La sobriété subie, c’est celle qui s’impose aux sociétés, contraintes par les crises ou les pénuries. Et on l’observe dès aujourd’hui dans de nombreux secteurs.

2022 a été marquée par une crise énergétique sans précédent en Europe. La conjonction des difficultés structurelles des infrastructures énergétiques européennes et des tensions sur les marchés énergétiques suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont provoqué des tensions sur la production électrique et sur les prix des carburants. Pour faire face, il a fallu adopter en urgence des mesures de sobriété.

En 2023, l’inflation s’ajoute à cette crise énergétique. Et d’ores et déjà, face à la hausse des prix, certains changent leurs habitudes de consommation : moins d’achats, moins de viande et de produits d’origine animale. Et face à la sécheresse, aux pénuries alimentaires, c’est la même chose, il faut s’adapter. Cette « sobriété subie » est progressivement en train de s’imposer et de devenir une norme.

Subir la sobriété face aux pénuries, à l’inflation, à la sécheresse

Sur le dernier trimestre 2022, la France a consommé en moyenne 9% d’électricité de moins que les moyennes historiques d’après le bilan électrique de la France. Pour atteindre cette baisse, il a fallu mettre en place, en urgence, une série de mesures de restriction, notamment dans l’industrie. Les secteurs industriels ont atteint jusqu’à 20% de réductions de leurs consommations sur les derniers mois de l’année, mais ces baisses ne se sont pas faites en douceur : des sites industries ont du mettre en pause leurs activités, des entreprises ont été en grandes difficultés.

Les baisses se sont aussi déployées (à moindre échelle, de l’ordre de 5%) dans le résidentiel et le tertiaire. Mais là encore ces réductions ont posé des difficultés, notamment aux foyers les plus précaires. Selon l’Observatoire de la Précarité Énergétique, près de 12 millions de personnes en France étaient en situation de précarité énergétique avant la crise énergétique de l’hiver dernier. Et face à la hausse des prix, ils ont été de plus en plus nombreux : difficultés à payer leurs factures, contraints de baisser leurs consommations, à des niveaux parfois dangereux. De nombreuses associations ont du se mobiliser pour aider les ménages les plus exposés.

Aujourd’hui encore, la conjonction des crises continue de faire peser des contraintes sur nos systèmes économiques et sociaux. On parle désormais de pénurie sur certains produits alimentaires dans certaines régions. Plus de pâtes dans les rayons des supermarchés, même chose pour l’eau gazeuse et bien d’autres produits de consommation. À l’échelle internationale, on manque de semi-conducteurs. Face à la sécheresse hivernale, on commence déjà à entrevoir les pénuries d’eau : près de la moitié des départements français sont à des niveaux de ressources hydrologiques très bas, et les déficits de pluviométrie sont à près de 75%. Cela pousse déjà certains acteurs à mettre en place des mesures de restriction.

Des mesures de sobriété contraintes douloureuses

Ces mesures de sobriété subies n’ont pas été sans conséquences sociales. Les usines mises à l’arrêt durant la crise, ce sont autant de salariés, notamment issus du monde ouvrier, au chômage partiel, autant de difficultés économiques et sociales. Les mesures de restriction sur les consommations énergétiques ont frappée de façon disproportionnée les plus précaires, qui ont du faire face à des conditions de vie parfois insalubres dans des logements mal isolés, et désormais mal chauffés. Face à l’inflation, ce sont encore les plus précaires qui trinquent, contraints de consommer les produits les moins chers, et donc souvent les moins sains et les moins durables.

Ces situations rappellent à quel point la sobriété, lorsqu’elle est subie et contrainte, peut être douloureuse. Cette sobriété là s’apparente alors plus à une forme de récession, face à laquelle les institutions et les citoyens sont généralement démunis. Cette sobriété subie, face à laquelle personne n’est préparé, c’est autant de casse sociale, mais aussi de casse écologique.

