Les dommages que l’on inflige à la planète peuvent aussi avoir des conséquences sur nous, sur notre bien-être. C’est l’éco-anxiété ou la solastalgie. On vous en dit plus

Des images d’incendies hors-normes, des inondations de plus en plus fréquentes, des rapports scientifiques alarmistes concernant le climat : l’éco-anxiété est une réaction émotionnelle face à la crise écologique. Elle se manifeste sous diverses formes d’inquiétude et touche particulièrement les jeunes. Qu’est-ce que l’éco-anxiété ? Comment se manifeste-t-elle ? Quelles sont les stratégies pour en sortir ou du moins apprendre à vivre avec ? C’est ce que nous allons explorer à travers cet article.

Eco-anxiété, solastalgie, l’expression d’un mal-être face aux menaces environnementales globales

L’éco-anxiété ou encore solastalgie désigne avant tout une sensibilité aux désordres environnementaux qui peut nous faire ressentir de la peur, de la tristesse, de l’inquiétude voire de la culpabilité. Etre éco-anxieux ou solastalgique signifie que l’on ressent des émotions et que l’on se pose de nombreuses interrogations face désordres environnementaux et à leurs conséquences sur les populations, par exemple après une catastrophe naturelle.

Eco-anxiété ou solastalgie ?

Poser la distinction entre ces deux termes aide à mieux saisir leur portée. L’éco-anxiété renvoie à une détresse prospective, dans le sens où imaginer l’avenir devient une source d’inquiétude. Avoir peur pour l’avenir de ses enfants ou peur par rapport à la hausse des températures selon les scénarios du GIEC font partie de ce registre.

La solastalgie désigne quant à elle une détresse rétrospective : on constate la perte, celle de la nature, d’un monde, la dégradation de l’environnement. La personne se sent généralement triste, impuissante voire coupable de voir ce qu’elle a sous ses yeux. On peut prendre le cas de l’explorateur Mike Horn dans le cadre de son expédition au pôle nord en 2019 où il déplore au cours d’une interview qu’il n’a rencontré aucun ours polaire en 90 jours d’expédition, tandis qu’il en avait vu des dizaines lors de sa précédente expédition dans la région, 13 ans plus tôt. En effet, les phoques qui constituent la base de l’alimentation des ours ne peuvent plus se poser sur la banquise car une grande partie de celle-ci est devenue très mince et fragile. Ils restent donc dans l’eau et les ours ne peuvent plus les chasser.

Comment apparait et se manifeste l’éco-anxiété ?

Cette sensibilité aux menaces environnementales globales se développe généralement suite à un événement qui nous a touché et a généré une prise de conscience. Constater qu’il y a de moins en moins de neige en montagne ou des événements climatiques extrêmes qui se succèdent par exemple peuvent permettre cette prise de conscience.

Alors comment réagissons-nous face aux catastrophes écologiques et climatiques ? La manifestation de cette anxiété est, elle-aussi, propre à chacun. Au-delà du champ émotionnel, on peut avoir des traductions physiques de ces inquiétudes avec par exemple des troubles du sommeil ou encore des attaques de tachychardie selon Charline Schmerber, thérapeute spécialiste de la solastalgie dans une émission consacrée au sujet sur France Inter.

Et si certains arrivent à faire en sorte que leur quotidien ne soit pas perturbé, d’autres pas. En fonction de sa sensibilité personnelle mais aussi de sa profession, de son environnement, ou de son entourage, l’éco-anxiété nous affecte plus ou moins. Au départ non considérée comme une maladie, elle peut relever de la pathologie lorsque l’individu se sent dépassé par ses émotions et que la souffrance morale devient trop importante. Cela se traduit notamment par des épisodes dépressifs. Un moment de plus grande fragilité émotionnelle ou de vulnérabilité sont parfois des facteurs qui font que l’individu franchit la barrière de la dépression. Mais ce n’est pas la majorité.

L’éco-anxiété touche particulièrement les jeunes

45% des jeunes de 15 à 26 ans éprouvent de l’anxiété à cause de la crise climatique, selon le résultat d’une étude rendue publique sur l’anxiété climatique. Elle s’est basée sur un sondage auprès de 10 000 jeunes de 16 à 25 ans dans 10 pays dont la France. Une anxiété qui affecte le quotidien, le sommeil, l’alimentation, le travail ou encore les divertissements. L’étude indique également que 75% des 15-26 ans jugent le futur « effrayant » et 56% estiment que « l’humanité est condamnée ».

Concrètement, les jeunes estiment que la crise peut impacter leur vie personnelle et professionnelle (55% estiment qu’ils auront moins d’opportunités que leurs parents), leur vie familiale (52% supposent que la sécurité de leur famille « sera menacée », 39% hésitent à avoir des enfants), et leur niveau de bien-être général (59% des sondés jugent être « très » ou « extrêmement inquiets » du changement climatique).

Si l’éco-anxiété touche particulièrement les jeunes, c’est avant tout parce que c’est de leur avenir dont il s’agit ! Mais d’autres personnes sont également « à risque » face à l’éco-anxiété. C’est notamment le cas des urbains qui peuvent se sentir plus déconnectés de la nature, les paysans ou populations indigènes qui ont un rapport fort à la terre, ou encore les scientifiques, notamment les climatologues et écologues, qui nourrissent le débat scientifique et sont donc en contact direct avec les chiffres.

D’une manière générale, les Français sont préoccupés par la question : la protection de l’environnement est la deuxième préoccupation des Français derrière l’épidémie de Covid-19, d’après l’enquête « Fractures françaises » d’Ipsos Sopra-Steria pour « Le Monde ». 82% d’entre eux souhaitent des « mesures rapides » concernant la protection de l’environnement, quitte à changer leurs modes de vie.

