Qu’est-ce que la géoingénerie ? Comment la définir ? Comment fonctionne-t-elle ? À quoi sert-elle ? Est-elle efficace ? On fait le point.

La géo-ingénerie : définition

La géoingénerie regroupe les techniques utilisées par les humains pour contrôler, modifier et maîtriser l’environnement terrestre, c’est-à-dire le climat, les cycles naturels ou les écosystèmes. Ces techniques sont variées, et visent à avoir une influence sur de nombreux paramètres naturels (précipitations, réchauffement climatique, développement de certains écosystèmes…).

La géo-ingénierie est régulièrement présentée par certains comme une solution face au réchauffement climatique, et face aux autres crises écologiques (disparition de la biodiversité, pollutions, etc.). Toutefois, la géo-ingénerie est très controversée, car il est difficile d’évaluer ses impacts ou d’éviter des conséquences écologiques négatives.

Les trois principales formes de géo-ingénierie

La géo-ingénerie pour modifier les cycles naturels

Le premier usage de la géo-ingénierie est de permettre d’adapter les phénomènes naturels (courants marins, précipitations) afin de minimiser les effets du réchauffement climatique sur les écosystèmes ou de les moduler les cycles naturels pour qu’ils s’adaptent à nos besoins.

Cette forme de géoingénerie regroupe de nombreuses techniques destinées à modifier les écosystèmes et leurs cycles.

  • Par exemple, certaines techniques visent à modifier les cycles océaniques. Ainsi, au large des côtes australiennes, c’est une méthode d’adaptation qui est en expérimentation, celle de pomper l’eau froide des fonds marins pour sauver la Grande Barrière de corail des effets néfastes du réchauffement climatique sur l’organisme des coraux, ce qu’on appelle le phénomène de « blanchissement ». Il existe encore d’autres exemples d’adaptation de la nature, notamment pour réduire la violence des ouragans en refroidissant l’eau de mer, et couper ainsi l’approvisionnement d’eau chaude à l’origine de ces phénomènes naturels, ou bien, sur un principe similaire, dans le but de réduire la fonte des glaciers des pôles.
  • D’autres visent à changer les cycles des précipitations, par exemple en injectant dans l’atmosphère des produits spécifiques. À l’occasion du centenaire du Parti communiste chinois (PCC) le 1er juillet 2021, la Chine aurait été capable de contrôler la pluie sur la capitale lors de cette journée, grâce à la technique de l’ensemencement des nuages, qui consiste à envoyer de l’iodure d’argent (de la neige carbonique peut aussi être utilisée) dans les nuages afin d’influencer les précipitations.

La géo-ingénierie pour capturer le CO2

La recherche en géo-ingénierie vise aussi à réduire la quantité de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère. Elle pourrait le faire grâce à plusieurs techniques :

  • D’abord, en construisant des technologies de captage, de stockage et de valorisation du CO2, ou CCUS (Carbon Capture, Use and Storage). Les outils de CCUS ont été développés pour capter les émissions directement à la source des émissions (par exemple pour les industries les plus polluantes) ou pour retirer de l’atmosphère le CO2 excédent. Ce CO2 capté est soit emprisonné dans les sols, entre autres dans les aquifères salins (poche sédimentaire d’eau salée) ou dans les anciens gisements d’hydrocarbures, soit il est réutilisé, ou « valorisé », dans différentes industries (boissons gazeuses, plastique, médicaments, engrais azotés…).
  • La géoingénierie peut aussi chercher à contrôler ou influencer le cycle du carbone, notamment via l’amplification des capacités naturelles des êtres vivants à capter le CO2. Planter des arbres, protéger les algues ou les herbiers marins, nourrir de fer les phytoplanctons dans les océans, le développement du vivant permet d’augmenter les capacités de séquestration du CO2 lors du cycle du carbone.
  • La même technique est envisagée pour certaines ressources minérales, que l’on peut transformer pour qu’elles captent plus de carbone. C’est le principe de l’altération forcée, qui consiste à épandre des roches (olivine, basalte) sur les terres agricoles, afin qu’elles y absorbent du CO2 par contact avec l’humidité.
  • Tout un pan de la recherche en génie génétique s’intéresse également aux variétés végétales et à leur capacité de captation via le processus de photosynthèse. Ainsi, la modification génétique de certaines variétés de cultures, comme le sorgho, le riz ou le blé, est actuellement à l’étude.

La géo-ingénierie pour réduire l’effet chauffant des radiations solaires

La géoingénierie envisage aussi de lutter contre le réchauffement climatique en réduisant la quantité de rayonnement solaires atteignant la Terre, c’est la géo-ingénierie solaire. L’une des expériences prisées par la recherche en géo-ingénierie est de réussir à renvoyer les rayons du soleil avant qu’ils ne soient emprisonnés par les gaz à effet de serre. Trois principales techniques sont en cours d’élaboration :

  • Le développement d’outils technologiques dignes de Star Wars, à l’instar du projet de bouclier solaire du non moins célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology).
  • L’amélioration des capacités réfléchissantes des surfaces claires, ce qu’on appelle l’albédo. Frappées par les rayons du soleil, les surfaces blanches renvoient mieux les radiations, et permettent à une surface de garder sa fraîcheur. En recouvrant certaines surfaces naturelles ou artificielles grâce à des filtres, on augmente l’albedo.
  • L’éclaircissement direct les nuages : grâce à la projection d’embruns marins dans l’air, ou en injectant des aérosols dans la stratosphère, les ingénieurs peuvent, en théorie, refroidir certaines zones spécifiques et réduire les dommages du réchauffement climatique.

La géo-ingénierie est-elle efficace ?

