La part de responsabilité de l’agriculture intensive dans le réchauffement climatique et dans le déclin de la biodiversité pousse les acteurs du secteur agricole à réinventer un nouveau système plus vertueux. Parmi les multiples solutions possibles, celle de modifier l’holobionte des plantes émerge. Une méthode de bioingénierie novatrice mais qui n’est à ce jour pas encore maîtrisée.

L’holobionte. Quel mot étrange. Peu d’indices permettent de comprendre son sens. Est-ce un objet, un animal, un concept ? Et pourtant, il n’y a pas besoin d’aller bien loin pour en rencontrer un. Nous sommes, en tant qu’humains, des holobiontes. Du grec holos, « tout » et de bios, la « vie », ce concept représente tous les êtres vivants qui accueillent en eux d’autres formes de vie.

Des microorganismes (bactéries, virus, champignons, archées…) qui, loin d’être inutiles ou néfastes, sont indispensables à la bonne santé de leur hôte.

L’holobionte peut finalement se définir comme l’ensemble de ces interactions entre l’hôte et les microorganismes qui vivent dans son corps, ce qu’on appelle le microbiote. Ces mille milliards de microorganismes qui parsèment notre intestin et qui nous permettent de digérer, ou « ces bactéries présentes dans les racines des légumineuses [qui] bénéficient de sucres produits par la plante et favorisent sa croissance en lui fournissant de l’azote », comme le suggère cet article de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

L’Homme, à l’instar des autres êtres multicellulaires n’est donc pas un être seul et autonome, il a besoin de ces microorganismes pour vivre et se développer.

Ainsi vient une idée saugrenue. S’il est possible d’agir sur l’holobionte d’un être vivant, il devient également possible de contrôler son état de santé global, de prévenir et d’améliorer la résistance de cet individu face aux agressions extérieures.

Des propriétés qui ont tout leur intérêt dans un secteur clef de la transition écologique, l’agriculture qui est à la fois responsable et victime du changement climatique. Si l’empreinte environnementale de l’agriculture est incontestable, le changement climatique et les activités humaines polluantes sont autant de menaces pour les cultures, mettant en péril la survie de nombreuses personnes dans le monde.

De la vie microbienne à l’holobionte

Les plantes, à l’instar des autres êtres vivants, vivent de cette relation avec leur environnement proche. Si un soin particulier doit être donné aux plantes, une grande partie du développement des cultures se fait dans les sols. Les cultures sont intimement connectées aux sols par le réseau racinaire où elles y puisent les ressources nécessaires telles que de l’eau ou des nutriments. Mais c’est aussi dans ce lieux que vivent une communauté indispensable tant pour les sols que pour les plantes, la communauté microbienne.

Bien que réintroduit dans les années 1990 par la biologiste américaine Lynn Margulis (1938 – 2011), l’holobionte ne prendra son sens actuel qu’une vingtaine d’années plus tard en 2008 grâce aux microbiologistes Ilana Zilber-Rosenberg et Eugene Rosenberg, comme le relate la chercheuse de l’Inrae Marine Biget dans sa thèse sur l’holobionte des vignes.

Ilana Zilber-Rosenberg et Eugene Rosenberg parviennent ainsi à associer deux concepts clefs : l’holobionte pour décrire cette relation de symbiose entre un hôte multicellulaire et son microbiote, et le concept d’hologénome, la combinaison des gènes de l’hôte et des gènes des microorganismes le composant.

Ils émettent ainsi l’hypothèse que modifier la vie microbienne d’un hôte participe à faire évoluer l’holobionte. Mieux encore, ces modifications pourraient avoir un caractère héréditaire. Elles pourraient se transmettre d’une génération à une autre. La recherche sur le microbiote des plantes se développent rapidement depuis les années 2000 et les mécanismes d’échange à l’œuvre entre les plantes sont de mieux en mieux compris. Une aubaine pour les cultures agricoles afin de faire face à la crise climatique et aux différents bioagresseurs présents dans l’environnement.

