Face à la transition vers un monde différent, les attentes des Français semblent déjà ambigües et contradictoires. Et il faudra bien trancher.

Avec le déconfinement, c’est la promesse d’une nouvelle page qui s’ouvre. La page d’une transition vers un monde plus juste, plus inclusif, plus écologique. Ces dernières semaines, tous les commentateurs en ont parlé, de ce monde d’après. Pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle tribune vienne alimenter les réflexions sur la société de demain.

Problème ? Lorsqu’on interroge les Français sur ce monde de demain, sur leurs attentes, on observe rapidement des contradictions. Dans ce contexte, il risque d’être difficile de proposer un modèle de société alternatif qui tienne debout. Explications.

Consommation : à la croisée des chemins

Avec la crise du coronavirus, c’est d’abord notre mode de consommation qui est mis en cause. Son manque de résilience, sa trop grande dépendance aux chaînes de production délocalisées… mais aussi l’hyper-consummérisme et ses dérives. De fait, nombreux sont ceux qui appellent de leurs voeux demain une consommation différente : moins excessive, plus responsable…

On le voit dans les différents sondages menés ces derniers jours : selon Viavoice pour Libération, près de 70% des Français estiment qu’il faut ralentir le productivisme et arrêter la recherche perpétuelle de la rentabilité. Même constat chez OpinionWay-Sofinco : un peu moins de la moitié des Français explique qu’il consommera moins après le confinement, avant tout parce qu’ils estiment que l’on consomme trop, en général. Cet appel à une « déconsommation », on le retrouve dans les tribunes portées ces derniers jours par un certain nombre de personnalités.

Pourtant, les Français sont aussi inquiets pour leur consommation. Le pouvoir d’achat est parmi les premières priorités des Français selon l’IFOP. 70% pensent même qu’il faut prioritairement relancer la machine économique, quitte à travailler plus. Selon OpinionWay, 80% des Français ont peur que les prochains mois s’accompagnent d’une diminution de leur niveau de vie. 50% déclarent déjà vouloir continuer à consommer comme avant.

En apparence, on voit déjà donc deux tendances se décliner : on ne veut plus de cette machine économique productiviste et de ses dérives, mais en même temps, on ne semble pas prêts non plus à renoncer au pouvoir de consommation qu’elle offre. Si la crise a permis de faire émerger d’autres formes de consommation, survivront-elles au déconfinement ? Pas sûr quand on voit les files d’attentes se garnir (déjà!) aux portes des enseignes de la fast-fashion ou du fast-food. D’ailleurs, selon un sondage BVA, près d’un Français sur deux dans la tranche des 18-35 ans exprimait vouloir « aller dans un fast food » « le plus vite possible » après le déconfinement…

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Une économie transformée… mais pas trop

Si l’on creuse, on voit que ces contradictions peuvent être profondes. Selon un sondage OpinionWay – Max Havelaar, 70% des Français estiment que la crise actuelle est l’illustration qu’il faut changer nos modes de consommation pour des produits plus responsables (locaux, bio, équitables, sans emballage etc.). Et selon Viavoice pour Libération, 84% des sondés pensent qu’il faut désormais relocaliser en Europe le maximum de filières de productions qui étaient jusqu’ici délocalisées en Asie.

Il y a visiblement une demande forte de démondialisation, de produits fabriqués localement, de façon plus écologique, avec des circuits rémunérant mieux les producteurs. Mais tous ces objectifs sont malheureusement difficilement conciliables avec un maintien constant du niveau de pouvoir d’achat. Produire en France, avec des niveaux de salaire décent n’est évidemment pas compatible avec les prix bas qui nous permettent de consommer autant qu’aujourd’hui. Tout cela mènerait à une hausse significative des prix à la consommation et probablement à une forme d’inflation. Et pourtant, 82% des Français disent « redouter une hausse des prix » selon OpinionWay. Difficile de déplorer les effets dont on chérit les causes.

Il faudrait que l’économie change, mais sans changer vraiment, en fait. Que l’on rémunère mieux sans vendre plus cher. Que l’on produise de façon plus écologique et plus qualitative, avec des matériaux plus écologiques, mais au même prix. Evidemment, cela semble difficile. Heureusement, selon l’IFOP, 68% des Français se disent « prêts à payer plus cher » pour des produits plus écolo et responsables. Mais tous ne peuvent se le permettre : les inégalités persistantes réservent ce privilège (très théorique) à une partie seulement de la population.

Impôts, dépenses et services publics : l’impossible équation

Et il n’est pas non plus sûr que les Français soient prêts à soutenir les politiques publiques qui permettraient ce type de transition.

Ainsi, selon IFOP, 85% des Français estiment que pour l’économie de demain, il faudra baisser les impôts. 67% estiment qu’il faut baisser la dépense publique. Les mêmes Français, qui, à près de 90% estiment, cette fois sur Viavoice, qu’il faudra sanctuariser les services publics comme l’hôpital, l’éducation, la préservation de l’eau et de l’air ou la biodiversité. De meilleurs services publics en dépensant moins ? Voilà une promesse qui sonne très « monde d’hier ».

Comme souvent, l’équation « service publics de qualité – dépense publique – dette – impôts » semble difficile à résoudre. Tout le monde semble volontaire pour de meilleurs services publics, ou pour des politiques redistributives permettant de réguler les inégalités ou de mieux rémunérer les salariés, mais le plébiscite est nettement moins évident quand il faut augmenter la dépense publique pour le faire, et avec elle les impôts ou la dette publique pour financer tout ça.

Les promesses impossibles de la transition

Dans cette période charnière, les attentes sont évidemment énormes, les injonctions nombreuses. Le temps est venu, paraît-il, d’envisager vraiment la transition. Mais laquelle ? Et comment y parvenir ? Et à quel coût ? Voilà autant de questions auxquelles les tribunes et les prises de position répondent rarement. Résultat, les perspectives restent floues, vagues et parfois contradictoires.

Pourtant, si une transition doit se faire, la période à venir sera sans doute celle des choix. Des choix pour lesquels il faudra des perspectives claires, précises et cohérentes. On ne peut pas construire la transition sur des promesses impossibles à tenir. On ne peut pas promettre de meilleurs services publics en réduisant les dépenses de l’Etat (et donc, son corollaire, ses recettes). On ne peut pas promettre à la fois plus de pouvoir d’achat et moins de productivisme. Il faudra décider.

Avant de lancer le chantier, il s’agira donc de préciser les options, afin que l’on puisse décider démocratiquement de la voie à suivre. Avant de se précipiter vers le monde d’après, tentons de bien le définir.