Alors que l’avion est pointé pour son impact environnemental et notamment climatique, il est aussi le creuset des inégalités sociales, souligne le RAC dans un rapport. Pour assurer la transformation du secteur de manière juste pour les populations, l’ONG appelle à des mesures fortes pour réduire ces inégalités et faire peser l’effort sur les plus riches.
L’essor des compagnies low cost et la baisse progressive des prix des billets d’avion ont permis au secteur aérien de décoller… en augmentant les émissions de gaz à effet de serre mais aussi « les inégalités ». C’est ce que montre le Réseau Action Climat (RAC) dans son rapport sur le trafic aérien.
Plutôt qu’une vraie démocratisation de ce mode de transport, la coalition d’ONG souligne que cette croissance quasi constante du trafic aérien a en réalité permis aux plus aisés de multiplier les voyages en avion rendant cette « démocratisation » de l’avion « ségrégative ». Car l’avion demeure l’apanage des classes aisées. « Certes, de plus en plus d’individus, aux revenus hétérogènes, prennent l’avion ; mais la pratique des nouveaux entrants, les plus populaires, s’accompagne de l’intensification des pratiques des plus riches, qui multiplient les voyages en avion », et pour des durées de plus en plus courtes, précise-t-elle.
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L’avion, un mode de transport pour les personnes aisées, diplômées et urbaines
Cela se vérifie en France. Pour cela, le RAC s’appuie sur une enquête du ministère de la Transition écologique et solidaire sur la mobilité des personnes réalisée en 2018. Celle-ci révèle que les passagers de l’aérien sont majoritairement aisés, jeunes, diplômés et habitent dans les grandes aires urbaines. Par rapport aux données récoltées en 2008, « on observe que la situation a peu changé en 10 ans. Appartenir aux 10 % des Français aux revenus les plus élevés, plutôt qu’aux 10 % qui gagnent le moins, multiplie par 4 les chances de prendre l’avion », explique le RAC. Plus encore, l’étude du ministère indique une représentation encore plus marquée des ménages les plus riches en 2018.
Cela apparaît d’autant plus injuste socialement que cet écart grandissant est en grande partie la conséquence de vols de loisirs, notamment pour des week-ends à destination des villes touristiques européennes. En 2018-2019, deux tiers des voyages en avion des Français étaient réalisés dans cet objectif (pour 75% des émissions de CO2) contre moins de 17% pour les vols professionnels et 16 % pour les visites familiales. En 10 ans, les vols de loisirs en France ont connu une hausse de + 82%, soit 11 millions de vols supplémentaires contre une croissance de 3 millions de vols (+ 121 %) pour les vols familiaux et 800 000 vols (+ 16%) pour les vols professionnels.
L’aviation participe de ce fait à une double inégalité. 20 % des Français les plus riches concentrent ainsi 41,5 % des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien des ménages français, à la fois car les plus aisés prennent plus l’avion pour les loisirs (plus émetteurs car plus lointains), mais parce qu’ils réalisent également plus de vols professionnels que les personnes les plus modestes.
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Pour une mobilité aérienne plus « juste »
Le RAC invite donc à questionner les usages de l’avion. Alors que le secteur aérien mise essentiellement sur les innovations technologiques, aucun des trois scénarios de décarbonation du secteur développés par l’ADEME n’est « compatibles avec l’Accord de Paris sans modérer le trafic ». Mais cette modération implique de parvenir à une juste répartition des efforts, comme l’explique Alexis Chailloux, responsable aérien et ferroviaire du RAC. « Il faut garder en tête que ce sont en général les plus précaires qui sont les plus touchés par les conséquences du dérèglement climatique. Alors qu’il y a un effort écologique et budgétaire à faire, et c’est important de se demander sur quelles épaules ces efforts vont peser », rappelle-t-il.
En d’autres termes, le RAC vise la réduction des inégalités d’usage dans un cadre de « justice sociale », soit, comme le définit le rapport « (In)justice climatique » de l’association Ghett’up, « la garantie d’une égalité des droits pour toutes et tous et le droit à chacune et chacun de bénéficier du progrès économique et social ». Ce besoin est d’autant plus prégnant dans les pays à l’histoire coloniale forte tels que la France. Une grande partie des vols à destination des pays d’Afrique du Nord sont effectués par des ménages modestes et le sont pour des raisons familiales.
