Dans un contexte morose, la rédaction de Youmatter formule 5 vœux pour que 2025 soit une année qui fasse avancer la transformation écologique et sociale de notre société. Les vents contraires sont nombreux mais l’envie de nombreux acteurs de changer la donne aussi ! Alors on continue à se mobiliser !
Faire preuve de courage dans un contexte de backlash écologique
Les réglementations environnementales et sociales ne sont plus à la mode, les politiques volontaristes des grandes entreprises non plus. Nous sommes donc face à un moment de vérité : si les entreprises ne sont pas incitées par la législation, la fiscalité ou la réputation, à opérer dans le respect de l’environnement et des populations, alors des masques vont tomber. On commence déjà à le voir avec certaines grandes entreprises qui abandonnent ou retardent certains investissements dans la décarbonation ou la réduction du plastique par exemple.
Pour les entreprises qui tiendront bon ce cap, cela demande donc du courage et un engagement sincère. C’est notamment ce que montrent les entreprises qui se sont engagées dans le processus de la Convention des entreprises sur le Climat (CEC). « Quand j’ai commencé la CEC, je pensais que ce serait assez easy pour nous car notre activité est basée sur la seconde main. Mais je me suis pris une grosse claque car j’ai compris que c’était un changement bien plus profond qu’il fallait réaliser », rapporte Anne Catherine Pechinot, directrice générale d’EasyCash lors d’un bilan de la CEC. Quand elle a annoncé aux franchisés les premiers renoncements par souci écologique, il a fallu s’asseoir sur des marges importantes…qui n’ont pas été faciles à faire accepter. Pour autant, elle ne ferait pur rien au monde marche arrière car elle le sait désormais « grossir n’est pas grandir ».
Quant à Christophe Martin, le directeur général de Renault Trucks, qui refond en profondeur le business model de l’entreprise, il a dû faire face à l’incompréhension initiale des actionnaires et convaincre ses collaborateurs de se focaliser sur l’électrification ou la remise en état des camions…Pas toujours une partie de plaisir. « A court terme, cela n’est pas toujours bien compris par nos clients et cela dégrade nos résultats mais j’y vais quand même car sinon, on fonce dans le mur », assure-t-il. On formule le vœu que de plus en plus d’entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, aient cette détermination pour transformer en profondeur leur modèle d’affaires dans le respect des limites planétaires. Et cela passe notamment par le fait de rendre cette transformation désirable…
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Ces derniers mois, de nombreuses études ont encore démontré combien le coût de l’inaction allait nous coûter plus cher que celui de l’action. C’est vrai pour l’action climatique à l’échelle macroéconomique (en 2023, l’ADEME estimait que l’inaction entraînerait une perte annuelle de 10 points du PIB d’ici 2100) mais aussi, dans certains secteurs, à l’échelle de l’entreprise. Selon le World Economic Forum, les entreprises qui ne s’adaptent pas aux risques climatiques tels que les chaleurs extrêmes pourraient perdre jusqu’à 7 % de leurs revenus annuels d’ici 2035, tandis que celles qui investissent dans l’adaptation, la décarbonation et la résilience peuvent éviter entre 2 et 19 dollars de pertes pour chaque dollar dépensé. C’est la même chose pour la biodiversité nous précisent deux récents rapports de l’IPBES. Si l’on retarde l’action de 10 ans, le coût sera deux fois supérieur. A l’inverse, si on agit dès maintenant, plus de 10 000 milliards de dollars pourraient être générés par des approches économiques respectueuses de la biodiversité et 395 millions d’emplois pourraient être soutenus à l’échelle mondiale d’ici 2030. Le tout sachant qu’au-delà des questions économiques, ce sont les conditions de vie dans lesquelles nous évoluerons dans les prochaines années qui sont en jeu.
C’est pourtant la voie de l’inaction que nous prenons actuellement. Beaucoup de grandes entreprises sont en retard sur l’atteinte de leurs objectifs et la plupart des PME et ETI n’ont pas encore pris conscience de l’urgence. Une étude de Bpifrance montre que 57 % des dirigeants interrogés estiment que leur entreprise est faiblement exposée aux aléas climatiques et 68 % que l’adaptation au changement climatique n’est pas un sujet stratégique majeur. Cela pose un vrai problème en termes d’investissement et de stratégie. Formulons donc le vœu que 2025 soit l’année de l’action. Il faudra notamment pour cela que soient enfin validés et mis en place les grands plans stratégiques de l’Etat sur l’énergie (programmation pluriannuelle de l’énergie), la décarbonation (stratégie nationale bas carbone) et l’adaptation (plan national de l’adaptation au changement climatique).
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Viser la robustesse dans un monde de plus en plus incertain
Dans un monde où le franchissement des limites planétaires et des points de bascule écologiques risquent de chambouler l’équilibre fragile de notre écosystème Terre, où les gouvernements vacillent, et où les lendemains sont globalement de plus en plus incertains, il importe de changer de logiciel. Le culte de la performance et du toujours plus qui nous conduit dans une impasse écologique et économique (comme le montrait déjà le Club de Rome dans les Limites de la croissance en 1972), doit être remisé au profit de la recherche de la robustesse, estime Olivier Hamant.
