La publicité est-elle compatible avec l’écologie ? Ou contribue-t-elle au contraire à un système de production et de consommation néfaste pour la sobriété et l’environnement ?

Il paraît aujourd’hui plus que jamais impératif de mettre en oeuvre rapidement une transformation radicale de nos systèmes sociaux et économiques, afin de s’engager collectivement dans une transition écologique et sociale globale. Cette transformation implique notamment de passer d’un système hyper-productiviste à une société de la sobriété, c’est-à-dire de sortir du paradigme de la surproduction et de la surconsommation qui est actuellement le moteur des économies mondiales.

Dans ce contexte, le secteur de la publicité est particulièrement questionné. En effet, alors que l’économie dans son ensemble devrait tendre vers le « consommer moins, mais mieux », le secteur de la publicité, du marketing promotionnel et de la communication commerciale a précisément pour vocation de promouvoir l’inverse : consommer plus, vendre plus, produire plus. De là à dire que le secteur de la publicité est incompatible avec l’écologie et le progrès social ? C’est en tout cas ce que suggère un rapport d’analyse publié par l’Institut Veblen et l’association Communication et Démocratie.

L’impact économique de la publicité

Pour arriver à cette conclusion, les auteurs de l’étude ont cherché à comprendre dans quelle mesure la publicité influençait réellement les marchés, l’économie et les niveaux de consommation. À partir d’outils de modélisation économique, les auteurs du rapport ont donc tenté d’isoler l’effet de la publicité sur différentes variables économiques : les niveaux de consommation, le niveau de PIB, les taux de marge, mais aussi des indicateurs plus indirects, comme le nombre d’heures travaillées, et même les salaires.

Leur analyse montre que les dépenses de publicité ont évidemment un impact économique significatif. Sur 30 ans, les niveaux de dépenses publicitaires auraient ainsi provoqué une hausse de plus de 5% de la consommation en France, et donc, une hausse du PIB de près de 4%. En incitant à consommer, les dépenses publicitaires ont aussi fait augmenter la part que représente la consommation dans le PIB (+0.27%), et ont augmenté les marges des entreprises (+0.88%). Bref, ce n’est pas nouveau, la publicité pousse à consommer.

Ce qui est plus original dans l’étude proposée par l’Institut Veblen, c’est qu’elle parvient aussi à montrer comment la publicité nous pousse à travailler plus. En incitant les consommateurs à consommer plus, à acheter de nouveaux produits, elle créé une tension supplémentaire sur leur pouvoir d’achat. La publicité créé des besoins, et pour répondre à ces besoins, il faut plus de revenu, que l’on obtient… en travaillant plus, par exemple en faisant des heures supplémentaires. Sur 30 ans, la publicité aurait ainsi très progressivement incité les citoyens à augmenter leurs heures de travail de près de 6.6%. Et puisque les citoyens sont prêts à travailler plus, il y a plus « d’offre de travail » sur le marché de l’emploi : il devient donc plus difficile pour les salariés de négocier des salaires plus élevés. La publicité serait donc indirectement responsable d’une baisse des salaires de 1.14%.

Publicité et écologie : la société de la surconsommation

Derrière ces chiffres, on peut lire en filigrane le type de société que le secteur de la publicité contribue à promouvoir. Il s’agit d’une société fondée sur la consommation comme moteur du développement individuel et collectif. Une société où l’on travaille plus, pour consommer plus, pour un salaire pas forcément plus élevé. Une société de surconsommation qui alimente la hausse des marges des entreprises, plutôt que de favoriser d’autres voies d’épanouissement, comme le temps libre ou la culture.

Forcément, cette société là est aux antipodes de celle que nous devrions construire pour faire la transition écologique et sociale et rester dans les limites planétaires. Tous les grands organismes scientifiques traitant des questions écologiques s’accordent à dire que la sobriété est la seule voie raisonnable pour faire cette transition écologique. Il faut désormais collectivement consommer moins : moins d’énergie, moins de ressources et de matériaux, moins d’espaces naturels. Il faut donc produire moins, et apprendre à développer de nouveaux modèles économiques au service de la sobriété. Tout l’inverse de ce que permet aujourd’hui le secteur publicitaire.

Le premier problème est donc là : la publicité incite à consommer et produire toujours plus, et cela augmente forcément nos impacts environnementaux. À première vue, publicité et écologie ne vont donc pas vraiment ensemble.

