La crise du coronavirus a des effets positifs sur l’environnement. Pourtant, pas de quoi se réjouir, car cela montre surtout l’interdépendance complexe et difficilement dépassable entre économie et écologie.

Depuis quelques semaines, nombreux sont ceux qui ont mis en évidence les effets écologiques positifs du coronavirus. En Chine, ce seraient au moins 100 millions de tonnes de CO2 qui auraient déjà été évitées « grâce » au coronavirus. On constate aussi sur place la diminution de la pollution de l’air, des particules fines. Bientôt, avec le confinement, la réduction des transports et des activités marchandes, on verra la même chose en France.

Certains, en dépit des victimes et des graves conséquences sanitaires, ont même été prompt à juger comme une bonne nouvelle ces effets écologiques positifs liés à la pandémie. Pourtant, derrière le constat initial se cache une vraie complexité. Ce que montre la crise du coronavirus, c’est surtout qu’il y a un lien presque causal entre la production économique et la dégradation de l’environnement. Et ce n’est pas nécessairement une « bonne nouvelle », car cela signifie que pour améliorer notre bilan environnemental, il va falloir modifier très profondément notre système économique. Et cela promet de ne pas être simple. Tentons de faire le tour de la question.

Coronavirus et écologie : les symptômes d’un modèle en crise

Avec le coronavirus qui s’étend partout sur la planète, on commence à constater ça et là des effets écologiques positifs : diminution des émissions de CO2, des particules fines, baisse de l’exploitation des ressources… En fait, il est fort possible qu’en 2020, du fait du coronavirus notamment, le bilan environnemental global soit légèrement moins négatif que les années précédentes. Bien-sûr, il n’y a rien d’enviable à cette situation : on ne peut que déplorer les victimes et la dégradation de la situation sanitaire et rappeler l’importance de respecter les gestes de protection. Toutefois, ce lien entre crise du coronavirus et écologie ouvre de nombreuses questions.

Que les dégradations environnementales que nous générons baissent, c’est une situation inédite, ou presque. Depuis un siècle, jamais les émissions de CO2 globales de la planète n’ont baissé de façon significative, à quelques exceptions près : durant la crise de 1929, durant la Seconde Guerre Mondiale, très légèrement durant les chocs pétroliers, et plus récemment pendant la crise de 2008.

On peut donc dire qu’en pratique, les seuls moments où l’humanité parvient à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre ou son impact écologique, c’est lorsqu’elle y est contrainte par une crise, et notamment les crises qui affectent son économie.

À chaque fois, les mécanismes sont les mêmes : la production globale baisse ou se réoriente, les déplacements sont réduits, la consommation énergétique globale baisse. Résultat : on pollue moins. Et le coronavirus joue exactement sur ces mêmes mécanismes. En Chine, la mise à l’arrêt de nombreuses usines a permis la diminution de la production électrique (très largement dépendante du charbon), les confinements ont limité considérablement l’usage des véhicules motorisés. En conséquence : moins d’émissions de gaz à effet de serre, moins de pollution. Et plus largement, moins d’exploitation des ressources.

En fait, les effets écologiques du coronavirus ne sont qu’un symptôme d’un système économique en crise. Historiquement, quand l’économie va mal, l’écologie va bien. Et inversement.

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L’écologie face à la croissance économique

À priori, ce constat devrait nous inciter à soulever plusieurs questions sur les liens entre écologie et économie. En particulier, on devrait s’interroger sur la compatibilité entre croissance économique et réduction de nos impacts écologiques.

Les preuves empiriques montrent qu’il est difficile de faire la transition écologique lorsque le monde économique est en croissance. Et c’est logique : ce qui tire la croissance, c’est la production de biens, l’exploitation de ressources, l’usage d’énergies, bien souvent des énergies fossiles, polluantes. Ce qui tire la croissance, c’est la consommation, l’usage et donc encore une fois, la consommation d’énergie, pour se déplacer, notamment.

En théorie, il devrait être possible de défaire ce lien impact écologique – croissance. Pour effectuer ce découplage, il faudrait être capable de produire de la richesse de façon différente, en se basant sur des sources d’énergie moins polluantes, décarbonées, en passant à un modèle beaucoup plus économe en ressources, beaucoup plus circulaire. En théorie ! Mais en pratique, on voit bien l’immense difficulté de ce chantier : les énergies décarbonées restent extrêmement minoritaires, les logiques de coût qui prévalent dans le système économique empêchent toute gestion rationalisée des ressources, la vision du profit à court terme supplante bien souvent les bonnes intentions pour le long terme.

Bref, il semble bien que la prise en compte de l’écologie soit difficile dans le système économique contemporain. Et en conséquence, les seuls moments où l’on sait se rationner, c’est lorsqu’on y est forcés par une crise, comme celle du coronavirus.

Coronavirus : un aperçu de la décroissance ?

Il serait dès lors tentant de voir dans la crise du coronavirus une preuve que la solution à la crise écologique se trouve dans la décroissance. Là encore, logique : si on réduit la croissance économique, et donc la production de masse, on réduira du même coup la pollution et la dégradation de l’environnement.

Toutefois, là encore, la crise du coronavirus semble poser plus de questions qu’elle ne donne de réponses. En effet, on voit bien que la décroissance que l’on est en train de subir à cause du coronavirus (le gouvernement français table désormais sur une décroissance de 1% pour 2020) n’est pas exactement « simple ». Des centaines voire des milliers d’entreprises sont actuellement en difficulté face à la crise. Le recours au chômage partiel ou au chômage technique se généralise. Parmi ceux qui sont touchés, beaucoup de foyers à faibles revenus, de petits patrons, de petites entreprises.

