Que valent les solutions de Bill Gates pour le climat ? Hydrogène vert, stockage thermique à sels fondus, réacteurs nucléaire à ondes progressives… Tout cela pourra-t-il vraiment « sauver le climat » ? Tentons de comprendre.

Ces derniers temps, Bill Gates a beaucoup fait parler de lui à propos de la lutte contre le réchauffement climatique. Il vient en effet de sortir un livre sur le sujet : « Climat : comment éviter un désastre – Les solutions actuelles, les innovations nécessaires« . Forcément, quand un homme d’affaire aussi réputé s’empare d’un sujet collectif comme le climat, cela attise les curiosités médiatiques. Bill Gates, bien que n’étant pas vraiment expert des enjeux climatiques, a donc été invité sur de nombreux plateaux, aux Etats-Unis mais aussi en France, pour donner son avis sur le problème climatique.

Alors, que propose le fondateur de Microsoft pour agir sur le climat ? Ses préconisations sont-elles en accord avec celles des autorités scientifiques comme le GIEC ? Quelles sont ces fameuses « solutions actuelles et innovations nécessaires » pour résoudre la crise climatique ? Tentons de comprendre.

Bill Gates et le climat : le bon constat

Avant de passer à l’analyse des solutions proposées par Bill Gates, il faut d’abord dire que son analyse du problème est plutôt solide. À juste titre, Bill Gates décrit le réchauffement climatique comme une urgence vitale pour les sociétés humaines.

Nous émettons chaque année autour de 50 milliards de tonnes d’équivalents CO2, et nous avons au mieux quelques dizaines d’années pour diviser ce chiffre par 4 ou 5, voire idéalement l’amener vers zéro. Si nous n’agissons pas rapidement pour cela, nous allons devoir faire face à un nombre croissant de conséquences très désagréables : dégradation des conditions climatiques, évènements météo extrêmes, baisse de la productivité agricole, risques sanitaires… Et par extension, cela engendrera des crises économiques et sociales dramatiques.

Longuement, Bill Gates revient sur ces enjeux. Il donne les bons ordres de grandeur sur les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre : le transport, l’usage de l’énergie dans les bâtiments, la production alimentaire et l’industrie. Il évoque également le fait que les pays en développement sont plus fragiles face aux conséquences du réchauffement climatique, alors même qu’ils contribuent moins que les pays riche aux dérèglements du climat.

Contrairement à beaucoup d’analyses sur le sujet, Bill Gates prend aussi le temps d’évoquer le problème de l’adaptation au réchauffement climatique. Puisque le climat est d’ores et déjà en train de se dégrader, et qu’il continuera à se dégrader à l’avenir à cause de nos émissions de CO2, il faut dès aujourd’hui se préparer à un climat différent, adapter nos systèmes sociaux et économiques.

Que propose Bill Gates pour le climat ?

Mais l’objet central de l’analyse de Bill Gates est plutôt du côté des manières d’éviter la crise, des solutions pour réduire nos émissions de CO2 et les amener vers zéro.

Pour cela Bill Gates propose un plan théorique relativement simple. Il s’agirait d’abord de déployer massivement les « solutions actuelles » comme les énergies renouvelables et le nucléaire, afin notamment de remplacer au maximum les énergies fossiles dans la production électrique. Dans le même temps, il faudrait convertir à l’électricité le maximum d’usages qui sont actuellement dépendantes des énergies fossiles. Par exemple rouler en voiture électrique plutôt qu’en voiture thermique.

Mais selon Bill Gates, ces transitions posent un certain nombre de défis qu’il faut résoudre pour faire baisser suffisamment nos émissions. Pour les résoudre, il prône un certain nombre d' »innovations nécessaires » : des nouvelles formes de stockage et de batteries pour palier l’intermittence des énergies renouvelables, des procédés industriels et chimiques nouveaux permettant d’éviter le recours aux énergies fossiles, de nouvelles générations de réacteurs nucléaires pour répondre aux problèmes posés par les réacteurs actuels… En vrac, il évoque ainsi des systèmes de stockage thermique à base de sels fondus, des technologies de stockage du carbone, des réacteurs nucléaires à ondes progressives, des batteries à électrolytes solides, la production d’acier par électrolyse…

La rhétorique des solutions technologiques « zéro impact »

En résumé, la logique sous jacente est la suivante : il faut développer des technologies zéro impact nous permettant de maintenir nos activités sans dégrader le climat.

