La France subit des sécheresses récurrentes et aggravées par le changement climatique, menaçant gravement les ressources en eau. Ces épisodes extrêmes ont des impacts économiques considérables, forçant une adaptation rapide de nos infrastructures. Cependant, le pays tarde à mettre en place un plan d’adaptation efficace pour contrer ces effets..
Dans les Pyrénées orientales, l’Occitanie, les Bouches du Rhône ou les Alpes de Hautes Provence, les restrictions de consommation d’eau se multiplient. En 2024, si de nombreux départements français ont en effet connu de belles précipitations, ces départements manquent cruellement d’eau. Pour certains comme les Pyrénées Orientales, la situation qui dure depuis deux ans devient critique, notamment pour l’économie de la région.
Des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents
Une situation qui pourrait s’étendre à une grande partie du pays dans les prochaines années. Car sous l’effet direct du changement climatique, le pays fait face à des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents et prolongés. L’année 2022, où le pays a connu l’une des plus sévères sécheresse de son histoire, montre l’ampleur des conséquences auxquelles il va peut-être falloir s’habituer.
« En 2022, 35 % des sols du territoire ont été en situation de sécheresse (moyenne calculée sur l’année). Cette sécheresse s’est étalée sur 10 mois : de mars à fin décembre. Cette situation est inédite depuis le début des analyses sécheresses de Météo France, qui remontent à 1959 », pointe une note du Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique (Cerema) rattaché au Ministère de la Transition écologique. Ce manque d’eau a été temporaire pour le territoire français mais il peut durer plusieurs années comme c’est le cas au Maroc, qui subit sa sixième année consécutive de sécheresse.
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Agriculture, tourisme, industrie : l’économie chahutée par la sécheresse
Les conséquences économiques de ces sécheresses sont dévastatrices, notamment pour le secteur agricole. Le manque d’eau entraîne une baisse significative des rendements agricoles, menaçant à la fois la sécurité alimentaire des pays, et augmente de facto les coûts et les pertes pour les agriculteurs. Car le réchauffement de l’atmosphère a une influence directe sur le système sol – plante, puisqu’il va accroître l’évapotranspiration (évaporation de l’eau des sols par la transpiration des plantes) et l’assèchement des sols rappelle Jean-Christophe Calvet, chercheur en géophysique à Météo-France lors d’un colloque sur l’« Impact socio-économique de la sécheresse » organisé fin mai 2024 par Forum International de la Météo et du Climat.
« Même si ce sont des chiffres difficiles à consolider, nous avons estimé que sur l’année 2022 dans le département des Pyrénées-Orientales, et je pense qu’on aurait à peu près la même chose sur l’année 2023, des pertes de production de l’ordre de 100 à 120 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros », constate Grégoire Carrier, directeur général adjoint du département des Pyrénées-Orientales lors d’une table ronde du colloque.
Pour le département, c’est une catastrophe car la sécheresse frappe aussi la deuxième base de son économie, le tourisme qui représente 30 à 40% du PIB de la région, soit « à peu près 1,3 milliard d’euros », précise Grégoire Carrier. Le début de la saison estivale de 2023 a été perturbé par des « alertes sécheresse » et « un incendie en avril qui avait particulièrement marqué les esprits sur la côte, vers Cerbère-Banyuls« , une zone d’ordinaire non soumise à des risques incendies de cette amplitude.
En parallèle, la raréfaction de l’eau impacte également les industries qui dépendent fortement de l’or bleu : l’industrie agroalimentaire dans son ensemble, mais aussi la production d’énergie hydroélectrique, comme ce fut le cas pour EDF, ou le transport et la SNCF, deux secteurs touchés lors de l’été 2022. Les industries concernées par les pénuries doivent donc soit réduire leur production, soit investir dans des solutions technologiques parfois coûteuses pour maintenir leur activité, ce qui a un effet domino sur l’économie locale et nationale.
Des inégalités environnementales exacerbées par la sécheresse
Les restrictions d’eau imposées aux particuliers et aux entreprises pendant les périodes de sécheresse exacerbent encore les tensions sur les usages. À l’été 2022, de nombreuses voix se sont élevées contre l’usage de l’eau pour les golfs, les piscines privées, ou pour les « méga-bassines ».
