Frappé par la montée des eaux et des tempêtes à répétition, le village de Miquelon, situé à quelques kilomètres de la frontière canadienne, est le premier territoire français à subir un grand déménagement. Une mesure drastique, mais non moins indispensable pour son adaptation au changement climatique. C’est ce que nous explique la géographe Xénia Philippenko, lauréate du prix 2023 du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) dans le podcast Triple A.
Déplacer une ville. Le projet peut sembler insensé, surtout pour les habitants des villes concernées. L’attache émotionnelle est souvent grande, et le petit archipel de Saint-Pierre et Miquelon, situé à deux pas de la frontière canadienne, n’échappe pas à la règle. Malgré leur fort attachement à leur histoire, à leur culture et à leurs ancêtres, les 600 habitants du village de Miquelon, ont décidé de déplacer la ville. Celui-ci sera reconstruit non loin de sa localisation actuelle mais à l’abri de la montée des eaux. Une décision radicale qui est la conséquence directe du changement climatique.
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Un territoire en risque de submersion chronique
« Miquelon fait face à plusieurs risques, la submersion et l’érosion des côtes, mais finalement, les habitants de Miquelon y sont habitués. Ils ont toujours vécu dans un tel climat », explique la géographe Xénia Philippenko, chercheuse au BRGM sur l’adaptation au changement climatique et les risques côtiers, au micro du podcast Triple A de Youmatter.
Le changement climatique brise désormais ce quotidien bien rodé. Depuis les années 2000, les tempêtes violentes se multiplient sur le territoire et s’ajoutent à une érosion des côtes déjà bien entamée sur ce petit bout de terre où est situé le village. L’élévation de la mer « va encore accentuer les événements extrêmes en provoquant un phénomène de submersion chronique », précise Xénia Philippenko. Résultat : s’ils ne déménagent pas, les Miquelonnais auront les pieds dans l’eau dans les prochaines décennies.
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Déménager Miquelon : une décision radicale
Un Plan de Prévention des Risques Littoraux (PPRL), qui permet d’établir une carte des régions exposées aux risques littoraux, a été mis en place en 2014. En identifiant ces zones, il interdit la construction d’habitations ou de nouvelles infrastructures considérées comme vulnérables. À Miquelon, il a déclaré la fin du développement du village, depuis cerné par les interdictions de construction. À l’époque, la décision a surpris, voire contrariée, nombre de Miquelonnais. « C’est un peu arrivé comme un cheveu sur la soupe pour les habitants de Miquelon, rappelle la chercheuse, personne n’était au courant, parce que ce plan était resté très confidentiel, cantonné aux services techniques de l’État ».
Faire accepter cette situation délicate aux habitants n’a pas été évident. La construction de digues a ainsi été évoquée en alternative, pour faire face à la montée des eaux. Mais, deux tempêtes extrêmement fortes et destructrices en novembre 2018 ont fait l’effet d’un électrochoc et fait basculer le projet de déménagement. « Cet événement a beaucoup marqué les esprits, témoigne Xénia Philippenko. Six mois plus tard, quand je suis revenue à Miquelon, de façon un peu surprenante, tous les habitants ont commencé à me parler de relocalisation. Ils me disaient : ‘de toute manière, on n’a pas le choix' ».
Depuis 2018, le maire, les habitants de Miquelon et les représentants de l’État s’activent donc pour déplacer le village à moins de deux kilomètres de son emplacement d’origine.Ce dernier ne sera pourtant pas totalement épargné par les aléas climatiques. Les vents frapperont davantage les habitations car le nouveau village sera situé en hauteur, mais les Miquelonnais n’auront plus les pieds dans l’eau.
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Un laboratoire de notre adaptation climatique ?
Le projet n’est pas non plus exempt de conséquences environnementales. Car « pour construire le nouveau village, il va falloir détruire des espaces naturels, auxquels les habitants sont très attachés », explique la chercheuse. « Il va aussi falloir garder un dynamisme économique local, en lien avec l’ancien village à court terme, puis progressivement uniquement sur le nouveau », souligne-t-elle. Un éco-village, pour le rendre exemplaire d’un point de vue environnemental est également à l’étude. Le défi à plusieurs inconnues (sociétales, politiques, financières,…) est donc encore énorme pour la collectivité, sur des décennies.
Le village de Miquelon est situé sur un isthme, une étroite bande de terre entre deux mers. Photographies de Xénia Philippenko.
Cette démarche est encore inédite en France. Mais peut-être pas pour longtemps. « La situation de Miquelon et son projet de relocalisation est extrêmement suivi à tous les niveaux de l’État, mais également par d’autres collectivités », assure Xénia Philippenko.« C’est un exemple de planification de relocalisation et tout le monde se demande comment cela va se faire. Quel sera le portage financier, les conséquences juridiques, l’acceptabilité et participation de la population… ».
La menace qui pèse sur Miquelon est en effet loin d’être seulement locale. Et ce type d’adaptation climatique radicale est de moins en moins taboue. « Ce genre de projet va devoir être mené en métropole. La loi climat et résilience a en effet dressé une liste des communes qui vont devoir construire un projet de relocalisation (de biens et d’activités, ndlr), souvent pour des questions d’érosion du trait de côte », explique-t-elle. Sont notamment concernées Lacanau ou Soulac-sur-Mer. Mais jusqu’à présent, l’ampleur des projets fait peur et ce sont plutôt les digues qui sont privilégiées.