Ainsi, selon Bill Gates, il devrait être possible de continuer à manger des fruits hors saison, à condition de disposer de transports zéro carbone permettant de faire voyager ces produits depuis les lieux de production jusqu’aux lieux de consommation. On pourrait ainsi continuer à manger du raisin en janvier à condition de l’importer des pays où il pousse à cette période là, le tout grâce à des véhicules zéro émission. C’est un exemple qu’il développe dans son entretien avec l’émission La Terre au Carré sur France Inter.

Le problème de cette rhétorique, c’est qu’elle se base sur un postulat qui est faux d’entrée de jeu : celui qu’il existerait des technologies zéro carbone ou zéro impact.

Il est absolument fondamental de comprendre qu’aucune technologie à l’heure actuelle n’est « zéro impact ». Toutes les technologies, même celles que l’on labellise comme « vertes » sont responsables de toute une série de conséquences environnementales plus ou moins directes.

Par exemple, les énergies renouvelables, point central des « solutions actuelles » de Bill Gates, bien que « bas carbone », ne sont pas « zéro carbone » pour autant. Fabriquer les composants d’une éolienne, les transporter, les assembler, tout cela contribue à l’émission de gaz à effet de serre. Tout simplement car lors de ces différents procédés, il faut utiliser des énergies fossiles, qui émettent du CO2. Une éolienne n’émet donc pas 0 CO2, mais environ 11 g de CO2 par kWh d’électricité produite avec les techniques actuelles, ce qui est certes peu (70 fois moins que le charbon) mais pas nul.

Ces énergies ont aussi des conséquences sur d’autres indicateurs environnementaux. Les opérations d’extraction minière nécessaires pour obtenir les matières premières nécessaires à la fabrication d’éoliennes engendre des dégradations environnementales très fortes localement. La biodiversité, ou l’état des ressources en eau sont affectés par ces activités. C’est le même principe pour la voiture électrique : elle n’émet pas de CO2 en roulant, mais la production de la voiture ou de l’électricité engendrent des impacts environnementaux notables.

Dans de nombreuses interviews, le fondateur de Microsoft évoque aussi l’hydrogène vert comme une des innovations à développer pour l’avenir. L’hydrogène devrait pouvoir remplacer les énergies fossiles dans le transport routier, dans l’aviation ou dans l’industrie. L’idée de l’hydrogène vert est simple : on utilise des énergies « vertes » pour produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Une fois cet hydrogène produit, on le stocke, par exemple dans des piles à combustible, qui permettent de le restituer à la demande sous forme d’électricité, sans émissions de CO2, en rejetant uniquement de l’eau.

Sur le papier, l’hydrogène vert a donc tous les avantages : il permet de stocker de grandes quantités d’énergie, disponible à la demande, sans les contraintes d’autonomie des batteries électriques classiques. Il serait donc possible de faire voler des avions à l’hydrogène sur des longues distances, sans émissions.

Toutefois, là encore, les choses ne sont pas si simples en pratique. En effet, pour que l’hydrogène puisse se généraliser comme vecteur d’énergie « écologique », il faudrait produire des dizaines de millions de tonnes d’hydrogène chaque année. Et pour produire cet hydrogène « vert », il faudrait construire des millions d’installations de production d’énergie renouvelable ou bas carbone capables de générer l’énergie nécessaire à la production d’hydrogène par électrolyse. Il faudrait même en construire d’autant plus que l’efficacité énergétique de la production d’hydrogène n’est pas très élevée : pour 100 kWh d’électricité, on n’obtient que 60 à 70 kWh d’hydrogène.

Or pour construire ces installations, il faudrait utiliser… du pétrole, pour extraire les matériaux, les transformer, les assembler, les transporter etc. Cela reviendrait donc à émettre de grandes quantités de CO2 à court terme.

Toutes les technologies envisagées aujourd’hui contribuent d’une manière ou d’une autre à l’usage d’énergies fossiles ou à des procédés qui affectent soit les sols, soit les eaux, soit les écosystèmes et les animaux qui les abritent. Elles ne sont donc pas « zéro impact », et ce, même si elles peuvent avoir un intérêt pour améliorer certains procédés ou réduire certaines pressions écologiques.

Le pari d’une transition globale vers les énergies propres ?

L’un des paris de Bill Gates, c’est que l’on finira par rendre ces technologies vraiment vertes, en éliminant progressivement tout recours à des énergies polluantes dans leurs processus de production.

Par exemple, si demain, nous étions capables de produire nos éoliennes, nos panneaux solaires ou nos centrales nucléaires grâce à de l’hydrogène vert plutôt que grâce au pétrole, cela créerait une sorte de cercle vertueux. On pourrait alors produire de l’hydrogène grâce aux énergies bas carbone, et grâce à cet hydrogène, construire plus de capacités de production d’énergie bas carbone, qui permettraient de produire plus d’hydrogène… Et ainsi de suite jusqu’à remplacer toutes les énergies fossiles par des énergies ou des vecteurs énergétiques issus d’une production bas carbone, avec le complément de technologies de stockage de l’énergie perfectionnées.