Les effets de la géo-ingénierie sont encore difficiles à évaluer et à comprendre, car les écosystèmes sont des réalités complexes, au sein desquels interagissent de nombreux facteurs. Dès lors, faire varier l’un de ces facteurs via la géo-ingénierie peut avoir des effets imprévus, et il est de toute façon difficile d’évaluer ces effets sans les mettre en pratique par des expérimentations. Or ces expérimentations, dangereuses, sont très rares, notamment dans les régimes démocratiques.

Les simulations montrent que certaines formes de géo-ingénierie pourraient avoir un impact, notamment sur la capacité des écosystèmes à stocker le CO2. Pour autant, les scientifiques mettent régulièrement en garde contre ces procédés dont on ne connait pas bien les effets secondaires.

Géoingénierie : limites et dangers

Géo-ingénierie : les dangers d’une utilisation non-maîtrisée

Aujourd’hui, la géoingénierie est une jungle technique qui se déploie aux quatre coins du monde, de façon très anarchique. Chaque pays est libre de mettre en place des expérimentations (à l’image des tests pratiqués en Chine sur la gestion des précipitations) sans que l’on sache quelles seront les conséquences pour les pays voisins ou les écosystèmes dans le monde. Sans concertation et sans retenue sur l’usage de ces techniques, elles pourraient mener à des tensions géopolitiques, ou à de graves conséquences écologiques.

La difficulté d’évaluer les effets de la géo-ingénierie

Il est également difficile d’évaluer vraiment les effets de ces techniques. Ainsi, depuis une trentaine d’années, la fertilisation des océans est évoquée afin d’absorber le CO2. L’idée derrière cela est de fournir en fer les phytoplanctons présents dans les océans afin d’augmenter leur capacité d’absorption de CO2 via le processus de photosynthèse. Et pourtant, trente années après les premières expériences, ni l’efficacité, ni les conséquences, même physiques, de cet apport en nutriments ne sont encore connus.

Voir aussi : La géo-ingénierie pourrait créer plus de problème qu’elle n’en résout 

Géo-ingénierie : des questions sans réponse

La géo-ingénierie pose également de nombreuses questions, auxquelles elle n’apporte pas toujours de réponse.

  • Ces technologies sont-elles vraiment efficaces dans la lutte contre le réchauffement climatique ou dans la protection de la biodiversité ?
  • Est-ce que les risques environnementaux sur le reste des écosystèmes sont maîtrisés ?
  • Quelles sont les conséquences sur les ressources, sur les événements climatiques, sur l’équilibre des politiques régionales, sur les entreprises ?
    Seront-elles fonctionnelles ET déployées à temps ?
    Combien coûteront le déploiement, le fonctionnement et la réparation de ces nouveaux outils ?
    En fonctionnement, est-ce que ces technologies sont polluantes ?
  • L’extraction des ressources indispensables au fonctionnement de ces machines est-elle bas-carbone ?
  • Les ressources sont-elles en quantité suffisante, ou alors facilement exploitables pour faire fonctionner les machines ?

Toutes ces questions posent une base de réflexion qui devrait être requise en amont du déploiement des technologies.

Quelle gouvernance pour la géo-ingénierie ?

Il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle, et dans le contexte de privatisation de la société, un réel problème de gouvernance existe. C’est une réelle course contre la montre qui est lancée où les entreprises privées, accompagnées par des investissements publics, bataillent afin d’être les pionnières des futures technologies de géo-ingénierie.

Ce qui pose des difficultés structurelles dans son encadrement, par exemple en ce qui concerne le droit. La géo-ingénierie implique un déséquilibre qui dépasse grandement les simples frontières administratives des pays. La régulation et la gestion de ces projets technologiques doivent être organisés au niveau mondial afin d’éviter une fois de plus une fuite en avant des pays les plus riches au détriment des pays en développement.

La géo-ingénierie : diversion du problème écologique ?

Enfin, la géo-ingénierie est parfois présentée comme un Deus ex machina dans la lutte contre la destruction de l’environnement. Par le développement de ce génie technologique humain, c’est une vision techno-solutionniste de la crise environnementale qui est mise de l’avant. On mise ainsi sur une technologie nouvelle capable de résoudre nos problèmes écologiques sans avoir à remettre en cause nos modes de développement.

Ce raisonnement ralentit donc la mise en place de mécanismes d’atténuation et d’adaptation qui permettraient de réduire de façon certaine nos risques écologiques : baisser nos émissions de gaz à effet de serre, adapter nos pratiques agricoles, nos modes de production industriels, changer nos modes de vie et de consommation.

Elles offrent aussi une forme de répit aux industries les plus polluantes : celles-ci peuvent utiliser l’argument de la CCUS ou de la reforestation pour maintenir leur « licence to operate » malgré les contestations dont elles font l’objet. Souvent, un effet rebond se cache bien derrière ces artifices de baisse des émissions des grandes industries.

Pour ou contre la géo-ingénierie ?

En résumé, la géo-ingénierie est un sujet complexe, sur lequel se confrontent de nombreux arguments « pour » et « contre ». D’un côté, les prévisions du GIEC et d’autres organismes scientifiques affirment que nous aurons besoin de techniques de capture du CO2 ou de régénération des écosystèmes pour préserver des conditions environnementale viables pour l’Humanité. De l’autre, l’incertitude inhérente aux pratiques de géo-ingénierie en fait des techniques dangereuses. Leur impact n’est pas encore bien connu, et leur gouvernance est un vrai sujet de questionnements. Les premières évaluations montrent que les technologies de géo-ingénierie sont certainement plus dangereuses et plus risquées qu’elles ne sont utiles pour résoudre nos problèmes environnementaux. Certaines, comme la reforestation, pourraient s’avérer utiles à condition d’être mieux encadrées qu’elles ne le sont aujourd’hui.