C’est quoi un salaire décent ? D’où vient ce terme ? À quoi correspond cette rémunération ? Quelle est la différence avec le salaire minimum ?

Le salaire décent, « living wage » en anglais, ou salaire vital, suppose que pour que les personnes puissent sortir de la pauvreté, tout travailleur, quel que soit son statut, doit recevoir un revenu suffisant capable de couvrir ses besoins (alimentation, logement, éducation, hygiène, loisirs) ainsi que ceux de sa famille, et lui permettre d’avoir une liberté économique pour faire face aux potentielles dépenses imprévues.

Le salaire décent, c’est quoi ?

Salaire décent et salaire minimum sont parfois confondus. Mais si ces deux formes de rétribution ont un objectif similaire : celui de représenter une protection économique pour les employés et les éloigner de la pauvreté, ces deux concepts représentent pourtant deux réalités différentes comme l’OCDE le pointe dans son rapport. Le salaire minimum fixe un revenu minimal sous lequel un employeur ne peut payer son employé. Le salaire décent, lui, va plus loin que le salaire minimum puisque les entreprises s’engagent à payer un revenu calqué sur le coût de la vie. Il varie donc selon les territoires. On parle aussi parfois de salaire d’efficience ou de salaire vital.

Par exemple, l’Organisation internationale du travail (OIT) le défini comme un « niveau de salaire nécessaire pour assurer un niveau de vie décent aux travailleurs et à leur famille, compte tenu de la situation du pays et calculé pour le travail effectué pendant les heures normales de travail. »

Pour l’ONU, c’est un salaire « permettant aux travailleurs d’acquérir des biens et services fondamentaux (logement, nourriture, santé, éducation, transport, vêtement mais aussi épargne) pour eux et leur foyer. »

Pour l’Asia Floor Wage, le salaire décent doit aller plus loin que le fait de remplir seulement les besoins fondamentaux. Il correspond à « Tout salaire ou toute allocation versé en contrepartie d’un travail standard doit au minimum correspondre au salaire minimum légal ou pratiqué dans un secteur donné, et doit toujours suffire au travailleur à subvenir à ses besoins élémentaires et à ceux de sa famille, tout en lui laissant une part de revenu discrétionnaire ».

Les Français considèrent comme décent un salaire de 1 983 euros par mois, soit bien plus que l’actuel Smic à 1 400 euros net par mois, d’après un baromètre publié en 2023 par la Drees (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistique). 

Une initiative volontaire des entreprises

Le salaire décent est instauré volontairement dans un nombre croissant d’entreprises multinationales et leurs fournisseurs (voir plus bas). « Ces initiatives volontaires en sont à des stades différents et répondent à différentes approches », précise toutefois l’Organisation Internationale du travail (OIT) dans un rapport de février 2024. 

Ainsi, Michelin a annoncé en avril 2024 l’instauration d’un salaire décent pour ses employés dans le monde, y compris sur le sol français, ce qui est très rare. Il est estimé entre 1,5 fois et 3 fois supérieur au salaire minimum des pays concernés et calculé sur la base des travaux de l’ONG Fair Wage Network. En France, ce salaire représente 39 638 euros par an pour un salaire brut à Paris, soit environ 2 500 euros net, et 25 235 pour les employés de Clermont-Ferrand, soit environ 1650 euros net. Beaucoup d’autres entreprises y ont recours seulement dans les pays où il n’existe pas de salaire minimum légal ou lorsque celui-ci est extrêmement bas.

De nombreuses initiatives dans le monde poussent à l’instauration d’un salaire décent généralisé. « En 2023, le Pacte mondial de l’ONU a fait du salaire vital l’un des axes de son initiative « Forward Faster ». De même, le partenariat « Business for Inclusive Growth (B4IG) » conclu en 2021 entre l’OCDE et de grandes entreprises internationales invite les entreprises et les organisations commerciales à soutenir des initiatives comme l’appel à l’action de l’IDH sur le salaire vital afin de promouvoir des relations économiques plus équitables et plus durables », souligne l’OIT dans son rapport.

La Directive européenne sur la publication d’informations extra-financières pour les grandes entreprises (CSRD), en vigueur depuis le 5 janvier 2023, obligera en outre les entreprises concernées à « indiquer comment elles entendent garantir le paiement de «salaires adéquats» à leur main-d’œuvre propre et aux employés de leur chaîne de valeur ».