En effet, dans l’urgence, on est parfois contraints de prendre des mesures qui aggravent le problème. Un exemple ? Face aux restrictions sur les systèmes de production électriques, la France a été contrainte de recourir plus massivement que jamais aux centrales au gaz, une énergie fossile parmi les plus polluantes. Résultat : une électricité qui a émis en 2022 plus de CO2 que d’habitude… Et contribuera donc à aggraver le réchauffement climatique, et donc, la sécheresse. Sécheresse qui mettra en difficultés nos systèmes de production hydro-électriques, et qui nous obligera à prendre des mesures palliatives pour préserver nos systèmes agricoles : irrigation, méga-bassines, etc.

Voir aussi : Méga-bassines : à quoi servent-elles ?

Des crises structurelles que l’on anticipe pas

Problème : ces crises (énergétiques, écologiques, économiques) ne sont pas conjoncturelles. Elles risquent de se reproduire, et pour certaines d’entre elles, c’est même une certitude. La sécheresse ? Celle que nous vivons en ce début 2023 n’est qu’un coup de semonce annonçant celles qui viendront, d’abord cet été très probablement, puis dans les années qui viennent avec un réchauffement climatique qui s’intensifie. Les rapports du groupe 1 et 2 GIEC montrent que les vagues de chaleur vont devenir plus fréquentes, plus intenses, notamment en Europe et que nous y sommes vulnérables.

La crise énergétique ? Elle pourrait être amenée à se reproduire pour des raisons structurelles, elle aussi. La transition vers les énergies bas carbone, et en particulier renouvelables, va poser un certain nombre de défis aux économies mondiales. Des défis d’investissement, des défis techniques, des défis écologiques. Ces défis, combinés à des marchés de l’énergie qui sont de plus en plus incertains au fur et à mesure que la demande mondiale et les coûts de production des énergies fossiles augmentent, pourraient tendre la situation énergétique dans les prochaines années, surtout si l’on anticipe pas. Et en plus de cela, l’instabilité climatique pèse sur la production énergétique, qu’elles soient nucléaire, hydro-électrique, ou même solaire.

Et ainsi de suite. Des crises, des situations instables, des problèmes structurels, le monde devrait en connaître de nombreuses dans les années à venir : transformation de nos systèmes agricoles, gestion de déchets, production de métaux et matériaux pour la transition écologique, sans même parler des tensions sociales, cristallisées aujourd’hui par l’opposition à la réforme des retraites, ou celles liées au partage de la valeur.

Sobriété subie : un manque d’anticipation

Alors, que va-t-on faire pour éviter de se retrouver encore, dans les prochaines années, à devoir se serrer la ceinture et courber l’échine pour faire face à ces secousses ? Pour l’instant, les dirigeants politiques et économiques ont choisi la voie de la continuité : on ne change rien, ou presque, et on espère passer au travers. On garde les mêmes logiques, et les mêmes objectifs (croissance économique, croissance des profits), on saupoudre de mesurettes de gestion de crise : le panier anti-inflation pour endiguer la hausse des prix, les bassines de rétention pour éviter la sécheresse, le bouclier tarifaire pour éviter la pénurie énergétique et donc la crise sociale. Même la sémantique de ces mesures évoque une posture défensive, attentiste. On ajoute quelques investissements, par ci, par là, mais l’idée reste la même : il ne faudrait pas entraver la bonne marche de l’économie, ou gréver les finances publiques.

À l’évidence, ça ne fonctionne pas bien. C’est bien le déficit d’anticipation qui a mené, par exemple, le système énergétique français dans l’impasse où il se trouve aujourd’hui. Nous n’avons ni investi vraiment dans la réhabilitation de notre vieillissant parc nucléaire, ni investi dans les alternatives (énergies renouvelables) ni vraiment dans la sobriété énergétique, pour réduire la pression sur la production. La France notamment, est très en retard dans tous ces domaines, où elle a beaucoup délégué au secteur privé. Comme toujours, on a cru que le marché règlerait très bien tout ça tout seul, sauf que le marché lit très mal l’avenir.