La publicité au service du mal-consommer contre l’écologie

Mais il y a un second problème, c’est que la publicité favorise essentiellement les produits et les services les plus néfastes, que ce soit pour l’écologie ou pour la santé humaine. Le rapport montre ainsi que les dépenses publicitaires sont en fait, en France, concentrées sur un tout petit nombre de secteurs, et des catégories limitées de produits. Et pas vraiment ceux qui ont un impact environnemental, social ou sanitaire positif.

Par exemple ? L’automobile. Le secteur des transports est l’un des plus gros annonceurs publicitaires du pays, avec près de 2.5 milliards de dépenses publicitaires par an. Ces montants représentent à eux seuls autant que le budget alloué par le gouvernement à la protection de la biodiversité et à la transition vers une agriculture durable dans le plan France Relance. Ces dépenses colossales sont pour l’essentiel réalisées par les 10 plus gros acteurs du secteur automobile, pour faire la promotion de véhicules polluants, en particulier les SUV qui représentent pratiquement la moitié des dépenses du secteur. Paradoxe donc : pendant que la société civile et politique tente (tant bien que mal) de faire émerger des systèmes de transports moins dépendants de la voiture, le secteur de la publicité, lui, fait tout pour en produire et en vendre plus.

Ce constat peut être étendu à pratiquement tous les secteurs. En matière alimentaire, les acteurs qui dominent le marché publicitaire sont ceux de la malbouffe. Les 3 plus grandes marques de fast-food – McDonald’s, Burger King et KFC – « ont à elles seules dépensé plus de 350 millions d’euros de communication en France, soit plus d’1/5 de la totalité des dépenses » dans leur segment. Sur les 700 millions d’euros annuels dépensés par le secteur des boissons en publicités, près de 300 millions visaient à faire la promotion des sodas et autres boissons trop riches en sucre. Et pendant ce temps ? Le Programme Nutrition Santé de Santé Publique France consacre chaque année un minuscule budget de 4 millions d’euros aux campagnes de prévention de l’obésité. Évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré.

Parmi les autres secteurs problématiques, celui des jeux d’argent, dont on connait les conséquences sociales (addiction, isolement, précarité…). Les dépenses publicitaires du secteur des jeux d’argent atteignent près de 240 millions d’euros par an… Soit un cinquième de toutes les dépenses publicitaires du secteur culture et loisir. Sans parler des dépenses publicitaires des GAFAM et autres acteurs du numériques, incitant à la surconsommation d’objets high-tech en tout genre.

Bref, si la publicité incite à surconsommer, elle incite surtout à mal-consommer. Ce qui pèse à la fois sur l’environnement, la santé, et le développement social.

La publicité freine la transition écologique et sociale

Le secteur de la publicité est donc légitimement l’objet de beaucoup de critiques quant à son rôle en matière de transition écologique et sociale et plus largement dans la démocratie. Difficile en effet de nier que le secteur promeut actuellement les modes de consommation et les produits les moins vertueux, et que son influence est globalement contreproductive en matière de transition écologique et sociale, ou de transition vers la sobriété. Et même quand les professionnels de la publicité essaient de parler écologie c’est souvent, encore, à grands coups de greenwashing.

Les budgets accordés à la publicité sont tellement gigantesques qu’ils confèrent aux grandes entreprises une emprise considérable sur la société, sur nos manières de consommer, et sur nos imaginaires collectifs. 31 milliards d’euros par an sont dépensés chaque année en publicité en France, soit plus que les budgets cumulés de certains ministères (Justice, Santé…). Or cette emprise va rarement dans le sens de l’intérêt général, puisque la vocation du secteur publicitaire est de servir la croissance des ventes d’acteurs privés. En l’occurence, il apparaît même clairement que le secteur publicitaire sert les intérêts de certains acteurs privés au détriment de l’intérêt général, et à l’opposé des objectifs des politiques publiques de santé, de transition écologique ou de mobilité durable.

Se pose alors une question simple : comment mettre la publicité au service de l’intérêt collectif ? Comment faire de la « publicité responsable » ? Plusieurs propositions sont sur la table, de l’encadrement et de la régulation du secteur (à l’image de la loi Evin qui interdit et / ou encadre la publicité pour le tabac ou l’alcool) à la taxation. Même la Convention Citoyenne pour le Climat avait proposé plusieurs mesures visant à encadrer et interdire certaines formes de publicité. On attend toujours que ces mesures soient (comme promis) reprises dans la législation. En attendant, une chose est sûre, si l’on ne fait rien, la publicité continuera à faire la promotion d’une société qui n’est décidément ni écologique, ni saine, ni responsable.

Image par Igor Ovsyannykov de Pixabay