C’est ainsi que l’on pourrait développer, comme le propose le milliardaire, des méthodes de production de l’acier décarbonées, des avions verts, des voitures bas carbone sans limite d’autonomie. On aurait alors une économie « découplée » des impacts environnementaux.

Alors, ce pari est-il réaliste ? Difficile à dire à première vue. Dans l’absolu, il n’est pas impossible théoriquement que l’on parvienne progressivement à créer les conditions d’une production de carburants et d’électricité alternatifs bas carbone, issus de l’hydrogène ou de la biométhanisation, qui permettront de remplacer demain les énergies fossiles qui continuent d’être la norme y compris dans la production d’énergies ou de technologies « bas carbone ».

Mais en même temps, quelques ordres de grandeur permettent de comprendre qu’une telle transition semble extrêmement complexe. Et qu’en tout état de cause, elle ne sera pas pour autant « zéro impact ».

Un monde d’énergies vertes, d’hydrogène et de nucléaire du futur : pas si simple

Aujourd’hui, les énergies fossiles constituent plus de 85% de l’énergie consommée dans le monde, de façon directe ou indirecte. Il s’agit soit des énergies fossiles sous forme de carburants (le pétrole utilisé dans les transports) soit d’énergies fossiles utilisées pour produire de l’électricité (charbon, ou gaz). Les nouvelles énergies renouvelables (éolien, solaire) ou le nucléaire, représentent à peine 5% de l’énergie consommée dans le monde chacun, tandis que l’hydroélectricité c’est autour de 6%.

La transition vers des énergies bas carbone ne représente donc pas un petit défi à la marge, mais bien un changement structurel de modèle. C’est la quasi totalité de nos besoins en énergie qu’il faut transformer pour passer des énergies fossiles à des énergies bas carbone, tout en augmentant probablement considérablement nos besoins énergétiques pour permettre aux populations précaires de bénéficier de ces énergies pour vivre dignement.

Il ne s’agit donc pas de construire quelques éoliennes de plus, quelques panneaux solaires, et quelques centrales de production d’hydrogène. Il s’agit en fait d’opérer une bascule majeure, qui impliquera la construction de millions de nouvelles installations de production. Et cette bascule, nous devons la faire très vite. Les rapports du GIEC indiquent que nous devrions déjà être en train de baisser massivement nos émissions, de l’ordre de 5 à 7% par an, pour espérer rester à des niveaux « acceptables » de dégradation climatique.

Or aujourd’hui, la transition vers ces énergies ne va pas très vite. Si le déploiement des énergies renouvelables s’est accéléré ces dernières années grâce à la baisse des prix, la transition reste complexe, car ces énergies nécessitent de nouvelles technologies, de stockage ou de gestion du réseau, qui elles-même sont chères. Le prix des productions d’hydrogène ou de biométhane reste élevé, et elles sont donc peu compétitive face à des énergies fossiles très bon marché. Sans même parler du fait que leur impact environnemental est aujourd’hui très discutable.

Peut-on rendre attractives les technologies vertes ?

Cette différence de prix entre les technologies « vertes » et les autres, c’est ce que Bill Gates appelle le green premium. Puisque les technologies vertes sont plus complexes et plus chères aujourd’hui, cela ralentit leur déploiement sur le marché. L’homme d’affaire répète ainsi régulièrement qu’il faut en urgence faire baisser le green premium, le coût de ces technologies, pour les rendre « plus accessibles » et plus compétitives. Que propose-t-il pour ça ? De consacrer « les plus grands efforts d’investissement de recherche et développement, et les cerveaux les plus brillants à rendre ces technologies plus accessibles le plus rapidement possible » (sur le site de Breakthrough Energy). Soit.

Mais, en admettant que ça soit possible (et rien ne le garantit), cela laisse tout de même beaucoup de questions en suspend. La première d’entre elles est celle des ressources. Aura-t-on assez de ressources physiques, de métaux, de matériaux rares, de béton pour bâtir tout cela ? Saura-t-on mettre en oeuvre l’économie circulaire nécessaire pour conserver ces ressources ? Pas sûr. Lithium, cobalt, cuivre, aluminium, terres rares : ces ressources ne sont pas infinies, et les chercher deviendra de plus en plus complexe et énergivore au fur et à mesure que l’on aura épuisé les ressources les plus accessibles.