L’éco-anxiété, un mal civilisationnel ?

Ce qui est nouveau, ce n’est pas que des personnes manifestent des inquiétudes face aux bouleversements environnementaux mais plutôt qu’on mette un nom sur ça, que l’on puisse se l’approprier dans le débat public et produire de la connaissance sur le sujet.

Et au regard du développement de nos sociétés, de plus en plus de personnes risquent de développer ces troubles anxieux : nous sommes coupés de la nature. Or, nous avons précisément besoin de la nature et du vivant pour nous sentir bien et heureux. Les études scientifiques en rapport avec la biophilie démontrent le caractère essentiel de la nature pour notre santé à la fois physique et mentale. Par exemple en Europe, on compte deux fois plus de personnes schizophrènes en ville qu’à la campagne. Si ce n’est évidemment pas le seul facteur, le manque de contact avec la nature pourrait expliquer ces chiffres plus élevés en ville.

Et dans un registre plus philosophique, si l’on en croit Stendhal qui affirmait que « la beauté n’est que la promesse du bonheur », alors le contact avec la nature, beauté par essence, nous rendrait heureux.

Mais alors si l’éco-anxiété touche un grand nombre de personnes, peut-on parler de mal civilisationnel ?

Alice Desbiolles, médecin en santé publique et spécialisée en santé environnementale nous offre sa perspective sur le sujet. Dans son livre L’éco-anxiété : vivre sereinement dans un monde abîmé publié en 2020 aux éditions Fayard, elle nous dit que notre santé dépend aussi de la santé des écosystèmes. En effet, on l’a vu, les menaces environnementales peuvent nous affecter directement. De la même manière, Alice Desbiolles, montre que la réciproque est vraie : des sociétés malades engendrent une planète malade.

Sur ce point, elle insiste notamment sur le fait que ce sont les désordres du monde d’une manière générale qui provoquent en nous l’éco-anxiété ou la solastalgie.
Ce seraient notamment notre manque de contact avec la nature mais nos modes de vie et la manière de nous comporter qui nous pousseraient dans des situations de fragilité et de vulnérabilité : le lien entre l’homme et la nature semble rompu, la Terre n’est plus considérée comme une partenaire mais une ressource à exploiter.

En ce sens, Alice Desbiolles souhaite remettre au coeur des paradigmes de santé publique, de médecine et de société le lien entre santé environnementale et santé psychologique.

Face à ce constat, quels sont les moyens pour surmonter cette souffrance psychologique ?

5 stratégies pour faire face à l’éco-anxiété

Dans l’éco-anxiété il y a la peur mais aussi l’impuissance, alimentée par les chiffres des rapports scientifiques qu’on peut lire. Pour sortir de ce sentiment d’impuissance et réussir à vivre avec l’éco-anxiété, plusieurs stratégies peuvent être mobilisées.

En parler

Discuter avec quelqu’un de ce que l’on ressent est déjà une première étape et aide à prendre de la distance par rapport à ce que l’on ressent. Avoir quelqu’un qui nous écoute et légitime ce qu’on ressent, est important, d’autant plus dans un contexte où peut parfois se sentir très seul vis-à-vis de la situation. Nous ne sommes pas tous sensibilisés de la même manère face aux questions environnementales, et le fait de ne pas être entendu ou compris peut générer beaucoup de souffrance pour l’individu. Gardons aussi à l’esprit qu’il est plutôt normal de réagir de cette manière face à ces sujets, cela montre que l’on se sent concerné, et que l’on souhaite préserver notre environnement.

La mobilisation collective

Le fait de se groupe entre personnes qui partagent nos centres d’intérêt aide à se sentir compris et à transformer notre souffrance en force. Cela limite aussi « l’éco-paralysie », autrement dit le fait de ne plus rien faire au regard de ces enjeux, et finalement un retour à l’action par le collectif pour cultiver à plusieurs un sentiment d’utilité.
Des associations et de nombreux collectifs en général permettent cette mobilisation collective, à travers l’organisation d’actions.

Aller à la recherche des bonnes nouvelles et des initiatives

Sortir aussi du prisme global pour aller à la recherche d’initiatives individuelles, autour de soi, aide à se rendre compte de la mobilisation autour de ces enjeux. S’abonner à une newsletter de bonnes nouvelles autour du climat et de l’environnement, s’intéresser aux actions mises en place dans sa commune permet de limiter ce sentiment d’impuissance, relativiser, et se dire que l’on peut avoir un impact, à sa propre mesure, à l’échelle locale pour commencer.

Prendre conscience de ses propres limites

La volonté démesurée de vouloir sauver le monde et vouloir tout porter sur ses épaules est celle-là même qui conduit au sentiment d’impuissance. Reconnaitre ses limites et les accepter est important, pour ensuite agir, à l’échelle individuelle ou collective. Et de la même manière qu’on ne peut pas défendre toutes les causes, il faut choisir ses batailles et les mener, sans s’empêcher d’être heureux et de vivre.

Les écogestes au quotidien

Changer de mode de transport, consommer moins de viande, s’inscrire dans une AMAP, réduire ses déchets… Même si l’on a parfois l’impression que c’est dérisoire, les petits gestes du quotidien peuvent avoir un impact important sur nos émissions de gaz à effet de serre.

Retenons que l’éco-anxiété ou la solastalgie sont des réactions normales face à ce qui nous entoure, et que nous pouvons apprendre à vivre avec en donnant du sens à nos actions, ou en discutant de ce sujet avec d’autres personnes notamment. Se reconvertir professionnellement, agir dans un collectif ou encore mobiliser autour de soi sont des exemples de pistes. A vous de trouver ce qui vous permet d’être heureux tout en ayant conscience de l’urgence climatique et environnementale.

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