Lorsque l’on communique sur les questions écologiques, vaut-il mieux mobiliser l’espoir ou la peur pour faire bouger les individus et les structures ? Voyons ce que disent les scientifiques à ce sujet.

On le sait désormais avec certitude aujourd’hui, les questions environnementales sont des enjeux fondamentaux à prendre en charge pour nos sociétés. Mais à la différence de beaucoup de problèmes économiques ou sociaux, les questions écologiques nécessitent une mobilisation globale de la société, il faut que chacun se mette à agir. Et pour ça, il faut faire de la pédagogie : expliquer les enjeux, présenter les axes d’action, identifier les limites. En gros, il faut en parler pour que la prise de conscience soit générale.

Mais comment en parler ? C’est là toute la question. Comment toucher le maximum de personnes, leur faire comprendre les enjeux et les pousser à agir ? Généralement, il y a deux grandes écoles pour répondre à cette question. D’un côté, il y a ceux qui mettent l’accent sur le risque, le danger et l’urgence. Ceux-là, qu’on appelle les catastrophistes ou les alarmistes, ne cessent de souligner comment l’inaction nous met en péril, pourquoi il faut agir vite et de façon radicale pour protéger notre environnement. D’un autre côté, il y a ceux qui mettent l’accent sur les solutions possibles, les transitions et les opportunités. Ceux-là sont les promoteurs de la consommation responsable et des petits gestes, ils encouragent et mobilisent, ils jouent sur le positif plutôt que sur le négatif. Entre ces deux approches, peur d’un côté, espoir de l’autre, il y a souvent une opposition de principe, et on en vient à se demander laquelle est la meilleure.

Peur ou espoir : comment parler des sujets environnementaux ?

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Cette question est aujourd’hui l’objet de discussions dans de nombreuses disciplines, y compris scientifiques. Ces dernières années, plusieurs études dans des domaines aussi différents que le marketing, la psychologie sociale, la communication ou la psychologie cognitive ont cherché à lui trouver des réponses. Très récemment, par exemple, deux chercheurs de l’Université de Taiwan ont publié une étude dans le Journal of Advertising Research justement sur ce sujet. En gros, ils ont cherché à savoir quelles étaient les réaction des consommateurs à des communications traitant du réchauffement climatique en fonction de l’émotion que ces communications cherchaient à faire passer : peur, ou espoir. Les chercheurs ont ainsi exposé des individus à ces deux types de messages (l’un invoquant la peur, l’autre l’espoir), puis ont cherché à mesurer l’attention, la prise de conscience et les réponses en action des sujets par rapport à l’enjeu étudié. Résultats, lorsque les communications cherchaient à susciter la peur, les messages passent plus efficacement auprès du public : les individus exposés à un message véhiculant la peur ont été plus attentifs, et plus intéressés. Mais ce qui est plus significatif, c’est que les sujets de l’étude étaient aussi plus volontaires pour agir (dans ce cas, en donnant à une association de lutte contre le réchauffement climatique) lorsque le message suscitait la peur.

Cette étude va dans le même sens que plusieurs études de psychologie sociale menées depuis plusieurs années sur ces sujets. En matière de santé par exemple, plusieurs chercheurs de l’Université de Chicago ont démontré en 2006 que la peur et la culpabilité étaient de plus forts leviers d’action et de changements de comportement que l’espoir ou les messages positifs. En d’autres termes : l’humain est plus susceptible de changer ses comportements lorsqu’il a peur ou se sent coupable que lorsqu’il a des raisons de penser que ce changement peut lui être positif. En termes de changement de comportement une grande méta analyse publiée dans le Bulletin de Psychologie en 2015 montrait que :

  1. Les messages jouant sur la peur sont efficaces pour changer positivement l’attitude des individus, leurs intentions et leurs comportements
  2. L’efficacité de ces messages augmente lorsqu’ils contiennent des énoncés sur la gravité du phénomène et sa probabilité
  3. Il n’y a pas de circonstance identifiée pour laquelle les appels à la peur finiraient par avoir un effet contre-productif (autrement dit, ce n’est pas parce que l’on vous dit que tel comportement est dangereux que vous allez être tentés de le pratiquer encore plus).

Et si la peur paralysait et empêchait d’agir sur le réchauffement climatique ?

