Alors que les Français viennent de s’exprimer pour ce premier tour des élections législatives, le Rassemblement national apparaît comme le grand vainqueur du premier tour avec plus de 33% devant le Nouveau Front Populaire. Si cela ne donne pas encore la répartition des sièges de l’Assemblée nationale, la forte poussée de l’extrême droite compromet l’avenir d’une transition énergétique « juste » comme le montre l’analyse des différents programmes par différentes ONG, think-tanks et experts. Explications.
Alors que la future assemblée apparaît plus incertaine que jamais, l’avenir de la transition écologique et plus spécifiquement celui d’une transition énergétique juste semble de plus en plus confus et ce alors que les effets du changement climatique se font de plus en plus sentir sur notre territoire (inondations, sécheresses, canicules…). Déjà depuis quelques mois, le cap climat-énergie du gouvernement pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris se faisait désirer : on attend ainsi la troisième Stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui donne les grands objectifs sur 2024-2030, la loi de programmation énergie et climat qui doit fixer les grands objectifs du mix, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui doit préciser les volumes d’investissements à opérer dans chaque filière ou encore le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC).
Le compromis s’avérait déjà difficile avec l’équilibre de la précédente législature. Celle qui s’annonce après ce premier tour risque de conduire à une paralysie voire à des reculs importants si l’extrême droite obtient une majorité ou un nombre de sièges déterminants. Le point sur quelques sujets phares.
Climat : quel mix énergétique pour demain ?
Le développement des énergies renouvelables (ENR)
Alors que la France est à ce jour le seul pays européen à ne pas avoir respecté ses engagements sur le développement des ENR, le Rassemblement national (RN) veut un moratoire sur « les énergies intermittentes ». Si l’éolien est explicitement visé, le solaire aussi concerné selon le député Jean Philippe Tanguy interrogé par Terra Nova. Comment dans ce cas atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Si le RN précise bien qu’il veut rester dans les clous de l’Accord de Paris, cela paraît impossible selon l’ensemble des experts. Alors qu’Ensemble pour la République dit vouloir baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20% d’ici 2027, le parti de la « majorité » présidentielle est muet sur les ENR. Quant au Nouveau Front Populaire, il plaide pour une structuration de filières françaises et européennes notamment sur l’éolien en mer et entend donner une place importante aux ENR dans une loi énergie climat destinée à donner les grandes orientations nationales du mix énergétique et électrique en visant la neutralité carbone pour 2050.
La relance du nucléaire
Si le Nouveau Front Populaire fait l’impasse sur l’atome dans son programme (sans doute en raison de divergences entre partis), le Rassemblement national comme Ensemble misent tous deux sur la relance du nucléaire. La majorité présidentielle en a déjà fait un de ses cheval de bataille depuis plusieurs mois. Dans son programme, il propose de mettre en chantier 14 nouveaux réacteurs nucléaires. Le RN va encore plus loin avec la construction de 20 réacteurs nucléaires dont 6 en service dès 2031, ce qui paraît hautement improbable. « Ce n’est pas sérieux et tout aussi dangereux pour le climat que nos factures ou notre indépendance énergétique », commente ainsi l’expert en énergie Nicolas Goldberg sur LinkedIn. De fait, « tout miser sur le nucléaire ne permettrait pas de respecter l’accord de Paris à l’échelle française », soulignent 2 500 scientifiques dont plusieurs auteurs du GIEC comme Valérie Masson Delmotte et Christophe Cassou dans une tribune initiée par Scientifiques en rébellion et publiée dans le Nouvel Obs. De fait, les nouvelles capacités ne seront opérationnelles qu’aux alentours de 2035 dans le meilleur des cas, voire en 2040. Et leur coût, incertain, et la facture risque d’être particulièrement salée.
Quid de la sobriété et de l’efficacité énergétique ?
Très peu est dit voire rien du tout dans les différents programmes sur la sobriété (stagnation ou réduction de la consommation) ou l’efficacité énergétique (baisse de l’intensité carbone de la production d’énergie). Or comme le rappelle le GIEC : le seul moyen de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C en moyenne à fin du siècle est de sortir des énergies fossiles au plus vite en compensant par une forte augmentation des énergies renouvelables mais aussi en renforçant l’efficacité et la sobriété énergétique.
