Face aux problèmes environnementaux, beaucoup cherchent à trouver des solutions technologiques capables de transcender les limites de notre modèle actuel. Mais la technologie peut-elle réellement répondre aux enjeux écologiques ?
En matière écologique, il y a certaines choses qui font de moins en moins débat. Tout le monde ou presque s’accorde aujourd’hui à dire que la biodiversité est menacée, que le changement climatique affecte l’écosystème global, que la pollution de l’air est un problème de plus en plus pressant. Les préoccupations écologiques et environnementales sont de plus en plus fortes, et il fait aujourd’hui consensus que notre modèle actuel de développement doit être transformé si l’on souhaite éviter la multiplication des problèmes environnementaux.
S’il y a accord sur le problème écologique, il existe malgré tout un désaccord profond dans le débat environnementaliste sur les solutions à apporter à ce problème. La question de la technologie et du progrès technique est un point d’achoppement particulièrement sensible dans ce débat. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : la technologie et le progrès peuvent-ils réellement parvenir à résoudre les problèmes environnementaux ? Ou faut-il au contraire renoncer à nos technologies modernes (l’énergie, le pétrole par exemple) si l’on souhaite éviter la crise écologique ?
Le progrès technique contre l’écologie ?
Depuis son origine, la pensée moderne et en particulier la pensée scientifique s’est fondée sur la croyance que le progrès pouvait permettre de résoudre les divers défis de l’humanité. Dès le XVIIème siècle, des philosophes comme Francis Bacon ou René Descartes prônent une pensée pratique, basée sur l’invention, capable par la compréhension des sciences d’améliorer la condition humaine. Dans leur sillage, des penseurs comme Auguste Comte ont développé une philosophie « positiviste » de la science, c’est-à-dire l’idée que la science, le progrès, la technique et la technologie peuvent (et doivent) être mises au service de l’homme, de l’amélioration de ses conditions d’existence.
Et il est indéniable qu’au cours de l’Histoire humaine, le progrès technique a contribué à améliorer ou à faciliter les conditions de vie humaines. Les transports modernes permettent de se déplacer plus facilement, l’agriculture moderne a permis d’augmenter nos rendements, les progrès de la médecine soignent mieux aujourd’hui qu’hier, les technologies modernes permettent de mieux communiquer, de mieux apprendre…
Mais du point de vue environnemental et écologique, la technologie est souvent perçue comme une source de problèmes. Lorsque l’on pense aux catastrophes écologiques, elles sont pratiquement toutes liées à des technologies modernes. Le changement climatique ? C’est un problème lié aux énergies modernes (pétrole, charbon notamment). La pollution de l’air ? Causée par les transports modernes et les industries lourdes ou l’agriculture contemporaine. La pollution des sols et des eaux ? Conséquence de l’agriculture moderne et des produits chimiques utilisés dans l’agriculture et l’industrie. Le trou dans la couche d’ozone ? Lié aux émissions de CFC, gaz réfrigérants. La liste serait longue : marées noires, pollutions industrielles, gaspillage souvent lié à l’obsolescence programmée des technologies de pointe…
De fait, depuis longtemps on associe technique et crises. Heidegger dès le 20ème siècle questionnait la problématique de la technique. Dans son sillage des auteurs comme Hans Jonas, Jacques Ellul ou Bernard Charbonneau ont émis une critique sur la technologie, sur son impact écologique et humain. Elle serait source de dépendance pour l’homme, se construirait contre l’équilibre naturel… Ainsi, le Club de Rome affirmait dans les années 1970 que les technologies modernes allaient épuiser les ressources naturelles : charbon, fer, étain et autres… À ce titre, la technologie et le progrès semblent bien être anti-écologiques. De ces courants ont émergé la pensée de la décroissance, c’est-à-dire l’idée qu’il faut renoncer (en partie) à la technologie et au « progrès » pour préserver notre environnement, et la conviction qu’un modèle basé sur la technique ne peut mener qu’à l’effondrement global.
Comment la technologie pourrait-elle résoudre les problèmes environnementaux ?
Néanmoins, il existe encore dans la pensée écologique un vrai courant positiviste, qui croit au contraire que la solution aux problèmes écologiques réside précisément dans la technologie. L’idée est la suivante : si les problèmes environnementaux sont d’origine humaine et technique, alors la solution ne peut être elle aussi qu’humaine et technique.
À la suite de ce courant, on a vu l’émergence de nouvelles technologies « environnementales » : de nouvelles formes d’énergie (comme les algues par exemple, ou encore les énergies marines), de nouvelles formes de transport (comme la voiture électrique, ou l’hyperloop), des manières différentes de travailler (comme le digital et Internet), toutes supposées aider à un monde plus durable. Aujourd’hui, beaucoup d’écologistes estiment que les nouvelles technologies (le big data, les drones, les énergies renouvelables et d’autres) vont permettre d’atténuer et de résoudre les problèmes environnementaux.