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Pourtant, malgré ces analyses et les études répétées qui ont été menées sur le sujet, beaucoup estiment encore que les messages de peur sont inefficaces car ils tendraient à paralyser et à empêcher les individus de se mettre en action. C’est un débat récurrent à propos du réchauffement climatique. Par exemple, des figures comme Al Gore ont souvent insisté sur la nécessité d’être optimiste sur le réchauffement climatique pour inciter à l’action. L’argument revient d’ailleurs souvent, comme on a pu le voir 2017 après la publication de la tribune de David Wallace-Wells dans le New York Magazine « La Terre Inhabitable ». Cette tribune listait l’ensemble des risques établis par les scientifiques à propos du changement climatique, et alertait sur les risques majeurs qu’il faisait peser sur la capacité de l’espèce humaine à survivre sur terre. Le texte, avait alors déchaîné les passions après que ses détracteurs l’aient considéré comme trop pessimiste et trop « terrifiant ». L’argument : ce type de discours, empêcherait les citoyens de se passer à l’action. Alors, la peur empêche-t-elle d’agir ?

Là encore, si l’on en croit les études accessibles, pas forcément. Le constat a été fait en 2016 par deux chercheurs dans une étude publiée dans Global Environmental Change : quand on expose des individus à des messages présentant le réchauffement climatique sous l’angle de la peur d’un côté, de l’optimisme d’un autre et enfin à des messages neutres, ce sont ceux qui sont exposés à la peur qui sont les plus susceptibles de mettre en oeuvre des changements d’attitude sur leurs comportements polluants. Au contraire, ceux ayant reçu un message optimiste se sentaient même après l’étude moins prêts à agir que ceux qui avaient reçu un message neutre. Pourquoi ? Tout simplement parce que lorsqu’on a peur (pour sa santé, sa vie, ses enfants…) cela constitue une motivation pour le changement. Alors que quand on a des raisons d’être optimistes, le passage à l’action peut attendre, en quelque sorte.

Dans un long essai publié en 2010, Robert J. Brulle explique ainsi (p.92) que l’ensemble des études empiriques récentes montrent que les études suscitant la peur sont plus efficaces pour susciter la prise de conscience sur les enjeux climatiques.

Comment parler des problèmes environnementaux : il n’y a pas de recette émotionnelle miracle

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En résumé, il semble que la peur soit un vecteur efficace pour faire prendre conscience et pour faire agir. Mais dans les faits, force est de constater que malgré les messages de plus en plus catastrophiques diffusés un peu partout sur les sujets écologiques, les passages à l’action restent très limités. Dans tous les pays développés (pourtant les plus informés sur le sujet et les plus conscients des risques) les pratiques de consommation n’évoluent pas, ou très peu. Une infime partie de la population consomme bio, encore moins renoncent à prendre leur voiture ou à consommer des produits électroniques, de la viande ou des objets polluants. Les petits gestes qui sont bien établis comme le recyclage sont faiblement efficaces et parfois même, ils peuvent être contreproductifs (voir à ce sujet notre article sur les 5 gestes écolo qui ne sont pas si écolo que ça).

D’ailleurs les sondages le montrent : moins de 2 européens sur 3 considèrent que le réchauffement climatique est une menace grave d’après les sondages du Pew Research Center. Mais ce n’est que quand on leur pose directement la question ! Quand on demande aux français (dans le sondage Ipsos What worries the World) quelles sont leurs préoccupations principales, ils ne sont que 10% à mentionner le réchauffement climatique par exemple, ou seulement 12% à évoquer les dégradations environnementales. En fait, les préoccupations les plus significatives restent la criminalité, la fiscalité, le chômage ou le déclin des valeurs morales. Pourtant, ce résultat a été obtenu en novembre 2017, soit à la même période où près de 15 000 scientifiques publiaient leur fameux cri d’alarme sur les risques du réchauffement climatique, qui a fait la une d’absolument tous les médias.

