Depuis quelques mois, toutes les grandes entreprises ont la CSRD dans le viseur pour 2025. Malgré les défis qui restent à relever, la majorité pense être dans les temps et y met les moyens. Le jeu en vaut la chandelle pensent elles : 70% y voient un levier de transformation. Le point avec trois grandes études qui viennent d’être publiées par le Collège des directeurs développement durable (C3D), BL évolution et PwC.

CSRD : les grandes entreprises dans les starting blocks

65% des 85 grandes entreprises soumises à la première vague de la réglementation européenne sur le reporting de durabilité s’estiment dans les temps pour publier une première version de rapportage aligné sur la CSRD l’an prochain, si l’on en croit l’enquête réalisée par le Collège des directeurs développement durable (C3D)*. 3% se pensent même en avance. Cela montre « qu’elles n’ont pas pris l’exercice à la légère et ont anticipé car cette mise en place est un projet de 12 à 18 mois », souligne Sébastien Mandron, administrateur du C3D et Directeur RSE de Worldline. 21% avouent cependant un retard et 10% sont en « attente de démarrage ». Cela s’explique par la « grande complexité de la CSRD qui demande d’avoir des équipes qui ont un minimum de connaissance et un management qui a un minimum de sensibilité sur les questions de transformation écologique et sociale », souligne l’expert. 

Concernant le SBF120, dont BL évolution a analysé les documents d’enregistrement universel (URD) 2024, la « prise de conscience est là ». Cela se traduit par une mention de la CSRD dans 90% des près de 90 rapports étudiés. Mais 2024 constitue avant tout une « phase d’apprentissage avant une mise en conformité pour 2025 », note le cabinet de conseil. Toutefois 17% ont déjà pris les devants et publient un rapport structuré selon les exigences de la CSRD et certains vont même plus loin en citant explicitement les ESRS.

A l’étranger, les entreprises européennes ou non, qui devraient être soumises dès l’an prochain ou à terme à la CSRD, ont-elles aussi pris leurs dispositions. Une grande majorité des 547 dirigeants et professionnels RSE interrogés dans 30 pays par PwC se disent ainsi confiants dans leur capacité à être prêts dans les temps. Seuls 3% déclarent qu’ils ne le sont pas.

Pour approfondir : notre dossier sur la CSRD

Des moyens importants mis en œuvre

Pour être dans les clous, les grandes entreprises ne lésinent pas sur les moyens. Le budget moyen est conséquent : de l’ordre de 50 à 200 000 euros. Mais il peut même dépasser les 600 000 euros pour les très grosses entreprises, selon l’enquête du C3D. Pas étonnant que 60% jugent la démarche « très coûteuse ». Ce chiffre correspond au montant pour mettre en place le projet CSRD, notamment par le biais de prestataires internes : 9 grandes entreprises sur 10 y font appel. Mais il faut aussi ajouter des coûts internes qui peuvent être importants en termes de collecte.

Ainsi 66 % des entreprises interrogées par le C3D estiment la surcharge de travail à 1 ou 2 équivalent temps plein (certains vont bien au-delà). Et 53% prévoient d’embaucher au moins 2 personnes pour faire face aux exigences de la CSRD dans les prochaines années.

On attend également de gros investissements technologiques dans les prochaines années pour faciliter et fiabiliser la collecte de données, notamment dans les grandes entreprises où celle-ci devra être consolidée à l’échelle du groupe. 83% des grandes entreprises françaises interrogées par le C3D pensent ainsi qu’elles vont devoir changer leurs outils de collecte. Mais le coût et la prise en main de nouveaux outils semblent refroidir de nombreuses entreprises. Au niveau international, si presque tous les répondants de l’enquête PwC planifient d’investir dans la technologie, moins de 60% ont déjà franchi le pas. Le cabinet d’audit s’attend toutefois à voir une explosion des outils spécialisés comme des outils de calcul du carbone, d’évaluation des manques et autres solutions de reporting, ainsi que de l’utilisation de l’IA. Pour Sébastien Mandron, s’il est clair qu’il « va falloir s’outiller », le budget et les moyens à y consacrer resteront cependant largement abordables. 

Pour approfondir : L’IA peut elle aider les entreprises dans leur démarche RSE ?  

La direction RSE au cœur d’un process transversal

De par sa connaissance des enjeux et son expérience de la collecte de données ESG (environnement, social et gouvernance), la direction RSE reste une pièce maîtresse du pilotage de ce dispositif transversal en train de se mettre en place. Dans près de deux tiers des grandes entreprises interrogées par le C3D c’est en effet la direction DD qui prend le lead. 11% confient les rênes à la direction financière, qui collabore quoi qu’il arrive de plus en plus sur les questions de performance extra-financière. 5% font confiance à d’autres directions comme la direction juridique ou compliance et 22% ont fait le choix d’un co-pilotage. 2% confient la CSRD directement au secrétariat général. La direction générale suit d’ailleurs en direct le projet selon 67% des répondants.

Enfin, la dimension stratégique de la CSRD n’a pas échappé aux conseils d’administration. 53% des grandes entreprises demandent un point d’avancement régulier sur le sujet. Le suivi est souvent confié soit au comité d’audit, soit au comité RSE.