A noter aussi que le programme d’extrême droite risque d’aggraver la dépendance énergétique de la France aux énergies fossiles, notamment en provenance de la Russie. « Sous des dehors plus mainstream que naguère, le programme de Jordan Bardella en matière énergétique et climatique est en réalité un programme de casseur et non de constructeur, de soumission et non de souveraineté », souligne ainsi Nicolas Goldberg dans une note pour Terra Nova réalisée pour les élections européennes.
Solidarité : quid d’une « transition énergétique juste » ?
Quels effets sur l’emploi des différents programmes ?
« 177 300 emplois industriels* pourraient être menacés ou ne jamais voir le jour si le Rassemblement national accède au pouvoir », alerte la fondation Jean Jaurès dans une note. En s’attaquant aux ENR mais aussi à la voiture électrique ou les pompes à chaleur, les industriels « pourraient en effet choisir de fermer les usines en France pour les délocaliser dans des pays qui prennent vraiment le virage de la transition », estime Neil Makaroff, l’auteur de la note. De son côté, le Nouveau Front Populaire table sur la création de près de 100 000 emplois grâce à son plan de reconstruction industrielle dans plusieurs domaines stratégiques dont les véhicules électriques. A noter que, dans son programme, le NFP entend conditionner les nouvelles implantations industrielles à un diagnostic sur les ressources naturelles et les aides aux entreprises à des critères environnementaux et de lutte contre les discriminations. Selon une note de l’Institut Rousseau sur la faisabilité du programme économique de la coalition, celui-ci permettrait ainsi la création nette d’au moins 495 000 emplois sur 5 ans, dont beaucoup non délocalisables.
Ensemble parie, lui, sur la création 400 usines soit 200 000 emplois industriels supplémentaires, d’ici 2027 en « restant le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements », mais sans préciser les moyens pour y arriver, ni évoquer la décarbonation de l’industrie, souligne le Réseau Action Climat (RAC). La relance du nucléaire pourrait aussi être pourvoyeuse d’emploi. Pour satisfaire la construction de six nouveaux EPR et la prolongation de la vie des centrales existantes comme le souhaite la majorité présidentielle, la filière nucléaire devrait embaucher et former près de 100 000 personnes selon le Gifen, qui réunit les industriels du secteur, dans un rapport remis en avril 2023 au gouvernement.
Quel accès à la mobilité décarbonée ?
Le secteur des transports est le premier émetteur de GES en France mais il est aussi indispensable pour assurer les déplacements des personnes et l’achemiment des marchandises. D’où un délicat équilibre à trouver…
L’union des gauches propose ainsi un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières mais prévoit aussi de renforcer l’attractivité des transports en commun et la mobilité douce avec une TVA sur les billets de train réduite à 5,5%, une tarification préférentielle pour certaines populations comme les jeunes et les précaires, et de rebooster le fret ferroviaire. Ensemble parie davantage sur l’électrification en proposant chaque année 100 000 véhicules électriques en leasing social (un dispositif actuellement suspendu) pour les ménages les plus modestes à 100 euros par mois maximum. Un dispositif « intéressant mais insuffisant pour décarboner les transports » selon le RAC.
A noter qu’aucun des programmes ne traite du transport aérien, alors que le trafic aérien international a explosé en 2023 (+14,2% en France), engendrant une hausse de 16 % de ses émissions de GES, regrette le collectif d’ONG. Et que ce moyen de transport n’est emprunté régulièrement que par 11% des Français.
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Quel signal prix en faveur de la transformation ?
