Gouvernance, partage de la valeur, rémunérations, conditions de travail : autant d’enjeux qui devraient être au cœur des stratégies RSE, mais qui sont bien trop souvent négligés.

De plus en plus d’entreprises se targuent d’être responsables, engagées dans des démarches RSE. Des « engagements » qu’elles mettent de plus en plus en avant dans leurs communications. Réduction de leur empreinte carbone, des déchets, philanthropie, projets de compensation écologique : les entreprises se positionnent sur un certain nombre d’enjeux liés à leurs responsabilités sociales et environnementales.

Mais quand on regarde attentivement les mesures mises en place par les entreprises en matière de RSE, on voit que certains enjeux, pourtant essentiels, sont négligés par les directions. En voici 5, qui sont essentiels pour faire émerger des entreprises plus responsables, et qui sont finalement peu prises en compte dans les politiques RSE.

1 – La gouvernance responsable, partagée avec les salariés

On a tendance à l’oublier, mais la gouvernance est l’un des piliers essentiels de la RSE. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les fameux critères « ESG » utilisés pour mesurer la responsabilité des organisations, comporte le G de la Gouvernance. La gouvernance désigne l’ensemble des procédures qui permettent de prendre des décisions au sein de l’entreprise, et le moins que l’on puisse dire c’est que c’est l’un des enjeux majeurs de la transition vers des entreprises responsables.

En effet, les études menées sur le management en entreprise montrent régulièrement que les écueils de la gouvernance traditionnelle des entreprises sont à la racine de biens des maux dans le monde du travail. Les décisions, trop souvent prises par des chaînes hiérarchiques autoritaires, déconnectées des réalités du travail, font notamment partie des causes du désengagement des salariés, qui ne se sentent ni écoutés ni en confiance dans leur organisation lorsqu’ils ne sont pas associés aux décisions. C’est aussi cette déconnexion des managers qui regardent l’activité en surplomb, par la lunette unique de la profitabilité, qui est le principal vecteur de la dégradation des conditions de travail : on ne consulte pas les salariés, et on leur demande donc de mettre en place des process qui ne correspondent pas aux réalités de leur travail, qui créent des conflits éthiques, et mènent inévitablement à des conflits sociaux lorsqu’il faut trancher entre rentabilité à court terme et intérêt des équipes ou de l’organisation à long terme.

En matière RSE, le manque de réflexion sur la gouvernance est particulièrement frappant. Les réflexions engagées ces dernières années à la suite de la Loi PACTE, notamment sur la raison d’être de l’entreprise, ont donné lieu à trop peu de remise en cause de ces modes de gouvernance verticaux qui caractérisent les entreprises, des plus petites aux plus grandes. Quelques organisations ont tenté, au moins en façade, de mettre en place des formes de dialogue, consultant plus ou moins leurs salariés (du moins une partie d’entre eux) dans la définition de leur raison d’être… Mais cela n’a pas abouti à une refonte des processus de décision. La preuve : une grande partie des salariés ignorent même que leur entreprise a une raison d’être, ou qu’elle a une stratégie RSE. Près d’un salarié sur deux dit ne pas être souvent consulté par rapport aux objectifs qui lui sont fixés, et un sur trois assure qu’il n’a pas de réunion régulière pour s’exprimer sur ce qu’il se passe dans son entreprise.

Pas étonnant donc, qu’au Procès de la RSE, qui se tenait en juin à Toulouse, les parties prenantes aient mis en accusation les entreprises pour leur manque d’engagement sur la gouvernance ! On ne le dira jamais assez, mais être une entreprise responsable, c’est avant tout faire émerger une forme de démocratie en entreprise, associer les salariés aux décisions, déconstruire les processus de décision autoritaires et verticaux ! Il faut ouvrir la gouvernance, et ne plus limiter la prise des décisions stratégiques au cénacle des actionnaires et des dirigeants, qui trop souvent ne décident qu’au prisme du court terme et au détriment des salariés. Les entreprises à mission et l’économie sociale et solidaire (ESS) l’ont bien compris, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour les entreprises « classiques », même celles qui se disent « responsables ».

