Quatre ans après l’appel à la grève de la militante écologiste Greta Thunberg en 2018, une récente étude scientifique démontre que la jeune génération norvégienne a fortement été influencée par les actions et les discours de celle qui est devenue l’un des porte-voix de la lutte contre le réchauffement climatique.

« Comment osez-vous ? » s’était indignée en septembre 2019 la militante suédoise Greta Thunberg lors d’un discours à la tribune de l’ONU face à l’inaction des politiques dans la protection de l’environnement. Un message fort à destination des dirigeant des gouvernements qui a propulsé mondialement Greta Thunberg au rang de figure mondiale du mouvement de lutte contre le réchauffement climatique.

Un an plus tôt en 2018, alors âgée de 15 ans, Greta Thunberg s’était déjà fait remarquer en appelant, yeux dans les yeux avec les parlementaires suédois, tous les écoliers à faire grève afin de revendiquer le droit à un environnement protégé et à un avenir meilleur. Le vaste mouvement qu’elle va lancer, « Fridays for future », ne va pas rester cantonné à la Suède, mais rapidement trouver écho autour du globe chez les jeunes inquiets de l’état de la planète. Près de 10 millions de personnes répondront à cet appel et iront manifester dans les rues pour des actions concrètes en faveur du climat.

L’effet « Greta Thunberg »

Ces sorties médiatiques, qui feront d’elle « La personnalité de l’année 2019 » du magazine Time, ont bousculé les débats relatifs aux enjeux environnementaux et à la transition écologique, et réveillé les clivages. Soutenue par de nombreux jeunes et militants écologistes, la suédoise a aussi eu ses opposants.

Les actions et les discours de la militante suédoise ont ainsi déclenché la haine et la colère de ceux qui ne s’intéressent pas à la transition écologique, à l’instar de l’ancien Président des États-Unis, Donald Trump, qui s’est montré particulièrement méprisant en conviant Greta Thunberg à « gérer ses problèmes de colère » dans un tweet. Et il n’a pas été le seul à critiquer les discours de la militante, pourtant on ne peut plus consensuels sur les répercussions du réchauffement climatique sur les sociétés humaines, sur la crise de la biodiversité et les écosystèmes.

Cette attention portée sur la militante suédoise fût telle que de certains ont commencé à parler d’un « avant » et d’un « après » Greta Thunberg. Des scientifiques ont donc essayé de savoir s’il y avait vraiment un effet Greta Thunberg, et si les individus étaient vraiment influencés par les actions et les discours de la militante.

La nouvelle jeunesse verte norvégienne

Non loin du pays d’origine de la militante en Norvège, deux chercheurs, Jan Frode Haugseth et Eli Smeplass, sont tombés par hasard sur cet effet Greta Thunberg. « Nous avons commencé une étude en 2017, mais elle ne concernait pas spécifiquement le changement climatique, indique dans un communiqué le chercheur de l’Université norvégienne de sciences et de technologie, Jan Frode Haugseth, à l’origine, nous souhaitions connaître l’avis des jeunes norvégiens sur ce qu’ils pensent de l’époque dans laquelle ils vivent, de leur sensibilité sur les sujets qui leurs semblent importants ».

En envoyant des questionnaires à près de 3000 norvégiens, âgés entre 17 et 20 ans, les chercheurs ont observé une transition claire à partir de l’automne 2019 dans les centres d’intérêt de ces jeunes gens, l’environnement et le réchauffement climatique devenaient des sujets prioritaires pour nombre d’entre-eux. Pile l’année où Greta a été fortement médiatisée.

Selon les chercheurs, deux tendances ressortent des prises de position et de la médiatisation de Greta Thunberg, celle d’unir des mouvements militants écologistes nombreux, mais éparpillés, à l’instar du mouvement Youth for Climate qui découle directement de l’appel à la grève de la suédoise, et celle de sensibiliser toute une branche jusqu’alors détachée des sujets environnementaux et climatiques, et ce quelque soit la classe sociale d’origine, même pour celles les moins perméables à l’écologie.