Sur le coût de l’énergie, les programmes tentent de naviguer entre les préoccupations climatiques et le pouvoir d’achat. Mais le compromis entre la fin du monde et la fin du mois apparaît difficile. Tous les partis veulent ainsi bloquer voire réduire les prix de l’électricité, du gaz et du carburant. Mais si cela peut avoir un effet bénéfique pour le portefeuille, le risque est de ne pas donner le signal prix nécessaire à une limitation de la consommation quand c’est possible. Ainsi la mesure phare du RN de réduire la TVA sur l’ensemble des produits énergétiques (électricité, carburant, fioul, gaz…) à 5,5% au lieu de 20% (ce qui est interdit par une directive européenne sur le carburant) « mesure démagogique » de la part de l’extrême droite, selon Greenpeace. Celle-ci ne « permettrait pas de lutter contre la hausse des prix à long terme » et serait même une « incitation à consommer plus ». Pour assurer une juste répartition de l’effort, il est nécessaire d’orienter les aides uniquement vers les plus modestes. Tel que proposé, la mesure pourrait uniquement bénéficier aux industriels comme cela a été le cas pour la baisse de la TV dans la restauration mise en place en 2009 avertissent plusieurs experts. Elle coûterait par ailleurs 16,8 milliards d’euros à l’Etat selon Bercy (12 mds selon le RN).
La question du bâtiment, et plus spécifiquement du logement, est clé pour une transition énergétique juste. 12 millions de personnes sont en précarité énergétique en France. Or le Rassemblement national veut abroger toutes les interdictions et obligations liées aux diagnostics de performance énergétique (DPE). Une mesure qui « laissera de nombreux ménages vivre dans des passoires énergétiques pour longtemps avec des factures de chauffage exorbitantes » assure le RAC. L’union des gauches souhaite elle une isolation thermique complète des logements, une accélération de la rénovation des bâtiments publics comme les écoles et hôpitaux, et un renforcement des aides pour tous les ménages avec une prise en charge totale pour les plus modestes. De son côté, Ensemble prévoit un fonds de rénovation financé par taxe sur rachat d’action destiné à rénover 300 000 logements supplémentaires d’ici 2027 et à soutenir les victimes de retrait gonflement d’argile.
Quel financement ?
Sur le financement justement, les programmes apparaissent aux antipodes en termes de solidarité. Le RN est ainsi opposé au fonds social climat européen qui permet d’aider les ménages les plus modestes à rénover leur logement, d’acquérir un véhicule électrique ou d’installer une pompe à chaleur.
Le Nouveau Front Populaire propose lui d’innover avec le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avec un volet climatique. De quoi assurer au moins 10 milliards euros par an en faveur transition écologique. Le NFP prévoit aussi l’interdiction des niches fiscales les plus polluantes et une taxe sur les superprofits des entreprises qui aurait rapporté 20 milliards de recette en 2023 si elle avait été appliquée au CAC40. Pour l’Institut Rousseau, les 30 milliards d’euros de dépenses supplémentaires prévus par le NFP dans la bifurcation écologique sont cohérents avec les besoins. « Le programme ne provoquera ni explosion du déficit public, ni récession, ni fièvre inflationniste » mais au contraire « une amélioration de toutes les variables de l’économie française » précise l’étude de de l’Institut.
Quant à la différence entre le financement proposé par le NFP et Ensemble, elle « se joue sur l’ambition affichée et la quantité d’argent public nécessaire – un reste à charge nul pour les plus modestes revendiqué pour le Nouveau Front populaire là où Ensemble reste plus flou – et donc bien sûr sur l’équilibre général des comptes publics », souligne le think tank I4CE spécialisé dans le financement de la transition. En ne voulant pas augmenter la fiscalité, Ensemble se trouve ainsi « confronté à la question de savoir où trouver l’argent pour accompagner davantage – et jusqu’où accompagner », souligne son directeur Benoît Leguet dans sa dernière newsletter.
*la note se base sur sur 49100 emplois industriels actuels liés à la transition (véhicules électriques, solaire, éolien, pompes à chaleur) auxquels il faut ajouter les emplois de maintenance (36 570) et aux emplois futurs permis par le développement de l’ensemble de ces métiers et la création de nouveaux (177 300 emplois au total).
Illustration : Canva
Pour un décryptage sur l’ensemble des mesures environnementales, voir le comparatif de FNE.