Pour tous ces acteurs, et pas uniquement en France, la décroissance va signifier une perte significative de revenus et de confort. Des pertes de revenus qui ne seront pas sans conséquence sur la qualité de vie : difficulté d’accès aux soins, précarité économique, précarité énergétique, chômage de longue durée… Les conséquences potentielles, notamment pour les personnes les plus fragiles (sur le plan économique, social ou sanitaire) ne sont pas négligeables.

Souvent lorsque ses partisans évoquent la décroissance, il se dégage une image « romantique » du processus. On nous explique que la décroissance peut être heureuse, que la qualité de vie ne dépend pas du revenu, qu’on peut vivre avec « moins de biens, mais plus de liens ». Mais la réalité que l’on observe déjà et que l’on continuera à observer pendant longtemps après la crise du coronavirus est toute autre : lorsqu’il y a décroissance économique subie, ce sont les plus pauvres qui payent les pots cassés, et avec de grandes conséquences sur leur qualité de vie et même leur espérance de vie. Et encore, il ne s’agit là que des Français : qu’adviendra-t-il, partout dans le monde, des ouvriers pauvres dont le revenu et la survie dépend des cycles économiques ? Quelle sera la pression, demain, sur cette main d’oeuvre quand il faudra réduire les coûts pour compenser les pertes ? Là encore, cela promet des effets dramatiques.

Subir ou organiser la décroissance

En fait, le coronavirus illustre assez bien la complexité du débat entre croissance et décroissance. D’un côté, il est évident que la croissance économique et surtout les dérives qu’elle entraîne ont des effets dramatiques sur les équilibres écosystémiques. Pourtant, la croissance a aussi été, depuis près de deux siècles maintenant, l’un des principaux moteurs de la lutte contre la pauvreté, de l’amélioration des techniques scientifiques et médicales, de l’innovation, et de l’amélioration de la qualité de vie humaine.

De l’autre côté, il semble évident aujourd’hui qu’on ne peut plus continuer sur un modèle de croissance extractiviste, linéaire, inégalitaire qui est celui qui prévaut encore très largement partout dans le monde. Mais la décroissance n’est pas non plus une solution simple, magique, un retour à l’âge d’or perdu de la simplicité. Cela peut aussi être un retour rapide en arrière en termes de qualité de vie et de gestion des besoins primaires de l’humanité.

C’est là toute la difficulté qui se présente aux sociétés humaines aujourd’hui : sortir d’un modèle en partie dysfonctionnel, inventer autre chose, sans perdre pour autant ce que nous avons construit de positif. La décroissance, nous allons devoir la vivre, d’une façon ou d’une autre, face à la baisse des ressources énergétiques ou à la dégradation des limites planétaires. D’ailleurs, il semble nécessaire de faire une distinction sémantique entre récession (ou décroissance subie) et décroissance, en tant que processus volontaire. En tout cas qu’on la subisse ou qu’on la planifie, certains secteurs devront produire moins, réduire la voilure, pendant que d’autres devront continuer à rester productifs et même sans doute à rester en croissance, car ils répondent à des besoins fondamentaux.

De nombreuses questions se posent alors : comment organiser la décroissance, là où elle est nécessaire, en évitant des conséquences économiques, sociales, humaines et sanitaires négatives. Comment choisir quels secteurs non-essentiels il va falloir « sacrifier » pour réduire nos besoins en énergie et en ressources ? Quels sont ceux au contraire qui doivent continuer à se développer ? Comment faire en sorte que cette décroissance organisée ne signifie pas pour des millions de travailleurs une vie dégradée et précaire ? Comment organiser la redistribution ?

Gérer l’urgence et la complexité en même temps

Aujourd’hui, la crise du coronavirus nous oblige à faire ces choix de manière brutale, dans l’urgence, pour éviter une catastrophe sanitaire. Evidemment, l’Etat promet de « prendre en charge » toutes les difficultés inhérentes à cette décroissance temporaire subie. Mais pourra-t-il vraiment le faire ? Les petites entreprises, les indépendants, les travailleurs précaires se relèveront-ils vraiment de cette légère décroissance ? Et à quel prix l’Etat pourra-t-il gérer ça ? Quelles conséquences sur la dette, par exemple, ou sur les ressources allouées aux services publics, ou sur la fiscalité ?

On est obligés, pour être réaliste, de se poser ces questions. Et en matière d’écologie, c’est la même chose. La décroissance, la sortie du système économique contemporain : d’accord, en théorie. Mais comment l’organiser de façon équilibrée en pratique ? Comment le faire si l’on est seul et isolé dans un système international concurrentiel qui n’est pas prêt à ce changement ? Et d’ailleurs, à quoi bon si on est seul ? Comment gérer en même temps l’urgence d’un changement de modèle et la complexité d’un tel changement sur le plan technique ou en termes de recherche du consensus ?

Quand on voit les difficultés immenses que l’on a à se coordonner entre Etats ou à faire appliquer et respecter des règles d’hygiène et de sécurité de base face à une épidémie comme le coronavirus, on comprend bien pourquoi la lutte contre le changement climatique ou la crise de la biodiversité sont complexes. D’où la nécessité de commencer à penser ces problèmes avant qu’ils ne deviennent des urgences, comme l’est aujourd’hui la pandémie de coronavirus.

Photo par Ella Ivanescu sur Unsplash