Apparu au début du XXème siècle, le football féminin est longtemps resté dans l’ombre de son équivalent masculin. Mais la médiatisation croissante de la discipline est l’occasion de revenir sur le développement de cette pratique, qui reste néanmoins encore victime de certaines inégalités.

Le football féminin : une discipline en pleine émancipation

D’après l’historienne Laurence Prudhomme, le football féminin est apparu en 1917, au sein d’une fédération féminine de gymnastique parisienne. Pratiquée en marge des fédérations masculines, la Fédération française de football créée en 1919 ayant refusé de l’intégrer, la discipline a connu des phases de développement discontinues entrecoupées d’une période de régression de la fin de la Seconde Guerre Mondiale aux années 1960.

Ce n’est qu’à compter des années 1960 que la pratique a recommencé à se développer pour être enfin reconnue en 1970 par la Fédération française de football. C’est d’ailleurs au cours de la décennie 70 que le football féminin en tant que discipline a été reconnu dans la plupart des pays où il était pratiqué.

Toutefois, contrairement au football masculin, massivement suivi à travers le monde, le football féminin est longtemps resté (très) discret. Du moins en France, car le soccer féminin est une discipline particulièrement populaire aux Etats-Unis, tout comme en Allemagne (le pays compte 500 000 licenciées, trois fois plus qu’en France).

Ce n’est qu’à l’occasion de la Coupe du monde de 2011 en Allemagne que le football féminin a commencé à se démocratiser et à être médiatisée dans l’Hexagone. Il faut dire que la période coïncidait avec un vide médiatique des compétitions de football internationales, permettant aux joueuses de l’équipe de France de faire trois fois la couverture du magazine L’Equipe.

Mais l’intérêt croissant dans l’Hexagone manifeste en réalité un mouvement de fond mondial, comme en témoigne la Coupe du monde féminine de 2015 organisée au Canada, qui a rapporté selon la FIFA 300 millions de dollars au pays hôte. La compétition a été suivie par 556,6 millions de personnes à travers le monde, avec un record d’audience à l’occasion de la finale Etats-Unis-/Japon remportée 5-2 par les américaines. L’engouement était tel aux Etats-Unis que des célébrités, comme Beyoncé ou le président Obama (rien que ça !), n’ont pas hésité à manifester leur soutien sur Twitter à l’équipe.

Une chose est donc certaine : le football féminin a de plus en plus la côte, ce qui a démocratisé cette discipline longtemps victime d’importants stéréotypes de genre.

Une discipline marquée par le recul des stéréotypes et un nombre croissant de licenciées

Les stéréotypes ont longtemps terni l’image du football féminin. Les joueuses étaient vues comme des « garçons manqués », quand elles n’étaient pas soupçonnées d’être homosexuelles.

Il faut dire qu’avant les années 2000, le contexte était peu propice au développement d’une autre image que celle de la « garçonne » : entre l’absence de vêtements spécifiques, imposant aux filles de porter des maillots de garçons, le manque de club permettant aux filles de jouer, l’absence de vestiaires séparés pour les équipes juniors, de trop nombreux éléments renvoyaient l’image d’un sport pratiqué pour faire  « comme les garçons ».

Heureusement, depuis quelques années, les choses ont véritablement changé et les joueuses ne sont plus considérées comme des garçons manquées, mais des femmes accomplies et fières de l’être… Au point d’en jouer pour susciter l’attention des médias comme l’ont fait les bleues qui ont posé nues pour susciter l’intérêt du public lors de leur participation à l’Euro 2009, l’attention de la presse spécialisée étant focalisée sur le foot masculin.

Ce recul des stéréotypes s’inscrit par ailleurs dans un phénomène de démocratisation de la pratique : alors qu’on dénombrait environ 87 000 licenciées en France en 2011-2012, il y en a désormais 180 000 licenciées. Soit une hausse de 138%.

Ce cercle vertueux devrait se poursuivre, au regard de nombreuses initiatives à l’oeuvre pour valoriser le football féminin à l’échelle d’institutions comme la FIFA qui a publié en octobre dernier une Stratégie pour le football féminin ou encore l’UNESCO, qui a établi un rapport intitulé Quand le football se conjugue au féminin.

Des controverses persistantes sur les inégalités salariales homme-femmes dans le football

Les choses vont dans le bon sens pour le football féminin : professionnalisation, médiatisation accrue (SoFoot consacre d’ailleurs une rubrique entière au football féminin sur son site internet, fait impensable il y a encore quelques années !), engouement croissant auprès des jeunes filles… En revanche, lorsqu’il est question des salaires, les choses sont plus délicates.

Les inégalités salariales sont en effet un sujet sensible dans le football féminin. La pratique est pourtant similaire au football masculin, même s’il persiste bien entendu des différences biologiques expliquant que les femmes sont moins puissantes et rapides. Ce qui n’altère en revanche nullement la qualité des matchs.

Pour autant, en dehors de quelques professionnelles comme Alex Morgan qui évolue à l’Olympique Lyonnais et peuvent vivre du football avec des salaires confortables – quoiqu’incomparable à leurs homologues masculins qui gagnent 100 fois plus –  la plupart de celles qui jouent à titre professionnelles ont des salaires compris seulement entre 1500 et 3000 euros par mois.

Mais alors, comment expliquer un tel écart salarial alors qu’en Norvège la Fédération de football a accordé un salaire équivalent aux joueurs masculins et féminins ?

Cette différence s’explique par le fait que partout dans le monde – et également en Norvège – le football masculin a des retombées commerciales bien plus importantes. A titre d’illustration, la Coupe du monde de football masculine, organisée au Brésil en 2014, a rapporté 4,8 milliards de dollars, tandis que son équivalent féminin au Canada en 2015 n’a rapporté que 300 millions de dollars à la FIFA.

Les deux compétitions relèvent donc de marchés économiques différents. Et si les footballeuses norvégiennes sont payées autant que les hommes, c’est car ces derniers ont accepté de leur laisser une partie de leur salaire.

Pour autant, il semble anormal que l’écart soit tel et que des sportives évoluant dans des compétitions internationales ne disposent pas de meilleurs revenus, même si on ne peut espérer pour l’heure que les femmes soient rémunérées comme les hommes. Il n’en reste pas moins qu’il est difficile de justifier que les bleus soient revenus avec la coquette somme de 38 millions d’euros suite à la Coupe du monde en Russie, alors que l’équipe qui remportera la Coupe du monde de football féminine devra se contenter de 4 millions d’euros.

La percée du football féminin sur le devant de la scène médiatique est une bonne chose, car il permet aux joueuses de faire davantage entendre leur voix pour lutter contre les stéréotypes et inégalités persistantes. Le récent recours porté par les joueuses de l’équipe de football féminin des Etats-Unis, championnes du monde en titre devant un tribunal de Los Angeles, pour différence de traitement par rapport à leurs homologues masculins en est une nouvelle preuve. On peut donc espérer qu’à terme, le football féminin soit une discipline véritablement reconnue et respectée. Et surtout, on peut espérer qu’à l’avenir personne n’osera plus demander à Ada Hegerberg, joueuse de l’OL et gagnante du dernier Ballon d’Or féminin de twerker à la cérémonie de remise du prix, comme l’a très peu délicatement fait un DJ dont on ne citera pas le nom…

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