L’analyse de matérialité, point d’entrée de la CSRD

Si l’on entre dans le détail du processus, l’analyse de double matérialité apparaît comme la porte d’entrée incontournable pour faire le premier pas. 57% des grandes entreprises interrogées par le C3D déclarent avoir réalisé une première version de leur matrice. Pour autant, seulement 22% (contre 14% en 2023) du SBF120 la publient dans leur rapport. Cela peut cependant davantage montrer une « frilosité » en termes de communication qu’une difficulté à le faire, souligne BL évolution. De fait, pour Sébastien Mandron, cela n’est pas si étonnant car « publier un tel document demande d’être à l’aise avec le résultat et que celui-ci ait été validé par le CA »

Sur le reste des attendus, comme l’identification des IRO (impacts, risques et opportunités) ou la définition des indicateurs, cela reste encore en chantier. 28% des grandes entreprises disent avoir finalisé leur analyse IROs. 

Prochaine étape  : les plans de transition

Le « prochain chantier est celui des indicateurs », perçoit ainsi BL évolution. Et le défi est de taille. De fait la majorité des entreprises s’attend à devoir collecter un grand nombre d’indicateurs parmi les 1178 data points sachant qu’une grande entreprise identifie en moyenne 10 à 20 enjeux matériels. Selon l’enquête du C3D, seulement 22% estiment avoir déjà 60% à 80% de l’information nécessaire et seulement 2% de 80% à 100%. Le trois quart des grandes entreprises estiment avoir moins de 60% de l’information à disposition et 15% moins de 20%.   

Enfin, la prochaine grande étape qui changera la donne sera celle des plans de transition, sur le climat et la biodiversité. Ce chantier vient juste de commencer. Il fait entrer les entreprises dans le dur car ces plans devront être accompagnés de plans de financement. « Ces plans auront un impact sans équivalent, notamment parce que c’est la première fois que l’extra-financier sera traduit en euros et qu’il va y avoir des effets sur la marge et potentiellement la profitabilité des entreprises », assure Sébastien Mandron. Cette étape va aussi avoir des conséquences sur l’organisation de l’entreprise, avec une implication indispensable de la direction financière, et sur sa gouvernance puisque l’on va toucher au cœur du business, prévient-il. 

La dimension stratégique en ligne de mire

Si l’exercice est ardu, le jeu en vaut la chandelle estiment les grandes entreprises. 72% pensent que l’ambition de cette réglementation est importante. « Cela montre que l’on est dans un vrai changement de paradigme, pas dans un simple ‘add-on' », estime Sébastien Mandron. 70% d’entre elles pensent que la nouvelle réglementation va faire avancer les choses en termes de durabilité et seulement 10% pensent le contraire. Mais selon BL évolution, il faudra attendre l’an prochain pour évaluer les effets sur la dimension stratégique de l’exercice.

A ce stade, il est en effet encore trop tôt pour votre l’effet CSRD sur la prise en main des sujets RSE/ESG par les autres départements. Si 18% des grandes entreprises voient déjà un effet positif avec l’identification de projets transformatifs, la majorité (57%) n’a pas noté de différences et 14% estiment même que l’impact est négatif, souvent quand l’exercice est principalement pris sous l’angle du reporting. 

Selon PwC, l’enquête réalisée auprès des dirigeants d’entreprises au niveau international montre que ceux-ci commencent à comprendre le potentiel transformatif et business de la CSRD. En plus du renforcement de la soutenabilité de leur business model, les dirigeants espèrent un retour sur investissement en termes de croissance et de réduction des coûts, rapporte le cabinet. Mais attention, souligne Sébastien Mandron, si des opportunités peuvent apparaître, notamment pour des entreprises tournées vers l’environnement, « les investissements de transformation qui découlent de cet exercice seront sans doute supérieurs », reconnaît-il. Reste que ceux-ci sont incontournables pour espérer faire face aux défis environnementaux et sociaux, quel que soit le contexte politique. Et que s’y montrer prêt est clairement « un signal positif envoyé au marché »

Pour approfondir  : la CSRD, outil de transformation durable

Toutes ces études montrent enfin à quel point cette réglementation demande une bonne préparation et que celle-ci va se construire et se consolider dans la durée. Comme le mentionnait le VP sustainability du groupe Nexans lors d’un webinar PwC il y a quelques mois : « nous ne sommes pas sur un 100 m mais sur un marathon ou un ultra trail »

Encadré : les pionniers à suivre

Telefonica : en 2024, l’opérateur téléphonique espagnol publie pour la deuxième année un rapport intégrant les attentes CSRD. En 2023, celui-ci avait déjà dévoilé son analyse de double matérialité. Cette année, il sort un rapport structuré CSRD, avec les principaux IROs et la méthodologie associée.

URW (Unibail-Rodamco-Westfield) : le groupe d’immobilier commercial « sort du lot sur son alignement avec la CSRD » en reprenant « les différentes exigences de la réglementation européenne », selon BL Evolution. Elle publie déjà son analyse de double matérialité, la catégorisation des ESRS avec leurs impacts et le descriptif des risques et opportunités (IROs) associés aux enjeux ESG.

Worldine : le leader mondial de la sécurisation des paiements et des transactions a publié une matrice de double matérialité détaillée par ESRS avec un texte explicatif sur chacun des enjeux matériels. 

Nexans : le spécialiste de la ligne de transmission par câble a commencé à intégrer la logique CSRD dans son document d’enregistrement universel (URD) dès 2023 avec les éléments dont il disposait et dont la qualité était jugée comme satisfaisante. La première année, cela correspondait à 35% des éléments requis. En 2024, ce taux a grimpé à 50%. Le groupe est aussi l’un des rares à déjà publier son analyse de double matérialité ainsi que l’explication précise des impacts, risques et opportunités (IRO). 

Illustration : Canva

Pour aller plus loin : vous faire accompagner à la CSRD par Youmatter