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Comment est calculé le salaire décent ?

Salaire décent ou salaire vital, terme dorénavant utilisé par l’Organisation Internationale du Travail, se base sur de nombreux critères pour définir le coût de la vie.

L’OCDE décrit dans un rapport de 2023 une approche “standard” en trois étapes : 

➡️ définir la quantité de biens et services nécessaires à une vie décente pour une famille type

➡️ calculer le prix d’un panier à partir des prix d’achat de ces biens et service identifiés 

➡️ traduire le revenu nécessaire à un ménage pour atteindre ce niveau de vie en salaire brut à verser aux travailleurs

Le salaire décent diffère en fonction de la zone géographique, entre les pays, mais également à l’intérieur même d’un pays. Les prix des produits en ville sont, par exemple, en moyenne plus élevés que dans les zones rurales.

Les méthodes de calcul diffèrent également selon les nombreuses institutions qui accompagnent les entreprises dans l’instauration d’un salaire décent pour leurs employés, à l’instar des initiatives Asia Floor Wage Alliance, Clean Clothes Campaign, Fair Wage Network, Global Living Wage Coalition, WageIndicator.

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D’où vient l’idée d’un salaire décent ?

Le salaire décent fait partie des premières revendications ouvrières et des premières crises sociales liées aux révolutions industrielles. « La formulation explicite de la revendication d’un Living Wage apparaît dans le mouvement syndical au Royaume-Uni au cours du dernier tiers du XIXe siècle », explique l’économiste Jacques Freyssinet de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) dans un article pour la revue Chronique internationale de l’IRES

Les économistes libéraux de l’époque considèrent que les salaires doivent s’adapter à la loi de l’offre et de la demande sur le marché du travail. Une vision à laquelle s’opposent certains syndicats, notamment ceux des mineurs, qui revendiquent un salaire capable de couvrir les besoins fondamentaux de l’ouvrier et de sa famille. Ces mouvements partent du constat que le marché du travail ne fournit pas nécessairement un salaire décent aux travailleurs malgré leur travail dans l’entreprise. 

L’idée d’un salaire décent refait surface au début des années 2 000 au Royaume-Uni, après plusieurs années d’oubli au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais alors que les inégalités sont en baisse au niveau mondial, notamment grâce à une forte croissance des pays émergents dans les trente dernières années, les inégalités à l’intérieur même des pays ne cessent d’augmenter comme l’explique le rapport de l’OCDE. 

Dans la moyenne des pays de l’OCDE, le revenu des 10% les plus riches est 9,5 fois plus grand que celui des 10% les plus pauvres. Dans les années 1980, il était 7 fois plus grand. De nombreuses personnes vivent aussi sous le seuil de pauvreté. Selon les données recueillies par l’ONG Oxfam, et fournies par la Banque Mondiale, la moitié de la population mondiale vit avec moins de 6,85 dollars par jour.

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Quelles entreprises ont mis en place le salaire décent ?

La coalition Business for Inclusive Growth (B4IG), qui réunit des multinationales telles que Capgemini, Danone,Kering, L’Oréal, Microsoft, s’est engagée à ce que l’ensemble des employés des entreprises membres touchent un salaire décent d’ici 2030. Sur le sol anglo-saxon, près de 15 000 organismes ont été reconnues par la Living Wage Foundation, à l’instar d’Ikea, d’Oxfam, KPMG. La liste est à retrouver ici.

À noter que le salaire décent fait partie des 11 thèmes auquel le Forum pour l’investissement responsable (FIR) demande aux entreprises du CAC40 de répondre à l’occasion de leur assemblée générale dans sa campagne d’engagement. Celles-ci doivent ainsi préciser s’il existe une politique en la matière, comment est défini et calculé ce salaire décent, son écart avec le salaire minimum, les actions mises en place pour l’instaurer et les obstacles auxquels l’entreprise à fait face. L’Oréal ou Kering par exemple ont rendu leurs réponses publiques. Mais contrairement à Michelin, le salaire décent n’est souvent pas déployé en France. 

Les critiques

La mise en place d’un salaire décent ne réduit cependant la question des écarts de salaires entre les hauts et bas salaires qui augment ces dernières années.

Son manque de définition harmonisé cache des différences de calculs (ex : chez Michelin, le salaire décent englobe des primes qui ne seront pas intégrées dans le calcul de la retraites, soulignent les syndicats).