre près de 600 milliards par an d’ici 2030 dans le monde, il n’existe pas encore réellement de mécanisme de compensation financière internationale.
Un point de blocage dans les négociations climatiques
La situation est donc extrêmement complexe. D’un côté, les pays en développement sont les premiers à subir les dégâts écologiques tout en étant les moins bien armés pour répondre à cette crise, aussi bien en termes d’atténuation que d’adaptation. Les impératifs de développement, le manque de moyens financiers, l’endettement sont souvent synonymes de freins à l’adoption de mesures de transition dans ces pays, qui sont pourtant ceux où se joueront la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre d’ici la fin du siècle. De l’autre, les pays riches, historiquement responsables de la crise, qui disposent certes de plus de moyens restent réticents à remplir les engagements pris dans le cadre de la Convention et des accords des différentes COP.
Il faut dire que politiquement et économiquement, il peut être difficile pour les gouvernements des pays les plus avancés de distribuer des milliards pour la lutte contre le changement climatique dans les pays pauvres, alors même que leurs situations économiques internes se dégradent. Outre un manque évident de volonté politique, on peut constater que les crises qui se succèdent depuis le début des années 2000 (bulle internet, crise des subprimes, crise de l’Euro, COVID, inflation…) rendent difficilement audibles les revendications en matière de justice climatique.
Au fur et à mesure que, chaque année, les COP se succèdent, l’enjeu de la justice climatique reste donc un point de blocage dans les négociations. Et plus le temps passe, plus le noeud se resserre. Chaque année que nous perdons à retarder des mesures d’atténuation et d’adaptation à la hauteur des enjeux climatiques, c’est autant de crises, de catastrophes et de dégâts que nous devrons gérer suite à la multiplication des aléas climatiques.
Les premiers pas vers la justice climatique
Mais heureusement, le sujet de la justice climatique, longtemps masqué par les autres sujets, commence à émerger dans le débat public. De plus en plus d’associations, de citoyens et de mouvements sociaux travaillent, au Nord comme au Sud, à la mise en oeuvre d’une vraie politique de coopération internationale. De plus en plus, dans les pays développés, les voix se font entendre pour que soient mis sur la table les milliards nécessaires à une stratégie ambitieuse d’atténuation et d’adaptation.
Les choses ont commencé à bouger lorsque quelques pays notamment européens ont décidé enfin de prendre leurs responsabilités et de respecter leurs engagements juridiques pris il y a 30 ans. L’Écosse, qui hébergeait la dernière COP, a été l’un des premiers à débloquer des fonds pour les pertes et dommages, avec la Wallonie ou encore l’Allemagne. Ces dernières années, le financement du Fond Vert a progressé, bien qu’on soit encore loin des objectifs, et qu’il s’agisse essentiellement de prêts, plutôt que de dons. Quelques déclarations de certains dirigeants laissent présager que petit à petit, le noeud se délie et qu’enfin le sujet se débloque.
Mais il y a encore beaucoup à faire, et à la COP27, en Egypte, l’un des berceaux du mouvement des non-alignés, il est fort probable que la discussion soit houleuse cette année encore à propos de la justice climatique. De nombreux questions restent à résoudre : qui financera, à hauteur de combien, dans quelles conditions ? Comment s’assurer que les fonds débloqués soient utilisés correctement, et qu’ils ne soient pas perdus dans les méandres des institutions souvent fragiles (et corrompues) de certains pays en développement ? Comment orienter les fonds vers des projets d’adaptation et d’atténuation pertinents, sans tomber dans les dérives que l’on observe souvent avec les projets de compensation carbone ou de reforestation à l’utilité douteuse ?
Une chose est sûre, pour que les choses avancent en matière climatique, il faudra travailler ensemble, et faire en sorte que les plus favorisés contribuent à la hauteur de leurs moyens à la transition et à ses efforts. En 2022, alors que des milliers de milliards d’euros ont été injectés par les pouvoirs publics en Europe et en Amérique du Nord pour soutenir la production économique et des secteurs industriels comme l’automobile ou l’aviation durant la crise sanitaire, on ne pourra plus dire que c’est l’argent le problème. L’enjeu, là encore, c’est plutôt de mieux le partager.
Photo par Markus Spiske sur Unsplash