La mesure d’impact se déploie de plus en plus dans les organisations pour crédibiliser l’action ou trouver des financements spécifiques. Mais que mesure-t-on exactement? Quelles sont les limites de ce type de mesure et à quelles conditions peut-elle être un outil au service de la transition écologique et sociale ? Décryptage avec Agnès Audier, la présidente d’Impact Tank, à l’occasion du sommet sur la mesure d’impact du 18 avril dont Youmatter est partenaire média. 

Youmatter : La mesure d’impact, on en parle beaucoup dans l’ESS (économie sociale et solidaire) et de plus en plus dans les entreprises plus classiques. Mais de quoi parle-t-on exactement ? 

Agnès Audier : C’est la mesure non pas des moyens mis en place par une organisation (ou pour un projet), mais la mesure du résultat lié à l’action. Si l’on prend l’exemple d’une formation, ce n’est pas tant la recension du nombre de personnes formées et le nombre d’heures de formation qu’elles ont reçues qui importe, mais comment cela a changé leurs pratiques ou leur accès à l’emploi. L’impact intègre aussi la notion de durée : si l’on cherche à suivre l’impact de formations professionnalisantes sur une personne, l’impact conduit à chercher à savoir où la personne en est, pas seulement six mois plus tard, mais aussi après plusieurs années.

En quoi est-ce important pour la transformation écologique et sociale de notre société ? 

Nous savons aujourd’hui très bien que la transition environnementale, mais aussi la transition numérique, peuvent à la fois réduire et aggraver les inégalités sociales, et qu’un accompagnement humain des plus fragiles est nécessaire à la transformation écologique dont les coûts individuels et collectifs sont considérables. Or les moyens financiers mais aussi les capacités humaines d’accompagnement ne sont infinies : monter des projets demande beaucoup de temps, d’énergie, de relations et de financements. Nous avons l’obligation d’être efficaces, au sens de construire les bonnes solutions, pour les bonnes personnes, au bon moment, avec le bon coût. La mesure d’impact doit précisément aider à atteindre cet objectif. 

Où en sommes-nous aujourd’hui ? 

Le niveau d’exigence des financeurs monte ! Les pouvoirs publics cherchent à optimiser la dépense publique et les financeurs privés, à évaluation l’impact des projets ou des organisations financés pour mieux flécher leurs investissement. Ce mouvement de chiffrage s’inscrit à la fois dans une recherche d’efficacité (qu’est-ce-qui est le plus pertinent de financer ?) et de lutte contre le social washing (comment éviter de financer ce qui parait formidable sans avoir de preuves de l’efficacité). Ce mouvement est cohérent avec la mise en place des nouvelles réglementations comme la CSRD pour les entreprises : les entreprises vont devoir suivre leurs engagements et leurs résultats sur les sujets sociaux et sociétaux. Bref, le sujet avance bien !

Quels sont les freins au développement de cette mesure d’impact social ? 

Sans doute, d’abord, la complexité du monde réel ! Nous n’avons pas du tout encore d’indicateur synthétique de cet impact social, et il paraît a priori bien plus difficile d’agréger des données sociales (emploi, logement, revenu, santé, …) que des émissions de gaz à effet de serre. Mais nous sommes en bonne voie pour avoir un indicateur synthétique sur la biodiversité, un sujet lui aussi très complexe à agréger. Il est donc permis de réfléchir à l’équivalent, un jour, sur le social.

L’un des premiers freins est que construire un référentiel de mesure d’impact est lourd pour une association ou une entreprise. L’Impact Tank a donc monté des groupes de travail thématiques, avec des résultats totalement libres d’accès. Nous intégrons des analyses bibliographiques dans nos travaux et ceux-ci sont menés avec des acteurs de l’ESS, des entreprises, des représentants des pouvoirs publics, mais aussi avec des chercheurs. Ces derniers sont des tiers de confiance pour éviter le social washing

A quelles conditions la mesure d’impact peut-elle être un outil de changement du système ? 

La coopération des acteurs sera clé pour réellement améliorer les parcours de vie individuels, comme la dynamique des territoires en difficultés. Et pour mieux travailler ensemble, nous pouvons désormais nous appuyer sur un nombre incroyable de données dans divers secteurs (social, environnemental, médical, éducatif, économique, …) et sur les moyens de les traiter, notamment avec l’intelligence artificielle (IA). La mesure d’impact peut aussi permettre d’identifier les conditions de succès des projets, et ainsi aider à les démultiplier, les « passer à l’échelle ». Elle peut à l’inverse montrer comment certaines réglementations ou façons historiques d’agir peuvent se révéler inadaptées, permettant des évolutions.

Tout peut-il se mesurer ? Comment peut-on mesurer la solidarité nouée autour d’un projet par exemple ? A tout mesurer, ne risque-t-on pas de perdre de vue l’action ? 

Effectivement, tout ne se norme pas et il est essentiel de garder en tête la vision et le sens des actions. Tout comme il est clé de toujours avoir du recul quand on regarde les chiffres. Mais la mesure permet de comparer, pour progresser dans les façons d’agir ou pour évaluer les innovations sociales dont nous avons tant besoin. Selon moi, la mesure d’impact devra un jour permettre d’alléger les « reportings de moyens », parce que les données d’impact permettront de démontrer que l’on a choisi la bonne solution, au bon moment, pour la bonne personne. 

Photo : Agnès Audier, présidente de l’Impact Tank