À l’approche des élections européennes ce 9 juin 2024, Youmatter revient sur les apports du Pacte Vert pour décarboner l’économie européenne et quelques uns de ses textes majeurs pour les entreprises.
Le mandat des députés européens qui s’achève le 9 juin est marqué par l’adoption du Green Deal, un texte majeur qui entérine l’engagement de l’Europe dans la quête de la neutralité carbone du continent d’ici 2050. Celui-ci s’appuie sur un paquet législatif, l’Ajustement à l’objectif 55 (Fit for 55), qui vise la réduction des émissions carbone sur son territoire de 55% à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Si ce Pacte vert est encore incomplet, il est considéré par le Réseau Action Climat (RAC) et ses associations membres telles que Greenpeace France ou Reclaim Finance, comme « le plan le plus ambitieux jamais adopté pour le climat ».
À l’occasion des élections européennes et alors que la survie des ambitions de ce Pacte et de sa mise en œuvre sont menacées par la montée de la droite et l’extrême droite dans les intentions de vote, Youmatter fait le point sur quelques-uns de ses textes clés pour accélérer la transformation durable de l’économie (hors agriculture).
Taxonomie, CSRD, CSDDD : trois réglementations à destination des entreprises et de la finance
La CSRD pour imposer plus de transparence aux entreprises
La directive européenne sur le reporting de durabilité, ou CSRD, vise à harmoniser les reporting de durabilité des entreprises, et les enjoint à plus de transparence sur leurs activités. Entrée en vigueur en janvier 2024, elle va imposer progressivement à près de 50 000 entreprises européennes la publication de leurs informations extra-financières, des informations qui se concentrent sur les performances environnementales, sociales et de gouvernance, les critères ESG. Répondant au principe de la double matérialité, les entreprises devront communiquer sur la façon dont le contexte extérieur (comme le changement climatique) influe sur sa performance financière, mais également sur la façon dont ses activités impactent la société et les écosystèmes. Des données qui permettront aux décideurs privés et publics, et notamment aux investisseurs, d’avoir une meilleure vision d’ensemble des activités durables et socialement responsables.
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La Taxonomie verte pour définir les activités économiques bénéfiques pour l’environnement
La taxonomie verte se veut une « boussole environnementale » pour l’UE à destination des investisseurs privés, dont l’objectif est de faciliter l’orientation des capitaux vers les activités et les technologies durables. Elle établit pour cela une classification des activités qui aident à décarboner l’économie, à protéger et à restaurer la biodiversité ou à transitionner vers une économie circulaire. Ces activités doivent aussi répondre à un principe fondateur des politiques environnementales européennes qui est de « ne pas causer de préjudice important » à l’environnement, à une communauté, ou un organisme.
La liste comprend près d’une centaine d’activités économiques dont des activités « de transition » (intégrant celles liées au nucléaire et au gaz) pour lesquelles il n’existe pas d’alternative bas carbone mais dont les émissions de gaz à effet de serre correspondent aux meilleures performances du secteur. Un point qui a soulevé de nombreux débats et contre lequel ont bataillé les ONG environnementales qui y voient une porte ouverte sur la poursuite du business as usual.
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La CS3D pour instaurer un devoir de vigilance européen
L’adoption de la directive européenne sur le devoir de vigilance aura été particulièrement laborieuse. Malgré des reculs sur le texte initial lié à un travail acharné des lobbies dans la dernière ligne droite, cette directive demeure une pièce majeure du versant social du Pacte vert. Le devoir de vigilance vise en effet à prévenir et lutter contre la violation des droits humains et environnementaux (esclavage, travail des enfants, exploitation par le travail, érosion de la biodiversité, pollution ou destruction du patrimoine naturel…) sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des entreprises. Elle vient appuyer la directive CSRD sur une logique de moyens et non plus seulement de transparence.
Les entreprises auront le devoir d’évaluer et d’identifier les risques que représentent leurs activités propres et celles de leur chaîne d’approvisionnement – approvisionnement, production et distribution) sur l’environnement ou la société… Elles devront surtout prévenir, stopper ou atténuer les impacts négatifs et présenter un plan de transition climatique du même ordre que celui de la CSRD. En cas d’infraction, les amendes pourront aller jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires net mondial.
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La directive Green Claims pour lutter contre le greenwashing
L’Europe s’attaque aux pratiques marketing trompeuses et mensongères sur l’environnement avec deux directives qui se complètent : l’une sur la protection des consommateurs (officiellement approuvée) et l’autre baptisée Green Claims (en cours). L’objectif est d’éviter les allégations environnementales trompeuses et génériques comme les produits « biodégradables », « moins polluants », ou ayant un « contenu d’origine biologique« . Celles-ci sont désormais interdites sans preuves.
Pour aller plus loin, le Parlement propose que les entreprises soumettent leurs informations à des vérificateurs agréés par l’État avant de communiquer sur les bénéfices environnementaux de leurs produits et de sanctionner sévèrement les entreprises qui contreviendraient à cette directive (exclusion des marchés publics et amende d’au moins 4% de leur chiffre d’affaires annuel). Mais faute de temps, le dossier législatif n’a pu être bouclé et le nouveau Parlement devra donner son avis après les élections, avec un risque d’amoindrissement.
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Décarboner les secteurs clefs
La fin de la vente des voitures neuves thermiques d’ici 2035
En mars 2023, l’Europe a entériné la fin de la vente des voitures et véhicules utilitaires légers neufs à moteur diesel, essence et hybride d’ici 2035. Le transport est en effet responsable d’environ un quart des émissions totales de CO2 dans l’Union européenne, selon un rapport de l’Agence européenne pour l’environnement. C’est aussi « le seul secteur où les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté au cours des trois dernières décennies, avec une hausse de 33,5 % entre 1990 et 2019 », note le Parlement européen.