Les chercheurs ont noté une nette amélioration des connaissances des jeunes sur les sujets environnement, mais également une meilleure capacité à comprendre les ordres de grandeur de la crise, ou à reconnaître les potentiels risques climatiques ou environnementaux liés à une activité humaine même lorsque les conséquences de celle-ci sont lointaines. Ces nouveaux écologistes sont en outre capables de définir selon leurs critères, des valeurs et normes que l’on pourrait qualifier de « vertes ». En ce sens, ils se politisent également et sont plus aptes à prendre position sur certaines décisions politiques.

Des résultats en accord avec une précédente étude menée en 2020 sur la population américaine. Les chercheurs de cette dernière ont observé des comportements sensiblement similaires aux résultats de l’étude norvégienne. Dans la population américaine, ceux qui connaissaient Greta Thunberg et qui étaient en accord avec son discours se disaient plus prêts à adopter des actions collectives afin de réduire le réchauffement climatique. Là où les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), ou bien d’autres institutions scientifiques, ont échoué à mobiliser une jeunesse peu alerte sur les enjeux environnementaux, la militante suédoise y est arrivée. L’effet Greta semble donc bel et bien présent.

Mais l’étude norvégienne pointe tout de même des limites importantes au format questionnaire de leur étude. Les questionnaires envoyés ne rendent compte que d’une réalité incomplète. Même si les jeunes affirment être concernés par la question environnementale rien n’indique que leur comportement change vraiment en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Les jeunes restent globalement bloqués dans une société de surconsommation et continuent de polluer beaucoup, en particulier dans les pays développés. Mais cela ne veut pas dire que rien ne change.

Militer pour l’environnement, tout le monde a sa place

Même si le mouvement entamé par Greta ne mène pas forcément à un changement de comportement fort, les actions militantes de la suédoise ont eu le mérite de créer un nouvel engouement pour la lutte environnementale qui a perdu de nombreuses fois son souffle depuis les premières grandes revendications écologiques des années 1960. De nouveaux visages, souvent jeunes, sont venus grossir les rangs des mouvements militants à mesure que les connaissances scientifiques sur l’état critique de la planète infusent dans la société. La période de la Covid-19 a bien-sûr sapé une grande partie de ce dynamisme dans les mouvements écologistes pendant près de deux ans. Mais la présence de personnalités médiatiques comme Greta Thunberg continue à alimenter la motivation des jeunes, notamment.

Sur le territoire français, de nombreuses personnalités ont joué un rôle similaire : l’écrivain et réalisateur Cyril Dion, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, la présidente de Sea Shepherd France Lamya Essemlali… Dans la même veine que la militante suédoise, des militantes françaises telles que Camille Étienne émergent depuis quelques années afin de parler aux jeunes français. Celle qui s’est engagée dans l’activisme environnemental en 2018 combat dorénavant un panel de projets écocides, notamment le projet EACOP de l’entreprise pétrolière Total en Ouganda ou l’exploitation des fonds marins. Discours, tribunes, conférences, vidéos sur les réseaux sociaux, actions de désobéissance civile, les méthodes de sensibilisation sont diversifiées chez la militante afin de toucher un nombre toujours plus grand de personnes.

Finalement, quelque soit la force du mégaphone, que les discours écologiques viennent du pape François avec son encyclique Laudato si’, de la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, ou bien d’un ami proche, ils sensibilisent, mobilisent et permettent petit à petit de faire émerger un nouvel imaginaire plus en accord avec les impératifs socio-environnementaux.

Haugseth, J. F., & Smeplass, E. (2022). The Greta Thunberg Effect : A Study of Norwegian Youth’s Reflexivity on Climate Change. Sociology.

The Greta Thunberg Effect : Familiarity with Greta Thunberg predicts intentions to engage in climate activism in the United States—Sabherwal—2021—Journal of Applied Social Psychology—Wiley Online Library.

Image par Sonia Mertens de Pixabay