La transition écologique de l’agriculture grâce à l’holobionte

Il existe deux manières de moduler un microbiome – le lieu de vie d’un microbiote. Soit de manipuler les microorganismes déjà présents d’un hôte, soit d’inoculer un microorganisme directement dans la plante ou ses racines pour qu’il rejoigne la communauté déjà existante. Dans ce deuxième cas, les différentes expériences menées pour modifier un microbiome se sont bien souvent révélées être un échec. Le nouveau microorganisme n’arrive pas à s’établir dans la colonie microbienne et/ou les modifications apportées ne dures pas dans le temps.

L’agriculture porte un intérêt certain pour l’ingénierie du microbiome. Séquestration du carbone, l’amélioration du cycle de l’azote, de la croissance des plantes, augmentation du temps de fleuraison… les usages sont nombreux et variés.

Mais au cœur même de la crise environnementale, deux enjeux principaux ressortent. D’abord celui d’arriver à se passer des pesticides chimiques à l’origine du déclin de la biodiversité. Ensuite, celui d’arriver à rendre les plantes plus fortes et plus résilientes face au réchauffement climatique.

Agriculture : Objectif zéro pesticide

Car dans les champs, c’est l’avenir même de nombreuses espèces d’insectes et d’oiseaux qui se joue. Les pesticides, des substances chimiques utilisées pour prévenir et éliminer les organismes néfastes pour les cultures, ont été amplement généralisés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale afin de répondre aux famines et assurer mondialement, tant la souveraineté alimentaire que l’exportation des ressources agricoles. 

Une consommation d’usage des pesticides chimiques par la filière agricole qui a entraîné le déclin progressif de nombreuses espèces animales et végétales, victimes elles aussi des effets néfastes des pesticides. Malgré une littérature scientifique étayée sur les dégâts de certains pesticides chimiques, la consommation mondiale ne diminue pas. Sur l’ensemble du globe, plus de 40% des espèces d’insectes ont connu une chute de leur population, et 30% de ces espèces sont dorénavant menacées d’extinction. Et les populations d’oiseaux ne sont pas moins touchées par l’utilisation des pesticides. En quarante ans, les populations d’oiseaux aurait diminué de 60% en Europe selon cette récente étude du Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). 

Approfondir : Quelles sont les causes de la disparition de la biodiversité et des espèces ?

Mais la sortie des pesticides engage beaucoup pour les agriculteurs. L’agriculture conventionnelle, majoritaire dans les champs, fonctionne sous perfusion de ces substances chimiques et peut difficilement s’en passer. Difficile, mais pas impossible.

Dans l’optique d’un jour d’endiguer l’usage des pesticides chimiques, une récente étude prospective de l’Inrae s’essaye a dessiner un avenir sans pesticide chimique. L’un des leviers évoqués par l’étude est de « Gérer l’holobionte des cultures en renforçant les interactions hôte-microbiote » afin de lui permettre de mieux résister aux menaces extérieures, les bioagresseurs (ravageurs, maladies, mauvaises herbes…).

Le Streptomyces scabiei, même s’il est un agent pathogène pour les plantes permet de produire par exemple de la thaxtomine, un élément actif commun dans de nombreux herbicides commerciaux. L’inoculer à une culture permettrait de limiter les contaminations et d’éviter les dangers de l’effet cocktail lors de l’usage des pesticides. Et ce n’est pas le seul.

Comme cette étude de 2020 publiée dans Trends in Biotechnology le souligne, l’ingénierie du microbiome peut permettre de combattre de nombreuses maladies des cultures grâce aux bactéries insecticides Bacillus thuringiensis ou Photorhabdus/Xenorhabdus, pour ne citer qu’elles.

Adapter les cultures face au réchauffement climatique

L’agriculture est au carrefour des grands enjeux du 21ème siècle, c’est l’une des filières les plus touchés par le changement climatique. Sécheresses, événements climatiques extrêmes, nouvelles maladies, prolifération de ravageurs, pollutions, les conséquences de la crise climatique anthropique sont nombreuses, mettant en péril la production alimentaire mondiale, et donc la stabilité économique, alimentaire et sociale de nombreuses sociétés.

Face à ces nombreux stress, les plantes s’adaptent elles aussi et développent aussi des mécanismes de survie. Le phénomène « Cry for help » observé par les biologistes montre ainsi que les plantes sont capables de recruter de nouveaux microorganismes afin de minimiser les dommages.