La seconde question en suspend est celle du timing : combien de temps faudra-t-il pour que de brillants cerveaux et des efforts massifs d’investissement fassent baisser suffisamment le coût de ces technologies pour permettre leur passage à l’échelle ? Et ce temps sera-t-il suffisant pour nous permettre d’éviter la crise climatique qui est déjà en train d’arriver ?

Il a fallu près de 40 ans pour que le prix des panneaux solaires atteigne son niveau actuel… Niveau qui lui a permis d’atteindre environ 3% de la production mondiale d’électricité en 2019. De même, les premières voitures électriques ont mis des dizaines d’années à atteindre la maturité commerciale, et elles ne représentent encore qu’une minorité des voitures vendues chaque année en France ou dans le monde.

S’il faut encore 40 ans à des technologies comme l’hydrogène ou comme les réacteurs nucléaires nouvelle génération pour atteindre des niveau de prix et de faisabilité leur permettant de passer à l’échelle sur les marchés, une chose est certaine, il sera de toute façon trop tard pour que cela nous permette d’éviter une crise climatique dramatique.

Il faudrait alors savoir comment accélérer les choses. Comment faire pour que ces technologies soient techniquement « déployables » à l’échelle globale, et pour les rendre suffisamment attractives pour que le marché s’en empare, le tout sans attendre… En faisant confiance au marché et à l’intelligence des investisseurs et des capitaines d’industrie ? Par des taxes ? Des régulations ? Aujourd’hui, personne, pas même Bill Gates, ne semble avoir la solution. Sinon, l’éolien aurait déjà remplacé le charbon. Bill Gates met toutefois l’accent sur le rôle fondamental des pouvoirs politiques pour guider les marchés et orienter nos choix collectifs.

De mauvaises solutions pour résoudre la crise écologique globale ?

D’autre part, même si l’on parvenait à généraliser ces technologies « vertes », cela ne résoudrait pas la troisième question en suspend : celle de notre impact écologique global.

Si on y arrive, installer des dizaines de millions de panneaux solaires, d’éoliennes ou de réacteurs nucléaires pour produire de l’électricité bas carbone et de l’hydrogène vert, est peut-être une bonne nouvelle théorique pour le climat. Mais pas nécessairement pour la biodiversité, l’état de nos sols ou la pollution de nos océans.

Plusieurs études (par exemple ici dans la revue Nature) ont mis en évidence que la hausse des besoins en matériaux nécessaires à la transition vers les énergies vertes allait entraîner une aggravation de la dégradation des écosystèmes ou de la pression sur la ressource en eau. Miner, extraire des matériaux, c’est détruire des milieux naturels, donc des êtres vivants, et avec eux leur chaîne alimentaire et leurs équilibres. C’est déverser des polluants chimiques dans les sols, dans les eaux, et dans l’air.

En d’autres termes, c’est reproduire les schémas d’empiètement et de destruction de la nature qui sont en grande partie responsables de l’érosion actuelle de la biodiversité et des écosystèmes. Les mêmes dégradations qui sont, selon certains experts, parmi les causes de la pandémie de Covid-19. Les conséquences de telles logiques seraient dramatiques, autant que celles du changement climatique.

En se lançant tête baissée dans une course folle à ces nouvelles énergies sans prendre de précautions, on pourrait donc créer de nouvelles catastrophes écologiques, sans même avoir l’assurance de régler complètement le défi climatique.

Et la sobriété dans tout ça ?

Pour toutes ces raisons, techniques, économiques et écologiques, il semble de plus en plus évident qu’il n’est pas très réaliste d’espérer faire émerger demain un modèle de production « zéro impact » sans changer un minimum de logiques.

Les énergies bas carbone et les carburants « verts » portent en eux des promesses intéressantes, mais ils ne pourront vraisemblablement pas nous permettre de perpétuer de façon soutenable un modèle économique fondé sur une demande croissante en énergie.

Même l’Agence Européenne de l’Environnement admettait, dans une note récente, qu’il est hautement improbable que nous parvenions à découpler totalement notre production économique des pressions sur les écosystèmes. En d’autres termes : si nous ne ralentissons pas la machine économique, nous ne pourrons pas ralentir les pressions écologiques.

De la même manière, l’ensemble des experts sur les questions énergétiques estiment que la transition vers les énergies « vertes » ne sera faisable qu’à condition de réduire nos besoins. C’est le sens des analyses de RTE et de l’Agence Internationale de l’Énergie dans ses scénarios prospectifs, de negaWATT dans ses hypothèses sur un système 100% renouvelable, ou l’ADEME.

