À quoi font référence les concepts de « double matérialité », ou de « simple matérialité » lorsque l’on parle de finance ? À quoi servent-ils ? Pourquoi choisir entre la simple ou la double matérialité ?

Le reporting extra-financier est une activité comptable qui vise à rendre compte des performances d’une entreprise qui ne concerne pas seulement ses états financiers (profits, dividendes, rentabilités…), mais également les informations liées aux critères ESG, Économiques, Sociaux et Gouvernementaux. 

Face à l’ampleur de la crise climatique et à la hausse des inégalités sociales et économiques, les entreprises vont progressivement avoir l’obligation de remplir un reporting de durabilité, en d’autres termes, communiquer sur la relation entre les activités de l’entreprise et les critères ESG. En finance, la matérialité fait référence aux éléments importants à faire apparaître dans les états financiers. C’est dans ce contexte que l’on parle de simple ou de double matérialité lorsque l’on traite du reporting de durabilité.

De la simple matérialité à la double matérialité

La simple matérialité, c’est quoi ?

La simple matérialité reconnaît que tous les facteurs ESG ne sont pas d’égale importance pour toutes les entreprises ou investisseurs, et donc, que seuls les facteurs ESG qui ont un impact significatif sur une entreprise ou un investissement spécifique doivent être pris en compte.

La simple matérialité implique d’identifier et de se concentrer sur les questions ESG qui sont matérielles, c’est-à-dire celles qui ont un impact substantiel sur la performance financière ou qui représente un risque pour une entreprise ou un portefeuille d’investissement. La simple matérialité consiste à hiérarchiser les facteurs ESG en fonction de leur pertinence pour une entreprise ou un investissement donné, en se concentrant sur les éléments qui ont le plus grand impact potentiel. Cette approche a été développée afin d’éviter la surcharge d’informations à récolter pour les parties prenantes. Cela permet aux investisseurs et aux entreprises de se concentrer sur les questions qui comptent le plus en matière de durabilité et de performance financière.

Et la double matérialité ?

La « double matérialité » dans la finance durable est une notion qui souhaite aller plus loin que la simple matérialité en reconnaissant deux dimensions distinctes : la « matérialité financière », donc la matérialité simple, à laquelle la double matérialité ajoute la « matérialité d’impact ». 

La matérialité d’impact concerne les éléments dans une entreprise qui ont un impact significatif tant sur la société que sur les écosystèmes. Cela peut inclure les effets de l’entreprise sur les communautés locales (pollutions, pertes économiques, chômages), les contrevenances aux Droits de l’Homme, les conséquences environnementales, les questions de sécurité, etc… La matérialité d’impact se concentre sur la manière dont l’entreprise influence ou est influencée par les éléments externes à sa chaîne de valeur.

Cela signifie qu’il est essentiel d’évaluer comment les activités et les décisions d’une entreprise affectent à la fois sa propre performance, son secteur d’activité et les autres écosystèmes. Cela le rend par nature plus contraignant pour les entreprises, mais également plus efficace pour lutter contre crise environnementale.

En savoir plus : CSRD : un reporting de durabilité simplifié pour les PME

Matérialité simple ou double, laquelle choisir ?

Le conflit entre les visions de la simple matérialité et de la double matérialité dans le domaine de la finance durable peut découler de différentes interprétations sur la manière de hiérarchiser et de prioriser certains critères ESG dans les décisions d’investissement et de gestion d’entreprise.

Plusieurs critiques peuvent être évoquées :

  1. En se concentrant seulement sur les performances des entreprises, la simple matérialité est considérée comme favorisant la rentabilité à court terme au détriment des enjeux plus larges de durabilité. Les investisseurs ou les entreprises axés sur la simple matérialité peuvent être critiqués pour ne pas tenir pleinement compte des impacts externes de leurs activités.
  2. La double matérialité reconnaît que les entreprises ont une responsabilité envers la société et l’environnement, en plus de leur rentabilité financière. Elle cherche à équilibrer les préoccupations internes et externes en matière de matérialité, et encourage les entreprises à adopter une perspective à plus long terme. Cela peut entraîner des tensions avec des parties prenantes, comme les actionnaires ou les gestionnaires, qui privilégient majoritairement les bénéfices à court terme.
  3. La double matérialité encourage une évaluation plus large des impacts ESG, y compris les effets indirects sur la société et l’environnement. Cela peut entraîner des désaccords sur la manière de mesurer et d’attribuer la matérialité à ces impacts, ainsi que sur la manière de prendre en compte les parties prenantes externes dans le processus de prise de décision.
  4. La double matérialité est considérée par les partisans de la simple matérialité comme pesante (administrativement et économiquement pour les entreprises, surtout les PME (petites et moyennes entreprises) qui ont des ressources plus limitées. Cela peut être perçu comme un obstacle à la mise en œuvre des reportings de durabilité. 

Le conflit entre ces deux visions peut être source de débats et de désaccords au sein des entreprises, des investisseurs et des régulateurs. Cependant, de plus en plus d’acteurs reconnaissent que la double matérialité offre une approche plus complète et équilibrée pour évaluer les impacts ESG et les décisions d’investissement.

ISSB, CSRD : le conflit de la matérialité

À ce jour, ces deux visions de la matérialité s’opposent par le biais de deux acteurs influents : l’acteur privé International Sustainability Standards Board (ISSB) et ses IFRS-S qui défend la simple matérialité, et l’Union européenne et sa CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui défend la double matérialité.

Approfondir sur les normes de reporting :

D’un côté, l’ISSB estime que la simple matérialité offre un équilibre pertinent entre poids administratif sur les entreprises et protection de l’environnement. Pointer les éléments financiers les plus à risques devrait être suffisant pour que les entreprises engagent leur transformation écologique, ainsi que celle de la société.

Une vision en effet critiquée. Pour ses opposants, dont fait partie l’Europe, la simple matérialité ne s’intéresse qu’à l’aspect financier, et omet ainsi les potentiels impacts sociaux et environnementaux de leurs activités. Pour les défenseurs de la double matérialité, comme les Hommes ne sont pas omniscients, et si personne n’identifie ni ne quantifie ces potentielles conséquences, une partie des informations pertinentes dans la lutte contre la crise écologique passera à la trappe.

Le conflit entre la simple matérialité et la double matérialité, combiné à la rivalité entre l’ISSB et le CSRD, reflète les tensions et les débats en cours autour de la manière dont les facteurs ESG sont évalués, intégrés et communiqués dans le contexte de la finance durable. Les évolutions futures seront influencées par les décisions prises par les régulateurs, les préférences des investisseurs, et les avancées dans la compréhension des enjeux de durabilité.