Approfondir : Comment l’ESS fait sa mue écologique ? (youmatter.world)

2 – Le partage de la valeur et les rémunérations justes

Un autre angle mort des politiques RSE, qui découle d’ailleurs pour beaucoup des lacunes de la gouvernance, c’est le partage de la valeur. Quelle entreprise peut se dire « responsable » lorsque la valeur qu’elle créé est accaparée par les actionnaires, les cadres dirigeants, et ne bénéficie pas (ou peu) aux salariés qui la produisent vraiment ? C’est pourtant la triste réalité de la majorité des entreprises en France et ailleurs, notamment lorsqu’on parle des plus grandes. Les chiffres le confirment année après année : le partage de la valeur se déforme au profit des actionnaires et au détriment des salariés dans les entreprises françaises. Pire, c’est la hausse des profits qui a le plus contribué à l’inflation en Europe ces derniers mois.

Insensé : on produit de plus en plus de richesses, qui contribuent à l’inflation en pleine crise du pouvoir d’achat, et ces richesses ne ruissellent même pas sur les salariés, dont les salaires, eux, stagnent. Cette question du partage de la valeur devrait être centrale dans les politiques RSE : comment mieux répartir les profits, en faveur notamment du plus grand nombre des salariés modestes ? Comment sortir de la logique d’accaparement des ressources financières par les actionnaires et les logiques de court terme, afin de faire émerger un juste partage ? Voilà les questions essentielles qu’il faudrait se poser avant de penser philanthropie ou gobelets réutilisables.

Et derrière ces questions, il y a évidemment, aussi, celle des rémunérations justes. Difficile en effet de se dire « responsable » quand son entreprise affiche encore des écarts de salaires de plus de 1 à 100, parfois beaucoup plus, entre les salariés « de base » et les dirigeants. Les inégalités de salaire hommes-femmes sont depuis longtemps un des enjeux des politiques RSE (grâce notamment aux réglementations salutaires mais insuffisantes sur le sujet), il est temps que les inégalités de salaires globales en deviennent un aussi.

Les inégalités se creusent en France et fracturent la société. Elles contribuent à un certain nombre de frustrations sociales et à une colère qui s’exprime tantôt dans la rue, tantôt dans les urnes, et participe à la crise de confiance dans le système socio-économique global. Les entreprises contribuent au premier chef à ces inégalités en refusant de se poser la question d’encadrer l’échelle des salaires. Elles ne font qu’au contraire que renforcer le phénomène.

Écarts de salaires, alignement des rémunérations des dirigeants sur les critères RSE, limitation des plus hautes rémunérations, voilà des enjeux qui devraient être au cœur des stratégies RSE. En se rappelant bien que le partage de la valeur se joue d’abord sur les salaires (et les cotisations qu’elles permettent) et pas sur les primes et autres avantages en nature, dont les entreprises sont friandes mais ne sont souvent qu’un voile masquant l’absence de réflexion sur les rémunérations justes.

3 – La qualité des conditions de travail

La réforme des retraites a remis, à juste titre, la question des conditions de travail sur le devant de la scène médiatique. Les études montrent régulièrement que les conditions de travail en France sont mauvaises, et se dégradent, sous la pression notamment d’exigences de rentabilité absurdes (là encore, la gouvernance est en cause).

Les départements RSE ont parfois pris en compte cette questions sous le prise de ce que l’on appelle la QVT (qualité de vie au travail). Mais bien souvent, lorsque la RSE s’intéresse à la QVT, c’est sous l’angle de mesures accessoires : installer des salles de relaxation, des espaces végétalisés, promouvoir des actions philanthropiques, des événements conviviaux supposés « engager » le « collaborateur » (sic)… Pas de réflexions profondes sur les modes de management parfois pathogènes qui subsistent dans l’entreprise, sur la pression subie par les salariés, sur l’équilibre vie profesionnelle / vie privée, sur le non-respect des horaires, et même souvent, sur le non-respect du droit du travail.

Deux tiers des salariés déclarent effectuer des heures supplémentaires non payées en France. Près des trois quarts estiment que le harcèlement moral est répandu au travail, et un sur deux est en épuisement physique ou émotionnel. Le tout, sans doute pour beaucoup d’entre eux dans des entreprises qui clament être « responsables »… Mais pas responsables au point de respecter la loi apparemment, ni la dignité de ceux qu’ils nomment ironiquement leurs « collaborateurs ».

La difficulté ici est que l’enjeu des conditions de travail est extrêmement transverse. Il est, de fait, la mission essentielle du département RH, et les départements RSE, souvent isolés, n’ont pas réellement les moyens de peser sur cette problématique structurelle, quand bien même ils le voudraient. Aussi, remettre en cause la mauvaise qualité des conditions de travail impliquerait de revoir les priorités business : investir pour un environnement de travail sain, du matériel adéquat, engager suffisamment de salariés pour éviter les surcharges de travail, former les managers aux risques psycho-sociaux, mettre en place des procédures d’aides et de soutien aux salariés en difficultés… Voilà qui coûte sans doute un peu plus cher qu’une énième politique de mécénat de compétences, ou que l’installation de ruches sur le toit !