Bien des critiques rétorquent que ces nouvelles techniques apportent avec elles leurs lots de problèmes. Ainsi le nucléaire, énergie « propre » du point de vue climatique, pose la question de la gestion des déchets radioactifs. Les énergies renouvelables se heurent à la problématique de l’épuisement des ressources comme le silicium dans les panneaux solaires, des métaux ou encore des terres rares. Sans parler de l’intermittence des énergies renouvelables. Les véhicules électriques eux aussi interrogent : la voiture électrique est-elle vraiment écologique ? Quel est l’impact écologique des batteries des voitures électriques ? Et les ressources en lithium ? Mais les partisans d’une écologie « technologique » répondent que le progrès technique permettra de résoudre ces questions, comme la technique a permis de pallier l’épuisement du charbon par le pétrole, puis du pétrole par le nucléaire et le renouvelable.
Ainsi, la conviction qu’une croissance économique et technologique est compatible avec l’écologie devient de plus en plus forte. On parle alors de « croissance verte », et de « développement durable« , termes toujours emprunts de la croyance que l’humanité peut progresser sans fin.
Technologie et écologie : une réalité plus complexe
Toutefois, ces deux visions sont trop simples pour montrer le lien complexe qui unie écologie et technologie. D’un côté, il semble de plus en plus probable qu’un modèle économique productiviste et ultra technologique mène à moyen (et même à court terme) à de vraies crises généralisées, aussi bien écologiques, qu’économiques et sociales. Mais cela ne doit pas faire oublier que la technologie apporte son lot de progrès en termes environnementaux : notre énergie est de plus en plus propre (en termes climatiques en tout cas), nos technologies sont de plus en plus efficaces, nos transports plus efficients.
Mais la technologie est aussi utile écologiquement car elle permet de mieux anticiper, de mieux prévoir. Les modèles qui permettent aujourd’hui d’élaborer les scénarios climatiques sont issus de technologies modernes. Le Big Data est sans doute la meilleure façon de mesurer notre impact sur l’environnement et de le réduire. Les techniques d’observation modernes alliées aux satellites et autres drones permettent à la fois d’évaluer l’évolution du climat et de l’environnement, mais aussi de prévoir comment nos actions vont l’influencer. La technologie nous aide aussi dans une certaine mesure à moins consommer : grâce à l’efficacité énergétique, grâce à l’éco-conception par exemple. Certains estiment même que grâce à l’amélioration de la technique, grâce à l’économie circulaire, il sera possible d’éviter l’épuisement des ressources comme les métaux ou les terres rares en trouvant de nouvelles techniques d’extraction et de recyclage.
Et si la technologie arrivait trop tard pour sauver la planète ?
Le problème est que le progrès technique se développe de façon indépendante du problème écologique. La plupart du temps, lorsqu’une technologie se développe, elle ne le fait pas pour répondre à un problème écologique, mais pour répondre à un enjeu économique comme la recherche de nouveaux marchés. Il est donc théoriquement possible qu’un jour, la technologie permette de gérer les déchets nucléaires, qu’elle permette de recycler le CO2 et les matériaux rares, qu’elle permette d’extraire de façon rentable des ressources aujourd’hui inexploitées. Il est même possible qu’une « singularité technologique » nous permette de parvenir à produire de l’énergie et de la matière de façon écologique.
Mais si cette possibilité existe en théorie, il est surtout probable qu’elle se développe à côté, ou trop tard par rapport au problème environnemental concerné. Le temps de l’écologie et de l’économie ne sont pas identiques. On le voit très bien vis-à-vis du changement climatique. Aujourd’hui, la technologie pour produire une énergie propre du point de vue carbone est en plein développement (panneaux solaires, éolien, hydraulique, hydrogène vert et autres) grâce à l’émergence de nouveaux marchés. Mais du point de vue écologique, il faudrait que nos émissions baissent immédiatement, pas dans 5, 10 ou 20 ans quand les technologies seront prêtes. Or pour l’instant, ces nouvelles technologies énergétiques n’ont pas permis de mettre fin à l’exploitation du pétrole et du charbon.
D’autres problèmes sont particulièrement urgents : la perte de la biodiversité qui se produit aujourd’hui à un rythme plus fort que pendant les pires périodes d’extinction de la planète, ou encore la pollution de l’air qui tue chaque année des millions de personnes. Pour toutes ces questions, il n’y a (à l’heure actuelle) pas d’incitatif qui pousserait le secteur privé à innover, à trouver de nouvelles technologies. Et lorsque ce marché existera, il sera sans doute déjà trop tard. Car les espèces disparaissent chaque jour et les écosystèmes perdus le sont de façon irréversible.
Technologie et écologie ne sont donc pas nécessairement incompatibles, mais elles exigent des temporalités différentes. Aujourd’hui, il semble difficile de croire que nous parviendrons à protéger l’environnement simplement en misant sur la technologie. Il faudra donc bien trouver autre chose : la sobriété, la décroissance, le changement de nos modes de vie, la régulation… Sans s’illusionner des rêves d’une technologie salvatrice qui n’arrivera peut-être jamais.
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