En gros, ce que préconisent tous ces experts, c’est la sobriété. Réduire, là où c’est possible, les productions et consommations. Éviter certaines productions peu utiles ou qui contribuent peu au bien-être général. Maîtriser les usages. Faire des choix dans ce qu’il est prioritaire ou non de produire.

Et c’est bien là que le bât blesse dans le discours de Bill Gates, qui semble récuser et refuser catégoriquement la notion même de sobriété. Interrogé sur le sujet, il caricature en comparant les logiques de sobriété au fait de « revenir 200 ans en arrière, quand l’espérance de vie était de 35 ans environ » ou « d’empêcher les pauvres de se chauffer ou de s’éclairer« . Il confond sobriété et récession.

Il affirme, à contre courant de la majorité des discours scientifiques et des avis d’expert sur le sujet, que l’on pourra continuer demain, à manger sans se soucier de la saisonnalité des aliments, à voyager autant que possible, à consommer toujours plus. Seule condition : les énergies vertes et les nouvelles technologies. Des technologies qu’il décrit, à tort, comme « sans impact ».

Un discours techno-utopiste en décalage avec les limites planétaires

Aujourd’hui, les scientifiques affirment de toutes parts qu’il est urgent de faire émerger de nouveaux modèles de consommation et de production pour s’aligner sur les limites planétaires. Qu’il faut faire la promotion des mobilités alternatives comme le vélo, mettre en avant des gestes de sobriété énergétique, penser des manières différentes de s’alimenter, des systèmes de production sortant de la logique de production de masse.

Ce volet « comportemental » est fondamental dans la transition écologique, que ce soit pour orienter les marchés ou pour réduire la pression sur les systèmes énergétiques ou sur les systèmes de production.

Or, en diffusant son messages techno-utopiste, Bill Gates entretient l’idée inverse, l’idée fausse que la transition écologique est possible sans remise en cause de notre mode de vie, de nos modes de consommation et de notre paradigme économique.

Dans la bataille culturelle que constitue la transition écologique, ce type de discours sonne comme autant d’armes données à ceux, climatosceptiques ou réfractaires, qui voudraient freiner le changement. Il dédouane entreprises, décideurs et citoyens de leur responsabilité d’agir maintenant en leur permettant de rejeter cette responsabilité sur l’arrivée prochaine de technologies providentielles. Pourquoi se transformer si la technologie peut nous sauver ?

Se reposer ainsi sur l’espoir d’hypothétiques technologies de ruptures ne fait que retarder l’échéance des choix collectifs que nous devons faire pour nous adapter à une réalité climatique différente, à des limites écologiques qui se resserrent. Il nous prive en quelques sortes des leviers les plus rapides et les plus efficaces pour réduire notre empreinte carbone. Rouler moins en voiture dès aujourd’hui, c’est autant d’émissions de CO2 émises en moins dès maintenant. Attendre la prophétique voiture à hydrogène, dont on ne sait même pas si elle sera jamais vraiment bas carbone, c’est reporter ces baisses à 10, 20 ou 30 ans, si elles ont lieu.

On ne changera pas de paradigme avec Bill Gates

En résumé, Bill Gates propose un regard intéressant sur les cheminements techniques que nous pouvons mettre en oeuvre pour accompagner la transition écologique. Il met en avant des aménagements techniques qui contribueront très certainement à la décarbonation de certains secteurs, notamment dans le domaine énergétique et industriel.

Il propose aussi une certaine « repolitisation » de l’enjeu écologique, et insiste sur le fait que cette transition doit engager un effort politique considérable. Il revient ainsi sur certaines de ses positions passées, quand il affirmait que le marché pouvait seul résoudre le défi de la transition écologique.

Toutefois, le discours du fondateur de Microsoft semble biaisé par la croyance inébranlable qu’il accorde à l’innovation technologique. Il ignore donc la possibilité que le progrès technique ne trouve pas de solution au défi climatique, il laisse de côté les effets rebond, n’envisage pas que les contraintes techniques et les limites physiques puissent bloquer le développement technologique.

Plus problématique peut-être, cette vision est une analyse partielle de la situation écologique. Trop occupé à savoir comment résoudre la crise climatique, on en oublie des enjeux comme la biodiversité, la qualité des eaux ou des sols. Des enjeux moins technocratiques, moins « ingénieur », mais tout aussi importants au regard du système écologique global.

Et surtout, cette analyse fait l’impasse sur la transformation paradigmatique qui s’impose. Elle refuse de sortir de la logique du « produire et consommer toujours plus » et ignore la nécessaire analyse de nos besoins et de leur alignement sur les limites écologiques mondiales. C’est pourtant certainement là que se situe la principale clef pour « éviter un désastre ». Dommage.