Cela tend à prouver que malgré la multiplication des communications sur le sujet (qu’elles utilisent la peur ou l’espoir) la prise de conscience réelle dans la population est assez faible, et donc logiquement, le passage à l’action (ou au vote, au militantisme, à la sensibilisation) également. Selon un une étude publiée en 2016 par deux scientifiques américains (des Université de Georgie et de Bloomsburg), l’émotion pure ressentie suite à l’exposition à un message n’est en effet pas nécessairement significative de l’attitude de long terme sur le sujet. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un article sur le changement climatique vous fait peur sur le moment (par exemple notre article intitulé « Quelles conséquences du réchauffement sur votre vie concrètement« ) que cette peur persistera sur le long terme. D’après les chercheurs , pour qu’une vraie prise de conscience accompagnée d’un changement de comportement global ait lieu, il faudrait que la crainte soit véritablement intégrée, au point qu’elle pousse à réfléchir à son mode de vie (chose qui paraît difficile étant donné que la plupart des grands médias ne savent pas faire de pédagogie sur le réchauffement climatique ou les questions environnementales). Et il faudrait encore que cette peur soit nuancée de suffisamment d’optimisme pour qu’un passage à l’acte semble utile ou salutaire.

La conclusion des chercheurs est donc qu’il n’y a pas de recette émotionnelle miracle qui puisse pousser les sociétés à se mettre en action contre le réchauffement climatique.

Écologie : faire peur, mais pas n’importe comment ?

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Alors, au final, que faut-il privilégier ? Eh bien il est difficile de donner une réponse tranchée : cela dépend des gens, mais aussi des moments, et de la façon dont on le fait. Ce que l’on peut dire au regard des études récentes disponibles, c’est qu’aujourd’hui encore, trop peu d’individus semblent avoir réellement conscience des risques représentés par le réchauffement climatique, du moins, ils lui accordent trop peu d’importance par rapport à d’autre sujet. Par exemple, le fait que trois fois plus d’individus soient préoccupés par les impôts et taxes que par le réchauffement climatique est un bon indicateur qu’en fait, la plupart des gens n’ont pas assez peur du changement climatique. Cela ne veut pas dire que la fiscalité n’est pas une question importante (elle l’est, sans aucun doute, notamment pour lutter contre les inégalités et l’isolation de certaines populations), mais au regard des enjeux représentés par le climat, il y a sans doute moins de raisons d’être fondamentalement inquiet des impôts que des dérèglements climatiques.

Cela incite donc à penser que, dans un premier temps, il faudrait d’abord faire prendre conscience de la nécessité d’avoir peur, du moins suffisamment pour ressentir la nécessité d’un changement. Dans ce cas, les messages de peur sont utiles (surtout s’ils sont réalistes et qu’ils donnent une compréhension fine des conséquences concrètes, et qu’ils proposent des mécanismes pour agir). Peut-être que si les individus ont suffisamment peur des problèmes environnementaux, ils finiront par agir, et peut-être même par choisir des modes de régulations socio-politiques susceptibles de remettre en cause le modèle économique qui cause ces problèmes environnementaux.

Mais à moyen terme, il ne faut pas non plus que la peur devienne effectivement un frein à l’action. Les études précédemment citées montrent aussi que lorsqu’un message de peur est délivré, il doit, pour être efficace, souligner également les mécanismes d’action possibles : en gros, il faut également laisser de l’espoir. L’espoir, en tout cas, que l’on peut faire changer les choses si on agit vraiment. Il ne s’agit pas de l’espoir qui est trop souvent défendu dans les messages sur l’écologie par les chantres d’un positivisme naïf, qui mettent sans cesse en avant telle solution technologique, telle innovation ou tel comportement. Il faut donner l’espoir que l’on peut éviter le pire, mais à condition de changer radicalement. C’est également ce que l’article de Robert Brulle semble montrer : les messages de peur sont de bons leviers de changement de comportement lorsque « la perception du danger est inférieure à la perception des capacités nécessaires pour lutter ».

Il faut aussi garder à l’esprit qu’il n’y a pas un seul modèle. Les études montrent que la peur fonctionne mieux sur les femmes statistiquement, ou que l’espoir marche mieux quand il s’agit de problèmes locaux. D’autres encore montrent que les résultats ne sont pas les mêmes selon les cultures ou les milieux éducatifs. Peur ou espoir ? C’est donc fondamentalement un peu des deux. Mais ce qui est sûr aujourd’hui c’est que nous avons d’abord toutes les raisons d’avoir peur, et ensuite toutes les raisons de nous mobiliser pour passer à l’action

Crédit image : Peur sur Shutterstock