Cette 27e Semaine Européenne pour l’Emploi des Personnes Handicapées, la SEEPH, portera sur le thème de l’inclusion des travailleurs handicapés et la transition numérique. Mais cette transition pose encore des enjeux d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap.

La crise du Covid-19 a accéléré une transformation déjà engagée par le numérique dans nos sociétés. Une partie de la population s’est retrouvée immobilisée dans leur foyer, qui est soudainement devenu leur seul lieu de vie « physique ». Les relations sociales se sont numérisées, au même titre que les loisirs, les tâches administratives et le travail. Le Covid n’a été finalement qu’une raison légitime pour transformer telle ou telle activité qui résistait encore à la numérisation.

Cette numérisation globalisée des activités est vue comme une chance pour les personnes actives en situation de handicap puisque le numérique rend accessible de nombreux secteurs d’emplois jusqu’alors fermés.

Comprendre : Travailleur handicapé : définition et statut, réglementation, droits

Handicap et inégalités professionnelles

Les handicaps représentent une forme de discrimination reconnue et bien identifiée dans le monde du travail. Bien identifiée mais difficilement combattue. Lors des 6 dernières années, le handicap s’est placé à la première place des motifs de discrimination en France selon le Défenseur des droits

En 2022 en France, un peu plus de 2,9 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans sont reconnues administrativement en situation de handicap selon l’enquête Emploi en continu de l’Insee partagée par la Dares. Si le taux de chômage des personnes reconnues handicapées a fortement reculé en France entre 2015 et 2022, encore aujourd’hui, seules 38% d’entre elles sont en emploi. C’est deux fois moins que le reste de la population « valide ». 

Les travailleurs en situation de handicap cumulent des difficultés d’accès à l’emploi. Leur taux d’activité – le rapport entre le nombre d’actifs et l’ensemble de la population correspondante (Insee) – est de 44%, contre 74% pour le reste de la population. Pour le taux de chômage de la population active, il est de 12% contre un peu plus de 7%, et les périodes de chômage sont généralement plus longues.

Mais l’handicap est une vaste nébuleuse de formes de handicaps parfois invisibles et temporaires qui ne sont pas reconnues par l’État, et ce, malgré des difficultés réelles pour les individus à réaliser certaines activités du quotidien. L’Insee s’appuie dans ses enquêtes sur la définition donnée par l’indicateur GALI (Global Activity Limitation Indicator) comme le soulignent les sociologues Anne Revillard, Célia Bouchet, Mathéa Boudinet dans un ouvrage, Que sait-on du travail ?. Sont handicapées toutes les personnes déclarant être « limitées, depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ».

Approfondir : Handicap : encore trop de discrimination à l’embauche

L’Insee dénombre dans ses enquêtes plus de 6 millions de personnes dans cette situation qui souffrent elles aussi de discriminations à l’embauche ou dans leur emploi : plus haut taux de chômage que les personnes valides, plus d’emplois à temps partiel et emplois moins qualifiés, pas ou peu d’aménagement des conditions de travail par l’employeur… Ces discriminations se cumulent bien souvent avec d’autres formes de discriminations sur le genre ou l’origine de la personne.

Le numérique, un secteur porteur d’emplois pour les travailleurs en situation de handicap

L’omniprésence du numérique dans nos vies depuis ces dernières décennies est vue comme une opportunité pour les travailleurs en situation de handicap. D’abord en termes d’emploi, le numérique connaît une progression 2,5 fois plus rapide en France que les autres secteurs professionnels. « Le développement du numérique touche tous les secteurs d’activité, crée de la richesse et de nouveaux métiers » comme le rappelle Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des travailleurs handicapées), et les emplois créés offrent de nouvelles perspectives d’accessibilité pour les travailleurs handicapés.

Le numérique s’adapte doucement à un public qui jusqu’à présent était relativement isolé et démuni face aux progrès technologiques et techniques. Les synthèses vocales, la plage braille – un appareil électronique permettant d’afficher en temps réel des caractères en brailles, les affichages personnalisés sur les sites et les applications, les méthodes de navigation alternatives (clavier uniquement, écran tactile, à la voix, détection du mouvement des yeux…) sont autant de nouveaux outils facilitant l’inclusion des personnes handicapées lors de leur quotidien, privé comme professionnel. À ce titre, quelques applications ont vu le jour telles que Rogervoice, AVA, Be my Eyes ou SoundScape…

En complément de ces alternatives numériques, l’État français pousse une meilleure accessibilité numérique grâce au Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA) afin de rendre conforme les sites et les applications pour les rendre l’information disponible aux personnes handicapées. 

Le RGAA est rendu obligatoire pour les personnes morales de droit public ; les personnes morales de droit privé délégataires d’une mission de service public ; les entreprises à compter d’un seuil de chiffre d’affaires de 250 millions d’euros grâce à deux textes législatifs, l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et le décret d’application du 24 juillet 2019.

Une inclusion numérique encore lente des personnes handicapées

Pourtant, malgré les nombreuses injonctions à l’inclusion numérique et la diversité des outils disponibles, le numérique demeure encore un domaine peu accessible aux personnes handicapées. Un premier paradoxe pointé par Nathalie Pinède, vice-présidente déléguée en charge du handicap et de l’inclusion à l’Université de Bordeaux-Montaigne dans un article publié dans la revue Servir. « En mai 2022, la Fédération des Aveugles de France proposait ainsi les résultats d’une vaste enquête menée sur 1400 sites web, majoritairement publics, et faisait le triste constat que seuls 14,6% des sites publics publient une déclaration d’accessibilité… », peut-on lire dans l’article.

Également maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, Nathalie Pinède souligne un deuxième paradoxe, celui de l’injonction numérique contre le « droit à choisir ». 

« La doxa de l’inclusion numérique, si elle défend les droits essentiels de chacun – et donc de tous – d’accéder à des ressources et services, de participer et de bénéficier des mêmes opportunités, contribue simultanément à occulter une certaine liberté de choisir. Celle de ne pas être connecté, de ne pas être contraint de passer exclusivement par des services numériques ».

Pour beaucoup d’individus, handicapés et valides, le numérique est synonyme d’isolement et de perte d’autonomie, par exemple lorsqu’il est question de documents administratifs. L’inclusion ne peut donc reposer seulement sur le développement de nouveaux outils techniques et technologiques, mais nécessite une transformation considérable de la société pour que soit vraiment reconnu et accepté le handicap dans la société.

Que sait-on du travail ?, Presses de Sciences Po, 2023, 608 p., 22,00 €.


Photo de Eren Li sur Pexels.