Un point reste encore à éclaircir, le cas des e-carburants. Sous la pression de l’Allemagne, l’Union européenne a finalement fait une exception pour les futurs véhicules alimenté par des carburants de synthèse produits à partir d’électricité et de CO2 provenant de sources industrielles ou de l’atmosphère Un nouveau rendez-vous est prévu fin 2024 pour statuer sur l’interdiction, ou non, de ces carburants qui ont l’avantage de fonctionner sur les moteurs thermiques mais qui sont loin de faire l’unanimité sur leur impact environnemental et notamment climatique. Mais d’ores et déjà, plusieurs partis de droite et le patronat poussent pour reculer la mise en œuvre de cette directive et en amenuiser l’ambition.
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L’accélération du déploiement des énergies renouvelables
La révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED III), entrée en vigueur le 20 novembre 2023, oblige les pays de l’UE à promouvoir massivement les énergies renouvelables sur leurs territoires nationaux. L’UE s’engage à ce que les énergies renouvelables représentent au minimum 42,5% – avec un objectif d’arriver à 45% – de la consommation finale brute d’énergie (la consommation des ménages, de l’industrie, de l’agriculture…), contre 32% dans la précédente directive.
La directive vise à accélérer la transition énergétique des pays membres de l’UE, afin de sortir au plus tôt des énergies fossiles. Cet objectif est crucial pour l’Europe, car au-delà des émissions de GES, le développement des énergies renouvelables lui permet de regagner de la souveraineté énergétique en diminuant ses importations étrangères fossiles, le gaz et le charbon russes étant dans le viseur de l’UE.
Plus d’efficacité énergétique sur le sol européen
Sobriété et efficacité sont les deux piliers de réduction de la consommation d’énergie. Le premier correspond à un changement dans les usages, tandis que le second cherche à optimiser la consommation d’énergie des équipements existants.
La révision de la directive relative à l’efficacité énergétique, entrée en vigueur depuis le 10 octobre 2023, vise à réduire la consommation d’énergie primaire et finale de 11,7% d’ici 2030, par rapport aux prévisions de 2020. C’est une réduction de 30% par rapport à 2012. L’Union européenne se devra de ne pas dépasser 992,5 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) (1 tep correspond à 954 kg d’essence moteur) pour l’énergie primaire et 763 Mtep pour l’énergie finale.
Protéger la biodiversité
La lutte contre la déforestation importée
Cette directive est un pas important pour la lutte contre la déforestation. Elle interdit, à partir de fin 2024, la mise sur le marché ou l’exportation depuis le marché européen de produits qui auraient contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts après le 31 décembre 2020. Les entreprises concernées par le règlement auront l’obligation de réaliser une diligence raisonnée en amont de toute mise sur le marché ou exportation. Ces obligations s’appliqueront à partir de mi 2025 pour les micro et les petites entreprises. Plusieurs produits liés à la déforestation sont concernés comme le soja, l’huile de palme, le bœuf, le café, les produits du bois comme les produits imprimés, ainsi que le caoutchouc.
Cette loi ambitieuse présente « néanmoins des lacunes en ce qui concerne la reconnaissance des droits humains, en particulier des peuples autochtones et des communautés locales et aussi parce qu’elle exclut des écosystèmes essentiels comme les savanes », estime le Réseau Action Climat.
La directive renforçant la lutte contre la criminalité environnementale (Ecocide)
La criminalité environnementale est considérée comme la quatrième activité criminelle au niveau mondial. Elle croît à un rythme alarmant de 5 à 7 % par an, causant des dommages irréparables à notre planète. Chaque année, cela cause des pertes estimées entre 80 et 230 milliards d’euros par le Conseil de l’Union européenne. Jusqu’alors, la répression de ces crimes était régie par une directive européenne de 2008 mais celle-ci s’est avérée insuffisante. La nouvelle directive vient la remplacer en renforçant notablement le champ des actions couvertes, les sanctions et les droits des parties civiles. S’il ne mentionne pas spécifiquement le terme écocide, il crée « une infraction dite qualifiée visant à incriminer les atteintes graves à l’environnement – la destruction, ou des dommages étendus et substantiels qui sont soit irréversibles, soit durables – conduisant à des conséquences environnementales catastrophiques », considérée comme une infraction aggravée dans le droit européen. Cette infraction se fonde sur la définition proposée par le Panel international pour le crime d’écocide.
Ecocide : quel apport de la réglementation européenne ?
La loi sur la restauration de la nature
En visant à restaurer au moins 20% des terres et des mers de l’UE d’ici 2030 et de tous les écosystèmes dégradés d’ici 2050, le texte initial sur la restauration de la nature était ambitieux. Mais il aura fait les frais de blocages politiques. Déjà allégé après son passage au Parlement par la droite et l’extrême droite européenne, qui continuent à ce jour de paralyser les négociations, l’accord trouvé entre le Parlement et le Conseil a finalement été stoppé par le gouvernement hongrois, jusqu’alors en phase avec la loi.
Pour faire bouger les lignes, la loi sur la restauration de la nature pourrait être inscrite à l’agenda du Conseil Environnement le 17 juin 2024 réunissant les ministres de l’environnement de l’UE. Une décision qui sera forcément influencée par le résultat des élections européennes.
Illustration : Parlement européen de Strasbourg / Pxhere