Les instances européennes sont-elles en train de reculer sur l’ambition de ses réformes sur la transition écologique et sociale des entreprises ? Il semble bien que oui…

Depuis quelques années, la Commission Européenne et le Parlement Européen travaillent à de nouvelles règlementations pour renforcer les exigences en matière de durabilité pour les entreprises et les acteurs économiques et financiers. Parmi ces réglementations, la CSRD, qui devrait contraindre un grand nombre d’entreprises européennes à renforcer leurs actions d’évaluation et de reporting environnemental et social. Mais aussi la SFDR, qui, avec la taxonomie verte, voulait poser un cadre plus strict à la finance durable et aux acteurs financiers dans la définition des investissements durables.

Avec ces réglementations, l’Europe se positionnait comme un pionnier dans la définition d’exigences contraignantes pour le secteur économique et financier en matière de durabilité et de RSE. Mais ces dernières semaines, les instances réglementaires européenne semblent reculer, et vider de leur substance ces réglementations essentielles. La gouvernance européenne va-t-elle s’incliner face aux groupes de pression économiques, et au passage sacrifier la transition écologique et sociale du continent ? C’est ce que laissent penser les prises de position récentes des acteurs européens.

CSRD : l’Europe perd du temps et recule

Les réglementations nationales et communautaires ne demandent pas grand chose aux entreprises en matière de durabilité aujourd’hui. Essentiellement, la RSE est incitative, et la seule chose qui est aujourd’hui obligatoire, c’est le reporting : publier chaque année un rapport sur ses indicateurs environnementaux, sociaux ou de gouvernance. Jusqu’à récemment, seules les grandes entreprises étaient contraintes de faire ce reporting, et sur un nombre limité d’indicateurs, dans des conditions souvent floues.

La CSRD proposait de pousser cette exigence de reporting plus loin : plus d’entreprises concernées, avec des normes de reporting plus strictes. Il s’agissait de soumettre à cette obligation de reporting près de 40 à 50 000 entreprises, soit quatre fois plus qu’actuellement. Les instances européennes avaient confié à l’EFRAG, association consultative européenne à but non lucratif sur l’information financière, d’établir des standards de reporting plus stricts. Entrée en vigueur ? L’an prochain pour les grandes entreprises, et progressivement les années suivantes pour toutes les entreprises cotées quelle que soit leur taille, et la plupart des entreprises au-delà de 250 salariés.

Une réforme plutôt ambitieuse comparée aux autres réglementations mondiales sur le sujet, mais qui ne constitue pas non plus une franche révolution vers la durabilité globale du secteur économique. Après tout, il ne s’agit que de transparence. Et bien il semble que l’Europe veuille revenir sur cette (petite) ambition. En effet, depuis quelques semaines, les responsables européens (notamment Ursula von der Leyen, et le commissaire européen aux services financiers) multiplient les déclarations qui laissent entendre que la réforme va être retardée et allégée. Calendrier de l’EFRAG modifié, actes délégués « simplifiés », normes nuancées… Difficile de dire à ce stade ce qu’il restera de la CSRD.

La SFDR n’établira pas de définition d’un investissement responsable

Côté SFDR, même son de cloche. La SFDR, avec la taxonomie, devait être la pierre angulaire de la réforme des marchés financiers européens, et de l’intégration dans ces derniers de vrais critères et politiques de durabilité.

Dans un monde de la finance responsable toujours flou (avec ses dizaines de labels aux exigences variables) la SFDR et la taxonomie venaient clarifier ce qu’est ou n’est pas un investissement « durable », et dans quelles conditions les acteurs financiers peuvent se dire « responsables ». Ces réglementations devaient en quelque sorte donner des critères objectifs, scientifiques, consensuels pour définir quels investissements sont souhaitables dans la transition écologique.

Mais là encore, marche arrière. Dans une lettre publiée le 14 avril, la Commission Européenne précise que la SFDR ne prescrira aucune approche spécifique pour déterminer la contribution d’un investissement à des objectifs environnementaux ou sociaux. L’organisme précise que ce sera aux acteurs des marchés financiers de divulguer la méthodologie qu’ils ont appliquée pour effectuer leur évaluation des investissements durables, y compris la manière dont ils ont déterminé la contribution des investissements aux objectifs environnementaux ou sociaux. Ce sera aussi aux acteurs financiers de justifier dans leurs reporting de la manière dont les investissements ne causent pas de préjudice significatif à un objectif d’investissement environnemental ou social et la façon dont les entreprises bénéficiaires satisfont à l’exigence de « bonnes pratiques de gouvernance ».

Traduction : les acteurs financiers définiront eux-mêmes ce qu’ils considèrent comme des actifs « durables » ou « responsables ». Pour ceux qui attendaient plus de transparence dans le secteur financier, et enfin un alignement entre la finance prétendument durable et les objectifs sociaux et environnementaux, il faudra donc attendre.

Un recul face aux lobbies économiques

Ces décisions interviennent alors que depuis quelques semaines, les bruyantes voix des lobbies financiers et économiques ne cessaient de s’élever dans les médias et dans les allées des instances européennes.

Les réglementations européennes, jugées trop complexes, ou trop floues par le secteur privé, ont été attaquées de toutes parts par les différents acteurs, qui ont, comme souvent, brandi le drapeau du chantage à la compétitivité pour justifier la dilution de ces réformes pourtant oh combien nécessaires.

Difficile pour l’heure de dire ce qui ressortira de ces chantiers législatifs en cours, et comment cela affectera la capacité du continent à s’engager dans la transition écologique et sociale. Mais on peut d’ores et déjà s’inquiéter de cette abdication du pouvoir européen, pourtant pionnier dans ce domaine, face aux acteurs économiques qui pourtant, se portent bien si l’on en croit les cours boursiers, les profits et les salaires des dirigeants publiés ces dernières semaines.

L’Europe conservera-t-elle son ambition de leader mondial de la transition durable ? Pas sûr. Espérons au moins qu’elle ne revienne pas sur le concept de double matérialité, essentiel pour une approche réellement transformative de la RSE.

Voir aussi : Loi industrie verte : des propositions inefficaces ?

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