En cela, il faut savoir observer le vivant qui concentre toute une « myriade de contre-performances », nous enjoint le chercheur de l’INRAE. « Que trouve-t-on dans les réseaux des écosystèmes, les réseaux de neurones ou les réseaux génétiques ? De façon massive et prévalente : de l’hétérogénéité, des processus aléatoires, des lenteurs, des délais, des redondances, des incohérences, des erreurs et de l’inachèvement », écrit le biologiste dans son livre Antidote au culte de la performance, la robustesse du vivant. Si on le transpose dans le monde économique, cela veut dire produire pour nourrir les écosystèmes et non les dégrader, travailler sur les communs, repenser la notion de travail, prendre soin des gens, les faire « grandir »… Certains apeleront cela l’entreprise à visée régénérative mais formulons le vœu que cela soit tout simplement le rôle de toute entreprise qui souhaite durer…
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Assumer ses vulnérabilités, prendre soin de celles des autres
Être robuste, c’est aussi valoriser nos points dits faibles qui nous construisent et nous servent autant que nos points dits forts. Mais cette vulnérabilité a aussi ses revers si l’on n’en prend pas soin. Impossible donc de ne pas le prendre en compte aussi dans les entreprises et l’économie, elles-mêmes touchées. D’autant que nous évoluons dans un contexte qui aggrave notre sensibilité aux risques. Dans un livre blanc qui se projette en 2040, Demain toutes et tous vulnérables, le groupe de santé mutualiste Vyv, met ainsi en avant l’altération du contexte écologique (conditions climatiques, pollutions, maladies infectieuses…) et la transformation de nos modes de vie (pénibilités accrues au travail, érosion des solidarités collectives, précarisation rampante…) comme facteurs de vulnérabilité. Si nous sommes tous exposés à ces risques, nous ne le sommes cependant pas tous au même niveau. Le Giec l’a montré dans ses travaux, de même que les chercheurs du World Inequality Lab, les inégalités environnementales, sociales et économiques se renforcent entre elles. Or ces inégalités se creusent partout dans le monde et la France est très loin d’être épargnée.
Le chemin que nous prendrons à l’avenir, y compris dans la transformation écologique, devra l’intégrer car tous les scénarios n’auront pas le même impact sur les populations. Or cette dimension, souvent englobée dans le terme de transition juste, peine à voir le jour. Dans un grand entretien publié par La Fabrique écologique, l’eurodéputé (Renew) Pascal Canfin reconnaît que c’est l’un des points faibles du Green Deal. C’est aussi encore trop souvent un impensé dans la transformation du travail comme le montrent plusieurs études alertant sur le fait que les métiers verts (comme les métiers du social), notamment les moins qualifiés, sont aussi les plus pénibles… Formulons donc le vœu d’assumer pleinement nos vulnérabilités et de prendre soin de celles des autres.
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Coopérer, faire écosystème pour préserver nos communs
Enfin, face à l’adversité, il est essentiel de se serrer les coudes. Dans L’entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle nous rappelaient que dans la nature, les espèces qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus « fortes », mais celles qui s’entraident le plus. Dans un monde économique où la concurrence et la compétition sont érigées en valeurs phares, cela doit nous interroger. D’autant que nos ressources communes sont mises en péril par la surconsommation ou le changement climatique. Le dialogue et la coopération entre acteurs d’un territoire, citoyens, entreprises, autorités publiques, doit ainsi s’organiser pour préserver les communs – trop souvent vus comme des simples ressources – dont ils dépendent. Ce n’est malheureusement pas ce que nous avons vu au niveau multilatéral en 2024 dans les différentes COP sur le climat et la biodiversité notamment ou dans les négociations visant à la lutte contre la pollution plastique. Une réforme de ces cénacles doit être envisagée mais aussi et surtout un changement d’état d’esprit.
A ce titre, l’exemple du secteur de la mode responsable française peut nous inspirer. Julia Faure, co-présidente du Mouvement Impact France et co-fondatrice de la marque Loom, cite souvent la collaboration entre marques pourtant concurrentes dans ce secteur encore de niche. Pour faire face à la menace encore plus grande du low cost et de la fast fashion, celles-ci se sont regroupées dans une association, baptisée En Mode Climat dont l’ambition est de « changer les lois, pour que la mode réduise ses émissions de CO2 ». Cela s’est traduit très concrètement dans leur alliance avec des députés pour faire émerger une proposition de loi anti fast-fashion. Si celle-ci est aujourd’hui bloquée du fait des soubresauts politiques qui ont secoué le dernier semestre 2024, c’est aussi ce travail de coopération entre ONG, députés, syndicats, investisseurs et autres acteurs économiques engagés qui avait fait advenir la loi sur le devoir de vigilance en 2017. Si son application reste encore plus que perfectible, elle a ouvert la voie à une réflexion sur la responsabilité de l’entreprise dans toute sa chaîne de valeur plus que jamais d’actualité. Pour 2025, formulons donc le vœu que la coopération, à toutes les échelles, devienne la règle de notre société pour qu’elle ne se fracture encore davantage.
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Illustration : Canva