Dans une étude publiée dans la revue Frontier in bioengineering and Biotechnology, deux chercheurs chiliens proposent d’utiliser le Cry for help pour inciter les cultures à recruter des microorganismes utiles dans un futur à 1,5°C ou plus, à l’instar du Glomus intraradices, un champignon bénéfique au développement du réseau racinaire des plantes. Plus les racines sont grandes, plus la plante est capable d’accéder à la ressource en eau. D’autres chercheurs ont pour leur part démontré que deux bactéries, Bacillus et Enterobacter, permettait au blé tendre et au maïs de mieux résister aux sécheresses.

Des risques à jouer avec la Nature

Reste à définir les bons jumelages à faire ? Comment les faire ? À quelle dose ? À quelle fréquence ? Pendant combien de temps ? Et c’est tout le défi, si ce n’est le risque inhérent à la modification d’un holobionte.

L’inoculation de microorganismes peut créer une compétition entre les locataires actuels et les nouveaux arrivants, menant au dérèglement de l’hôte. Et les conséquences de tels changements ne sont pas restreintes aux plantes. Comme toutes les interventions humaines sur l’environnement, modifier la vie microbienne d’une espèce végétale peut avoir des conséquences sur l’ensemble d’un écosystème. Les chercheurs sur l’ingénierie du microbiome mentionnent des changements possibles du taux de pH, une augmentation de substances toxiques, l’affaissement des capacités de stockage de carbone des sols…

Si la vie microbienne évolue régulièrement et rapidement lorsque son environnement change, comme lors des périodes de pluie, la modification de l’holobionte et des microbiomes ne doit pas être prise à la légère, et doit faire l’objet de recherche approfondie pour éviter des répercussions néfastes sur les écosystèmes.

Mais outre ces problèmes de maladaptation, c’est aussi la finalité de l’ingénierie du microbiome qui peut être critiqué. Si l’objectif des études citées est bel et bien de permettre la survie des cultures face aux bioagresseurs et aux sécheresses, l’ingénierie du microbiome n’est pas exempte d’un « effet rebond ». En d’autres termes, que ces améliorations scientifiques servent plutôt à entretenir quelques années encore un marché agricole polluant, incompatible en l’état avec les impératifs socio-écologiques.

Tout un système agricole à transformer

L’holobionte, comme concept offre une toute nouvelle lecture des relations entre les êtres vivants. Cette symbiose entre les hôtes et les microorganismes permet d’aborder un tout nouveau pan de recherche fructueux pour rendre l’agriculture plus respectueuse de la biodiversité et pour permettre aux futures cultures de résister aux prochaines périodes de sécheresse.

Si transformer le monde agricole, les plantes cultivées, les pratiques agricoles, l’usage des ressources, grâce à l’ingénierie du microbiome est une partie de la réponse, le défi à relever est beaucoup plus grand.

La transition écologique de l’agriculture nécessite de réaliser un tour de force social, technique et économique, afin d’adapter en conséquence les standards de production et de préservation des aliments, les habitudes alimentaires des populations, les aides publiques pour les agriculteurs, les politiques commerciales…

Albright, M. B. N., et al. (2022). Solutions in microbiome engineering : Prioritizing barriers to organism establishment. The ISME Journal.

Biget, M. (2021). La vigne comme holobionte : Validité du concept, dynamique temporelle, déterminants environnementaux et application à la définition du terroir microbiologique [Phd-thesis, Université de Rennes].

Rodriguez, R., & Durán, P. (2020). Natural Holobiome Engineering by Using Native Extreme Microbiome to Counteract the Climate Change Effects. Frontiers in Bioengineering and Biotechnology.

Rigal, S., et al. (2023). Farmland practices are driving bird population decline across Europe. Proceedings of the National Academy of Sciences.

Une agriculture européenne sans pesticides en 2050 ? (2023). INRAE Institutionnel.

Un holobionte qu’est-ce-que c’est ? Et pourquoi INRAE s’y intéresse-t-il ? (2020). INRAE Institutionnel.

Pesticides use, pesticides trade and pesticides indicators 1990-2019 | FAO | Food and Agriculture Organization of the United Nations. (2021). FAODocuments.