4 – Le respect de la fiscalité

La fiscalité : voilà encore un enjeu pour lequel la bonne foi des entreprises a de quoi être mise en doute. Elles se disent responsables, donnent aux associations, participent à des projets sociaux et environnementaux… Mais oublient leurs devoirs quand elle est fiscale. Traduction : elles oublient de payer leur juste part d’impôts.

On pourrait citer les noms de toutes les grandes entreprises de la tech ou du digital, mais cela concerne en fait toutes les grandes entreprises en général, qui pratiquent à loisir l’optimisation fiscale (doux euphémisme de l’évasion para-légale), délocalisent leurs profits dans des paradis fiscaux, ou profitent de tous les dispositifs possibles pour alléger leurs cotisations, sans que cela produise par ailleurs de l’emploi durable ou des bénéfices sociaux (le CICE en est un bon exemple).

La première responsabilité d’une entreprise, c’est de respecter le droit, y compris le droit fiscal. Et si l’on est honnêtes, cela s’entend aussi comme respect de l’esprit du droit. Or, détourner des dispositifs (légaux ou pas) pour payer moins d’impôts est évidemment une manière d’éviter d’avoir à assumer ses responsabilités fiscales en conformité avec l’esprit du droit fiscal. Ce qui décrédibilise du même coup l’ensemble des tentatives de « RSE » mises en place par ces entreprises qui refusent de facto de contribuer au financement de l’intérêt collectif ou des services publics.

Chaque département RSE devrait s’intéresser à cette question, et devrait être le poil à gratter interne des entreprises qui pratiquent avec cynisme l’évasion et l’optimisation fiscale. L’enjeu est évidemment sensible, et on sait bien que peu d’entreprises feront la démarche (pour le coup réellement responsable) de payer vraiment ce qu’elles doivent à la collectivité. Mais au minimum faire preuve de transparence sur ses contributions fiscales devrait être le B.A-BA de la responsabilité d’une entreprise.

5 – Le dialogue avec les parties prenantes

Enfin, trop d’entreprises négligent la nécessité du dialogue avec leurs parties prenantes. On se situe là dans la lignée des insuffisances de la gouvernance collective : trop peu d’entreprises consultent réellement leurs clients, les communautés locales, les collectivités, ou encore le monde associatif lorsqu’elles mettent en place des projets ou des orientations stratégiques.

Il faut dire que de plus en plus, les entreprises ont du mal à montrer à leurs parties prenantes en quoi leurs projets est bénéfique pour la société, d’autant plus lorsque les externalités négatives (qu’elles soient sociales ou environnementales) de ces projets sont nombreuses. Difficile de dialoguer dans ce contexte, puisque la « licence to operate » des entreprises est de plus en plus remise en cause ! Pourtant, cela devrait être une priorité pour les entreprises dites « responsables ».

Avant de mettre en place des projets, il apparaît de plus en plus nécessaire de consulter les citoyens locaux, de s’associer aux collectivités et au monde associatif. Cette co-construction avec les parties prenantes externes (en plus des parties prenantes internes) devrait être l’une des priorités des responsables RSE, qui devraient mener leurs projets en concertation avec un maximum d’acteurs.

Malheureusement, c’est encore trop souvent la logique des silos qui s’applique : la démarche RSE est pensée et développée en interne par un nombre limités de dirigeants (et encore, quand les dirigeants sont impliqués) et elle l’est trop souvent sans vraiment s’articuler avec les impératifs sociaux et environnementaux prioritaires.

Évidemment, il s’agirait là encore d’une grande révolution pour le monde de l’entreprise que de porter ce dialogue avec les parties prenantes, car cela reviendrait à leur demander d’abdiquer une partie du pouvoir considérable qu’elles ont acquis dans nos sociétés à grands coups de lobbying. Mais n’est-ce pas ça, au fond, la responsabilité ? Savoir partager, avec humilité, les pouvoirs, les responsabilités, la valeur créée… ?

Bon courage aux responsables RSE, activistes internes des entreprises, qui devront porter ces enjeux dans des organisations souvent réfractaires !

Photo de Israel Andrade sur Unsplash

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