C’est la même chose au niveau agricole. On mise depuis des années sur des systèmes agricoles orientés exclusivement vers la productivité. La PAC aidant, on a favorisé les grandes exploitations, les grandes cultures, qui alimentent les grands industriels de l’agro-alimentaire et notamment de l’élevage, et la grande distribution… Au prix de grands impacts sur l’environnement : consommation d’eau, érosion des sols, recours massif aux pesticides. Mais cette agriculture-là rapporte, elle est compétitive, du moins pour l’instant.

Voir aussi : La PAC 2023 : quel impact pour la transition écologique ?

Passer de la sobriété subie à la sobriété choisie

Si l’on voulait éviter de répéter ces erreurs, il y aurait pourtant une autre voie. Celle que prône d’ailleurs, probablement sans s’en rendre compte, le Ministre de la Transition Écologique Christophe Béchu lorsqu’il appelle de ses voeux un grand « plan d’adaptation » face au réchauffement climatique. Cette voie, c’est celle de l’anticipation et de l’adaptation.

Comment ? D’abord, en actant que les ressources (naturelles, financières, humaines) ne sont pas infinies, et qu’il faut les mettre au service de modèles de production et de modes de vie plus adaptés au monde de demain. Dans ce monde là, les systèmes économiques qui valorisent toujours plus de rendement au détriment des réalités écologiques et sociales ne seront plus viables. Il faudra les réglementer, les transformer.

Prenons l’exemple de l’agriculture. En France, près de 11% de la surface agricole utile est dédiée à la culture du maïs. Une culture gourmande en eau, exploitée dans des exploitation géantes, et dont la plus grande part est destinée à l’alimentation animale. Pour s’adapter au monde de demain, on aurait du réduire ce type de productions, pour privilégier des exploitations en agro-foresterie, et des cultures compatibles avec la transition vers une alimentation moins carnée, essentielle pour la lutte contre le réchauffement climatique. Il fallait pour cela anticiper, accompagner la transition vers d’autres cultures, d’autres pratiques agricoles, plus durables. Mais cette agriculture là est loin d’être aussi bankable.

Dans chaque secteur, on pourrait mettre en place des mesures pour plus de résilience, pour anticiper les crises de demain. Il s’agirait alors de passer d’une sobriété subie à une sobriété choisie. D’une société qui produit peut-être moins, mais qui produit mieux. Qui consomme moins, mais consomme mieux. D’une société qui renonce à certaines choses (l’omniprésence de la voiture, de l’élevage, l’abondance énergétique et de la high-tech) pour en retrouver d’autres (la santé, le bien-être, le lien social).

Sobriété : un changement de société

Pour faire cette transition, il faudra changer en quelque sorte les fondations de notre société. Il faudra pour cela que les acteurs publics reprennent leur rôle de planificateur, en investissant massivement dans des plans de résilience : adapter les bâtiments aux conditions météorologiques nouvelles, les isoler pour favoriser la sobriété énergétique, adapter les systèmes agricoles en faisant la transition vers des pratiques agro-écologiques, adapter le système économique à la sobriété, en réglementant pour éviter la surproduction, les gaspillages et les excès d’un capitalisme irraisonné.

Mais il s’agit aussi de renforcer notre modèle social, pour protéger les plus fragiles, ceux qui subissent de plein fouet les hausses de prix, les catastrophes naturelles, les problèmes sanitaires, et qui sont en général les plus pauvres. Cela passe par des mesures de protection sociale, de redistribution des richesses. Au fond, il s’agit de réinterroger notre contrat social, la place que nous accordons à l’économie dans nos sociétés.

Ce changement est véritablement structurel et c’est en cela qu’il est complexe. Mais il est aussi indispensable, car les mesures d’urgence prises face à des crises que nous ne maîtrisons pas, ne peuvent être une réponse de long terme. Nous devons anticiper et nous adapter, nous devons dès aujourd’hui choisir la sobriété que nous voulons, plutôt qu’être contraints par une sobriété, plutôt une précarité, qui s’imposera à nous par la force des choses.

Photo de Isaiah Villar sur Unsplash

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