Pour rééquilibrer la balance, le RAC propose la mise en place de mesures de restriction regroupant à la fois les impératifs climatiques, économiques et de justice sociale. L’association propose entre autres une taxe « grands voyageurs » pour faire peser l’essentiel de l’effort sur les passagers qui prennent plusieurs fois l’avion chaque année. Le premier vol de moins de 2 000 km, ou vers les Outre-mer, serait ainsi entièrement détaxé. Cette taxe « grands voyageurs » permettrait une baisse de 13,1 % des émissions de CO2 du transport aérien et un gain de 2,5 milliards d’euros.
Le doublement de la taxe Chirac, un pas dans le bon sens mais insuffisant
Cette proposition complèterait une autre mesure phare identifiée par le RAC de relever la « Taxe Chirac » ou taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), pour y intégrer tous les vols de moins de 2 000 km, dont ceux à destination des villes de l’Union européenne. Elle propose de multiplier la taxe par 10 pour certaines distances par rapport au barème en vigueur en 2024. Pour les voyages supérieurs à 5 000 km, la taxe atteindrait 100 euros pour la classe éco et 600 euros pour les classes Premium contre respectivement 7,5 euros et 63,1 euros à ce jour. « Selon nos calculs, cette mesure pourrait rapporter 3,7 milliards d’euros », affirme Alexis Chailloux. Elle permettrait aussi une baisse des émissions de GES de 7,5 %.
Dans son projet de loi de finances (PLF) actuellement examiné par les députés, le gouvernement Barnier veut justement doubler la « taxe Chirac » sur les liaisons commerciales et à l’appliquer aux jets privés, qui n’étaient jusqu’à présent pas concernés par cette mesure. Cette hausse, si elle est adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, permettrait 1 milliard d’euros de recettes. « C’est déjà une première étape importante, mais cela reste très loin de nos ambitions et des exonérations fiscales du secteur », estime l’expert du RAC. Le secteur aérien bénéficie de deux niches fiscales d’environ 10 milliards d’euros par an sur le kérosène (6,1 milliards d’euros selon l’I4CE) et d’une TVA réduite sur les billets d’avion (3,1 milliards d’euros selon l’organisation Transport & Environment).
Mais cette taxe Barnier est loin d’être acquise car le secteur aérien s’oppose fermement à toute nouvelle taxe. Dès son annonce, la fédération Airlines for Europe (A4E) expliquait ainsi que cela serait contre-productif en termes de décarbonation et que cela nuirait à la compétitivité de l’aviation française ainsi qu’au bien-être des consommateurs. Un constat partagé par le syndicat Force Ouvrière qui alerte dans un communiqué sur « une hausse considérable qui mettra en péril tout un secteur ».
Réduire le transport aérien, développer les transports bas-carbone
Mais quoi qu’il en soit, à elles seules, les taxes ne suffisent pas. Le réseau d’associations environnementales prévoit donc d’autres mesures fortes, à l’instar d’une interdiction de vol pour les jets privés, d’une suppression des niches fiscales sur les vols intérieurs, et de la fin des vols court-courriers. L’atteinte de l’Accord de Paris nécessite également de nouvelles formes de mobilité et « d’investissements massifs dans le ferroviaire, afin de permettre au plus grand nombre de voyager en train en France et en Europe », rappelle le RAC. Le développement du ferroviaire permettrait de limiter en partie les émissions de GES issues des vols de loisirs dans les pays de l’Union européenne.
« Nous appelons à la création de nouvelles lignes d’Intercités, notamment celles pour les trains de nuit, car l’État à la main dessus et peut subventionner une partie de ces lignes contrairement aux lignes TGV, qui restent assez inaccessibles aux ménages les plus modestes », précise Alexis Chailloux. Le RAC préconise en outre la baisse des péages pour les trains à grande vitesse, qui représentent jusqu’à 40 % du prix de vente du billet et sur lesquels l’État peut influer.
Mais la mesure ne doit pas se faire aveuglément sans prendre en compte la fracture sociale qui existe aussi dans l’usage du TGV. « On propose aussi un billet de congé annuel à petit prix, ou avec une tarification solidaire pour toucher les ménages les plus pauvres et pas seulement permettre à ceux qui ont les moyens de payer un billet de gagner 10 ou 20 euros », conclut le responsable secteur aérien et ferroviaire du RAC.
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