En outre, un autre effet de la sécheresse a des conséquences désastreuses sur les infrastructures et les habitations des ménages. Le « retrait-gonflement des argiles » (RGA), ou sécheresse géotechnique, concernerait plus de la moitié des maisons individuelles en France, soit plus de 10 millions de logements selon une étude de 2021 du Commissariat général au développement durable de juin 2021. Les sols argileux subissent en effet des déformations en fonction de la teneur en eau. Lors des sécheresses, ceux-ci se rétractent à cause du manque d’eau dans les sols et se craquellent, puis regonflent lors des intempéries, causant des dommages sur les infrastructures légères (habitations, infrastructures routières, bâtiments publics…). « Dans les années 2000, nous étions à environ 500 millions d’euros par an de sinistres liés au RGA. Entre 2016 et 2020, nous avons dépassé le milliard. Enfin, en 2022 nous atteignons 3,5 milliards », explique Antoine Quantin, directeur des Réassurances, Conseil et Modélisation pour la CCR (Caisse Centrale de Réassurance). À l’horizon 2050, le coût des sinistres devrait doubler, voire tripler dans les pires scénarios.
Les canicules, les pénuries d’eau, les feux de forêt, tous ces aléas climatiques, ponctués par une détérioration des services lors des épisodes de sécheresse, participent également à la dégradation des conditions de vie dans les régions concernées, et peuvent amener, même si c’est encore rare en France, à des migrations climatiques à l’intérieur du pays.
Un profond besoin d’adaptation d’ici 2050
L’urgence climatique appelle donc à repenser les pratiques agricoles, à moderniser les infrastructures de gestion de l’eau, et à renforcer la résilience des communautés face à ces phénomènes climatiques extrêmes. Les solutions sont multiples, mais passent plus particulièrement dans le cas des sécheresses par une sobriété des usages de l’eau par les foyers et les entreprises, l’adoption de pratiques agricoles plus économes de la ressource en eau, et l’investissement dans des technologies et des techniques d’adaptation pour améliorer la résilience des systèmes ruraux et urbains.
Les épisodes de sécheresse en France sont appelés à devenir la norme plutôt que des exceptions, avec des conséquences économiques et sociales de plus en plus lourdes. Selon les simulations du projet de recherche Explore 2 de Météo France, il devrait y avoir 2 fois plus de sécheresse des sols en 2050, comparé à la période 1976 – 2005. Les pluies devraient se faire aussi plus rares en été, – 10% des cumuls et 15 à 27 jours de sécheresse des sols en plus par an. Enfin, si la consommation d’eau reste la même, il devrait manquer 2 milliards de m3 d’eau.
Face à ces constats alarmants, la question de l’adaptation au changement climatique devient d’autant plus cruciale. La mise en pause du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) suite à la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024 est cependant un coup dur. Attendue depuis janvier 2024, on ne sait pas encore ce qu’il adviendra de ce texte décrivant les grandes lignes de la politique d’adaptation de la France.
La production de blé, victime à l’inverse des fortes intempéries
En 2024, la moisson française de blé tendre, dont la France est le premier producteur et exportateur européen, devrait connaître une baisse historique depuis plus de 40 ans, de l’ordre de 25% par rapport aux cinq dernières années. Principale cause : la météo. Comme l’explique le site Techniques de l’ingénieur, « l’hiver 2023 a été marqué par une abondance de pluie d’une durée exceptionnelle touchant l’ensemble du territoire ; le printemps peu ensoleillé s’est traduit, quant à lui, par un manque de luminosité. Le mois de mars a ensuite connu un excédent pluviométrique qui a atteint environ 85 % (par rapport aux normales 1991-2020). Ces fortes précipitations ont perturbé la réalisation des semis à l’automne puisque les champs étaient inondés ». Mais si cette baisse historique est encore conjoncturelle, son origine peut aussi relever de problèmes structuraux, souligne le site : « ces gigantesques productions vont de pair avec une agriculture très industrialisée et hyperspécialisée. Or, la monoculture induit un épuisement et un appauvrissement des terres sur le long terme ». D’où, là encore, un besoin d’adaptation et de refonte radicales des pratiques agricoles.
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